D. Saint-Georges (Carmignac) : "Donald Trump a largement sous-estimé la gravité de l’épidémie"
Décideurs. La pandémie de Coronavirus est en train de mettre à l'arrêt la plupart des grandes économies. Quelles en seront les incidences à moyen terme ? Faut-il s'attendre à une année blanche pour tout un pan de l'économie mondiale ?
Didier Saint-Georges. Ce n’est pas la pandémie qui met à l’arrêt les économies, mais les mesures de confinement indispensables prises pour en limiter le coût humain. C’est un choix politique délibéré, bien compréhensible, qui ne pose pas de limites a priori au coût économique. Par conséquent, il est impossible d’estimer l’ampleur de ce dernier, qui dépendra des progrès dans la bataille sanitaire, et c’est cette incertitude inquantifiable que les marchés ont beaucoup de mal à gérer aujourd’hui. L’idée d’une reprise de l’activité économique en V une fois la pandémie dépassée semble par ailleurs optimiste : les chocs violents sont en général suivis d’hystéresis, comme le fut celui de 2008, sous la forme d’effets durables sur la confiance, la propension à épargner, l’emploi, les chaines d’approvisionnement.
Le discours de Christine Lagarde a déçu les investisseurs qui espéraient une nouvelle baisse des taux. La présidente de la BCE a aussi renvoyé la balle dans le camp des États. A-t-elle eu raison d'agir ainsi ? Est-ce désormais à eux d’agir ?
Christine Lagarde a certes commis quelques maladresses de communication, mais l’essentiel n’est pas là. Le problème principal est double : d’une part son message a été celui d’un soutien d’ampleur prédéfinie, le contraire d’un engagement a priori sans limite qui puisse rassurer les marchés, comme l’avait fait le « whatever it takes » de Mario Draghi en 2012. En agissant ainsi, elle a probablement reflété une absence de consensus au sein de la BCE pour une action hors normes en cas de besoin. D’autre part, en insistant fût-ce à bon droit, sur la nécessité d’une intervention financière des Etats eux-mêmes elle a mis en évidence l’absence de coordination à ce stade entre politique monétaire de la BCE et politique budgétaire des États, et a fortiori Communautaire.
"Christine Lagarde a mis en évidence l’absence de coordination à ce stade entre politique monétaire de la BCE et politique budgétaire des États"
L'Helicopter Money, c’est-à-dire l'injection de liquidités dans l'économie, est-il le moyen le plus efficace pour redresser l’économie ?
Pour l’instant, la priorité n’est pas encore de redresser l’économie mais d’éviter que la syncope de l’activité économique pendant quelques semaines au moins produise des dégâts durables pour les entreprises, notamment les plus petites et les plus fragiles, les artisans, les consommateurs. C’est seulement quand l’activité économique sera autorisée à repartir qu’il faudra l’accompagner de plans de relance. Ce jour-là, avec des gouvernements encore plus en déficits qu’aujourd’hui, et des banques centrales qui auront utilisé tous leurs moyens conventionnels, il faudra certainement envisager de nouvelles solutions. Il est probable que l’Helicopter Money, ou la « Théorie Monétaire Moderne » en feront partie.
Cette épidémie peut-elle changer le résultat des élections américaines de novembre prochain ?
Il est visible que Donald Trump a initialement largement sous-estimé la gravité de l’épidémie et son enjeu pour les Etats-Unis. Il a été pris en flagrant délit de faute de leadership. De plus, la bonne tenue de l’économie américaine et le parcours enviable de la bourse américaine comptaient parmi ses principaux arguments électoraux. Sa position en vue des élections est donc sensiblement affaiblie aujourd’hui face à son adversaire démocrate probable Joe Biden. Mais près de huit mois nous séparent encore du scrutin présidentiel. L’évolution de la situation soit confirmera les erreurs de jugements de Donald Trump et offrira des cibles considérables d’attaque pour son adversaire, soit au contraire lui donnera l’opportunité de rétablir son image et de souder autour de lui une opinion américaine dans l’adversité. Les jeux sont redevenus très ouverts.
"C’est seulement quand l’activité économique sera autorisée à repartir qu’il faudra l’accompagner de plans de relance"
Des problèmes de liquidité sur les marchés de la dette se font sentir tandis que les spreads sur le segment du High Yield s'élargissent très rapidement. Faut-il tout simplement se détourner des obligations ?
Les obligations constituent une classe d’actifs très différentes des actions en ce sens que si l’émetteur ne fait pas faillite, le porteur est sûr de retrouver à l’échéance la valeur nominale de l’action. Par conséquent, le prix des obligations peut être extrêmement volatile, des problèmes de liquidité majeurs peuvent survenir, mais les obligations des émetteurs qui parviendront à ressortir indemnes de cette période sans précédent peuvent dans de telles circonstances offrir des points d’entrée très intéressant. Toute la difficulté pour l’investisseur réside dans la nécessité d’une tolérance très forte à la volatilité, et surtout dans l’exigence d’analyse très précise de la solvabilité des entreprises.
La baisse des marchés financiers offre-t-elle dès à présent un point d'entrée intéressant pour réallouer une partie de ses actifs sur les actions ?
Les marchés financiers sont rentrés dans une période de très forte instabilité non seulement à cause des ramifications de la crise du Coronavirus mais parce que le contexte financier et macroéconomique était devenu très fragile. En effet, depuis une dizaine d’années, l’action des banques centrales avait soutenu une performance inédite des marchés financiers, tandis que la croissance économique réelle demeurait atone. Par conséquent, la crise sanitaire provoquant un choc déflationniste, par chute de la demande, devant lequel les banques centrales et gouvernements sont relativement désarmés, les marchés doivent envisager des conséquences économiques très brutales. Ils vont donc probablement demeurer très instables jusqu’à ce qu’ils réussissent à quantifier ces conséquences.