En intégrant des normes green à des fonds dédiés et aux politiques des grandes institutions économiques, la finance déploie des ambitions écologiques qui pourraient s’avérer de puissants leviers en faveur de l’environnement.

Longtemps antagonistes, l’écologie et les banques trouveraient-elles enfin un terrain d’entente grâce à la finance verte ? Depuis quelques mois, des déclarations d’experts et la publication d’études laisseraient plutôt entendre le contraire. Posté l’été dernier, le tweet de Gaël Giraud, ancien économiste en chef de l’AFD (Agence française de développement) et chercheur au CNRS, pointait du doigt le secteur bancaire qu’il considère comme un frein à la transition écologique : "Le problème, aujourd’hui, n’est pas l’absence de prise de conscience de l’opinion publique, mais les actifs bancaires qui dépendent des énergies fossiles, explique-t-il. Si l’on interdit les hydrocarbures fossiles, la plupart des méga-banques seront en faillite et elles le savent fort bien."

L'Europe, la bonne élève

Une accusation reprise, fin novembre 2019, par un rapport de l’ONG Oxfam et de l’association des Amis de la Terre, dénonçant "la colossale empreinte carbone" des établissements bancaires français. "En 2018, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement et d’investissement des quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE – dans le secteur des énergies fossiles ont atteint plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 4,5 fois les émissions de la France cette même année", peut-on lire noir sur blanc dans ce document. Pourtant, des annonces de grandes institutions économiques aux prises de position des acteurs financiers, tout porte à croire qu’une embellie se profile, particulièrement en Europe. Sous l’égide du forum international Paris Europlace, les professionnels s’engagent collectivement à élargir les catégories d’actifs verts sur lesquels investir. Cette finance "bio" a pour principaux promoteurs Engie, première entreprise émettrice d’obligations vertes, Amundi, fer de lance de l’asset management, ou encore l’assureur Axa. Quant aux institutions européennes, la BEI (Banque européenne d’investissement) se consacrera dorénavant au seul financement de la transition écologique. Les risques liés au climat sont de plus en plus intégrés par les principales banques centrales de l’Union européenne qui se chargeront de pénaliser les contrevenants à ces règles.

"Si l'on interdit les hydrocarbures fossiles, la plupart des méga-banques seront en faillite et elles le savent fort bien"

Le résultat ? Une explosion de l’investissement vert mondial qui caracolait à 27 000 milliards de dollars en 2018. La même année, en France, le label ISR (investissement socialement responsable), à lui seul, connaît un franc succès, engrangeant 417 milliards d’euros pour les fonds et les mandats.

Les limites de la labellisation

Cet engouement pour l’ISR ne doit pas aveugler. La labellisation verte des produits bancaires, qui assure aux clients particuliers des standards alignés avec les accords de Paris sur le climat de 2015, est aussi un levier pour améliorer leur commercialisation dans les banques privées. Certes, c’est un gage de la structuration rigoureuse des produits, soumis automatiquement à un audit et à un reporting. Mais celui-ci a ses limites. À commencer par le fait qu’il n’est basé sur aucune norme scientifique reconnue. De plus, lors de la phase de sélection des fonds d’investissement, avec régulièrement 200, voire 300 véhicules financiers, il est impossible de vérifier que toutes les entreprises listées en portefeuille d’un fonds sont effectivement aux normes green. Pire : même en étant un parangon de la finance verte, l’Europe ne parviendra pas à endiguer à elle seule les désordres climatiques. L’Union européenne ne représente que 9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan de pollution. Les actions des États-Unis et de la Chine, pour financer un nouvel ordre écologique, ne déploient pas de stratégie offensive. Le gouvernement américain se désengage de cet enjeu global qualifié, par Donald Trump de "mensonge chinois".

La Chine de Jeremy Rifkin

Quant à l’Empire du Milieu, il réduit de manière drastique ses investissements dans les énergies renouvelables. Au premier semestre 2017, ils représentaient 76 milliards de dollars. Au premier semestre 2019, ils ne se montent plus qu’à 29 milliards. Ce désengagement de la Chine peut d’ailleurs surprendre. Comment expliquer cette baisse significative, alors que le gouvernement de Xi Jinping missionne l’économiste Jeremy Rifkin, auteur du New Deal vert mondial, pour le conseiller sur les problématiques liées à la transition écologique ?

L'UE ne représente que 9% des émissions mondiales de gaz à effet de serre

La lecture de cet essai laisse parfois sceptique, particulièrement quand le brillant économiste américain décrit le modèle chinois : "La Chine s’éloigne progressivement de la vision géopolitique qui déterminerait les liens entre les nations à l’ère de la première révolution industrielle et de la deuxième révolution industrielle, au XIXe et au XXe siècle, pour adopter la vision de la biosphère propre au XXIe siècle, qui signale l’aube de l’Âge écologique." Même si la Chine émet de plus en plus de green bonds, son économie reste dépendante d’industries très polluantes et émettrices de CO2 (le secteur de l’exploitation du charbon et le ciment notamment). En se positionnant sur le marché mondial en incontournable fabricant de batteries pour les voitures électriques, la Chine a renforcé sa place de grande puissance consommatrice d’énergie primaire.

Dans de telles conditions, comment appliquer la taxonomie européenne aux grandes nations de la planète ? Pour que tous puissent embrasser ce nouvel âge écologique, peut-être devrons-nous adapter les seuils européens à la réalité économique des pays du Sud. Et abandonner nos rêves éveillés du zéro pollution grâce à la finance.

Nicolas Bauche

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