Skipper talentueux, entrepreneur innovant, Sébastien Rogues s’est lancé à la conquête d’un nouveau titre dans la Transat Jacques Vabre, ralliant Le Havre à Salvador de Bahia (Brésil). Pour mener à bien son projet, il s’est entouré d’une équipe de passionnés et bénéficie du soutien de plusieurs sponsors parmi lesquels figurent le groupe Primonial et Witam MFO. Rencontre.

Décideurs. Vous êtes un marin mais également un entrepreneur. Ce n’est pas si courant que cela dans le milieu de la voile !

Sébastien Rogues. Deux solutions se présentent aux navigateurs souhaitant pratiquer leur passion à titre professionnel. La première est d’être skipper dans une écurie importante comme le sont Thomas Coville ou Franck Cammas. À l’instar de pilotes de formule 1, ils se concentrent uniquement sur le pilotage de leur bateau. La seconde est de créer et gérer son entreprise et c’est la voie que j’ai choisie. Je suis ce que l’on pourrait appeler un « navigue-entrepreneur », un sportif de haut niveau qui gère l’ensemble de son projet d’entreprise, de la recherche de sponsor au pilotage du bateau.

Comment en êtes-vous arrivé là ?

J’ai été skipper d’une équipe sponsorisée par Engie. En 2017, le groupe a mis fin à un partenariat de dix ans, il a fallu repartir de zéro. Notre souhait était de changer de business model. En concrétisant ce nouveau projet, nous avons développé le multi-sponsoring. Autrement dit, pouvoir nous appuyer sur un sponsor majeur adossé à d’autres partenaires. La stratégie est double : limiter les risques et proposer des packages plus intéressants aux entreprises. D’ordinaire le seuil d’entrée du sponsoring dans la voile est élevé. La redéfinition de notre offre permet d’embarquer des entreprises qui hier encore n’avaient pas les moyens de s’engager à nos côtés. Le Yacht Club des Entrepreneurs vient, à ce titre, concrétiser notre nouvelle stratégie de partenariat reposant sur le digital.

« Le multi-sponsoring permet de limiter les risques et de proposer des packages plus intéressants aux entreprises »

Comment passe-t-on de la casquette de sportif à celle d’entrepreneur, deux rôles qui sont sur le papier très différents ?

Le défi de l’entreprise est dans mes gènes. Mon père était sportif de haut niveau mais également chef d’entreprise. J’ai été élevé autour des valeurs sportives et entrepreneuriales, qui sont d’ailleurs très proches. Je dis souvent que les chefs d’entreprise sont des sportifs de haut niveau. En tant que marin, on traverse l’océan atlantique une fois par an alors que les entrepreneurs passent leur année à le sillonner. Pour mon équilibre, j’ai besoin de ces deux pans d’activité. L’un et l’autre forment un seul but : la performance.

Ces multiples casquettes ne risquent-elles pas de réduire vos performances sur le voilier, par rapport à vos concurrents uniquement tournés vers la performance sportive ?

Chaque sportif a sa manière de fonctionner. Si je ne me consacrais 365 jours par an à la navigation, je ne serais pas aussi performant sur le bateau. Bien sûr, ce projet entrepreneurial prend du temps, de l’énergie et du stress. Mais savoir que nos sponsors sont ravis de notre aventure commune et de la prestation de notre équipe me permet de réaliser de meilleures performances. Dans le monde de la voile, contrairement aux athlètes ou aux cyclistes, il n’est pas nécessaire de s’entraîner 300 jours par an pour réaliser de grandes performances. C’est en effet un sport très technique où l’on passe beaucoup de temps au port.

« Mon rêve est de remporter le Trophée Jules-Verne »

Les contrats qui vous lient à vos sponsors sont conclus sur de courtes périodes. Comment gérez-vous vos projets sur le long terme alors que votre avenir financier n’est assuré que sur le court terme ?

Je dissocie les deux. Mes objectifs à long terme vont plus loin que la durée du contrat que nous avons avec le groupe Primonial. Nous espérons participer à la Route du Rhum en 2022 et passer à des tailles de bateaux plus importantes. Mais aujourd’hui, très peu d’entreprises sont capables de faire des contrats de sponsoring sur le long terme. Les chefs d’entreprise ne peuvent pas s’engager sur de longues durées. Il faut savoir vivre avec. Cela ne doit pas nous empêcher de bâtir de beaux projets. Au contraire. Je sais où je veux emmener mon entreprise et cet environnement constitue un véritable défi. À aucun moment nous ne pouvons nous reposer sur nos acquis. La seule solution est d’être bon et de créer une histoire qui donne envie à nos partenaires de se projeter avec nous dans la durée.

Quelle course souhaiteriez-vous ajouter à votre palmarès ?

Mon rêve est de remporter le Trophée Jules-Verne, un tour du monde à la voile réalisé en équipage, sans escale et sans assistance. Le record est détenu par Francis Joyon et son équipe en 40 jours23 heures 30minutes et 30 secondes.

« L’Everest de tous les marins est le Cap Horn »

Les cyclistes ont le col du Tourmalet ou l'Alpe d'Huez, les pilotes de course ont Spa-Francorchamp ou Monaco. Quel est le lieu qui vous fait rêver ?

L’Everest de tous les marins est le Cap Horn, la porte de sortie des mers du Sud. À ce jour, je n’ai pas encore eu l’opportunité d’y aller.

Quels sont les moments les plus forts que vous avez vécus sur un bateau ?

J’en retiens deux : mon arrivée en baie de Salvador de Bahia sur ma première transat et le succès de la Transat Jacques Vabre en double avec Fabien Delahaye.

Et votre plus grande frayeur ?

Au tout début de ma carrière, je suis tombé à l’eau en solitaire en pleine nuit. Je suis resté une heure et demie dans l’eau. Ma température corporelle était descendue à 33 degrés. J’avais 22 ans à l’époque et je suis passé très proche du jugement dernier. Heureusement un bateau passé par là et a pu me repêcher. Ce fut la plus grande épreuve de ma vie. On s’en remet très difficilement.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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