Comment gérer son portefeuille d’investissement en haut de cycle économique ? François de Varenne, chief executive officer de SCOR Global Investments, nous présente la stratégie mise en œuvre par un institutionnel de premier plan.

Décideurs. Comment gérez-vous le risque au sein de votre allocation d’actifs ?

François de Varenne. Le groupe SCOR évolue sous le régime prudentiel de Solvabilité 2. Tous les trois ans, à l’occasion des discussions autour de notre plan stratégique, nous examinons l’réallocation de notre capital au sein de nos trois divisions : la réassurance vie, la réassurance non-vie (ou dommages) et l’investissement.

Au terme de ce processus, le montant du capital alloué à notre portefeuille d’investissement est arrêté. Suivi de manière hebdomadaire, ce budget de risque se caractérise essentiellement par une perte financière sur un horizon d’un an. L’idée est de contrôler le risque de volatilité des actifs détenus. Nous observons une grande vigilance sur les risques de défaut, de liquidité, de contrepartie bancaire et aussi extra-financiers.

Les réassureurs évoluent dans un monde que l’on pourrait qualifier de « probabiliste ». De quelle manière cela influence-t-il votre gestion ?

Les catastrophes naturelles que nous couvrons peuvent, en effet, survenir à n’importe quel moment. En conséquence, nous prêtons attention au risque de liquidité et à notre capacité à faire face à des échéances importantes. On dispose en permanence d’un coussin de liquidités d’au moins 5 % de notre portefeuille. Un autre indicateur est scruté de près : les tombées sur notre portefeuille obligataire sur une période glissante de deux ans. Il nous permet de mesurer notre capacité à délivrer des liquidités sans avoir à vendre en urgence certains actifs. Au 30 juin 2019, ces cash-flows financiers à venir étaient estimés à EUR 6,6 milliards, soit 34% de notre portefeuille.

"On accepte que notre rendement puisse diminuer dans les années qui viennent"

Qu’en est-il des risques extra-financiers ?

C’est un sujet sur lequel SCOR se positionne parmi les plus avancés. Christiana Figueres, l’ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadres des Nations unies et l’une des grandes architectes de l’Accord de Paris, avait appelé en 2017 les investisseurs institutionnels à détenir au moins 1 % de leurs actifs en actifs libellés « vert » d’ici 2020. Aujourd’hui, nous en sommes à 7 %. SCOR mène, à ce titre, une politique d’exclusion forte, sur le tabac et certaines énergies fossiles par exemple. Nous avons la conviction qu’en nous engageant comme un investisseur responsable, nous délivrerons une rentabilité accrue dans la durée. 

Les contraintes et objectifs d’un réassureur comme SCOR et d’une mutuelle ou d’une caisse de retraite sont différents. Comment se matérialisent-elles dans la gestion de vos actifs ?

Le réassureur est le prêteur en dernier ressort de l’industrie de l’assurance. Alors que dans le monde bancaire il peut y avoir un mécanisme de garantie publique, notre environnement est exclusivement privé. Pour nos clients, il existe deux niveaux de protection : nos fonds propres et la qualité de notre portefeuille d’actifs. Pour nous, il est donc essentiel de minimiser le risque de défaut du portefeuille et de protéger la valeur de nos actifs dans la durée. Nous privilégions les investissements nous offrant des revenus récurrents. En cas de forte volatilité sur les marchés, nous n’hésitons pas à sécuriser fortement notre portefeuille.

Et par rapport aux assureurs vie ?

Leur métier vise essentiellement à transporter de l’épargne dans le temps. Au sein de leur contrat, les épargnants ont la possibilité d’effectuer des retraits à tout moment. Notre portefeuille de contrats de réassurance ne contient aucune option équivalente. Le seul cas de remboursement existant survient quand le risque se matérialise. Nos actifs nous appartiennent. Ils ne peuvent être affectés que par l’occurrence du risque et la nature de nos passifs. Cela nous permet de nous diversifier sur des actifs moins liquides.

"La question est désormais de savoir dans quel délai interviendra la prochaine récession"

Certains indicateurs mettent en avant une dégradation des principales économies mondiales alors que les risques politiques sont toujours présents. Au regard de cet environnement, quelle politique d’investissement appliquez-vous ? Sur quels actifs êtes-vous positionnés ?

La question est désormais de savoir dans quel délai interviendra la prochaine récession. La durée du cycle de crédit actuelle et les taux d’intérêt historiquement bas ont créé un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché du crédit. Les politiques d’octroi de crédit se sont considérablement assouplies. Aujourd’hui, nous rencontrons des structures et des niveaux de levier relativement tendus. Les clauses financières (covenants) protègent de moins en moins bien les investisseurs. Si la croissance continue de baisser, la génération de cash-flow des entreprises sera par conséquent plus faible et le risque de défaut de plus en plus important. Cet environnement nous a amenés à redéfinir notre stratégie obligataire. En 2018, 50 % de l’ensemble de notre portefeuille était exposé à des obligations d’entreprises. Nous avons baissé de six points cette exposition. Nous sommes également en train d’augmenter la qualité relative du portefeuille mais aussi de réduire sa duration ainsi que nos positions sur le high yield et les leveraged loans.

Où se situe le risque, selon vous ?

Je surveille de près les titres obligataires émis par les entreprises notées BBB. Un abaissement de leurs notes par les agences de notation financières pourrait les amener à quitter la catégorie Investment Grade. Ces « anges déchus » perdraient alors beaucoup de liquidités car de nombreux investisseurs seraient contraints par des aspects réglementaires à céder leur position. Notre culture est d’éviter que le portefeuille perde de la valeur. Nous essayons de détecter les prochaines grandes crises. En 2007, nous n’avions pas hésité à placer 40 % de notre portefeuille en cash. Nous sommes depuis quelque temps en alerte, prêts à prendre de nouvelles mesures. En période de retournement économique et financier, il est aussi important de dire ce que l’on ne fait pas. On ne compense pas une baisse des taux par une augmentation du risque ou un allongement de la duration. On maintient notre niveau de risque. On accepte que notre rendement puisse diminuer dans les années qui viennent.

Les dettes subordonnées bancaires ou assurantielles suscitent l’appétit des investisseurs. Est-ce votre cas ?

Nous sommes très prudents sur les subordonnées bancaires européennes et plus confortables avec celles des grandes banques américaines. Les banques européennes souffrent en effet de l’environnement de taux négatifs.

"Le marché immobilier n’est probablement pas loin de son plus haut niveau de valorisation, notamment à Paris" 

Les marchés de la dette privée ont connu un important afflux de capitaux au cours des dernières années. Cette dynamique a créé un rapport de force plus favorable aux emprunteurs. Certains notent d’ailleurs une détérioration de la protection des prêteurs. Quel regard portez-vous sur ce segment ? Y voyez-vous encore des opportunités ?

Effectivement, on constate une détérioration des conditions d’octroi de crédit avec une diminution, non seulement du nombre de covenants, mais aussi de leur niveau et de leur nature coercitive. On pense toutefois qu’il existe encore des opportunités sur certains marchés, notamment sur de la dette mezzanine et de la dette junior, en infrastructure et en immobilier.

Depuis quelques années, les institutionnels ont augmenté leur investissement vers les actifs réels : le capital investissement mais aussi les infrastructures. Qu’en est-il pour vous ?

Nous sommes amenés à augmenter nos investissements sur le private equity et les infrastructures. Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout employés à diversifier notre portefeuille sur des actifs moins liquides tels que les prêts à effet de levier (leveraged loans), les dettes d’infrastructures et les dettes immobilières. L’objectif est d’aller chercher une prime d’illiquidité sur des actifs qui disposent de sûretés protégeant le risque de défaut. 

Les prix de l’immobilier parisien atteignent des sommets. Cela freine-t-il votre politique d’investissement ?

Le marché immobilier n’est probablement pas loin de son plus haut niveau de valorisation, notamment à Paris. Nous réalisons donc moins d’acquisitions en ce moment et sommes plutôt vendeurs. Notre stratégie d’investissement sur cette classe d’actifs suit une logique « value added ». Notre choix se porte sur des actifs bien placés, sur lesquels nous réalisons des rénovations d’envergure en les mettant au plus haut standard environnemental. Dès que le bien est loué, nous le cédons dans le but de maximiser la plus-value.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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