Quels sont les véhicules les plus adaptés aux grandes fortunes pour mener à bien leurs actions philanthropiques ? Pourquoi les donations aux États-Unis sont-elles encore bien plus nombreuses qu’en France ? La réserve héréditaire est-elle un frein majeur à l’élan philanthropique ? Xavier Delsol, fondateur et coresponsable du département Organisations non lucratives du cabinet Delsol Avocats nous apporte un éclairage bienvenu sur l’environnement réglementaire et fiscal dans lequel s’inscrit l’action philanthropique.

Décideurs. Quelles sont les difficultés qui peuvent se poser à ceux qui se lanceraient dans l’action philanthropique ?

Xavier Delsol. La première difficulté est de déterminer le véhicule le mieux adapté pour donner vie à son projet. Une fondation ou un fonds de dotation constitue une solution pertinente, dès lors que le donateur souhaite concrétiser son action de manière coordonnée, dans un cadre familial ou avec son entreprise. Il est, en effet, plus facile de disposer d’un outil autonome pour utiliser à bon escient les sommes perçues. Encore faut-il pour cela accepter certaines contraintes et formalités administratives.

Quelles sont les grandes catégories de fondation ?

Il existe trois catégories principales : la fondation reconnue d'utilité publique, la fondation d’entreprise et la fondation abritée.

La fondation reconnue d'utilité publique est perçue comme la mère des fondations. Pour la créer, il est nécessaire d’y verser une dotation d’au moins deux millions d’euros et de patienter près de deux ans, pour des questions de procédure. Cette attente peut refroidir les ardeurs des plus motivés, surtout que le Conseil d’État impose dans sa doctrine que le fondateur ne puisse pas représenter plus du tiers des organes de la gouvernance. Pour toutes ces raisons, très peu de fondations de ce type ont vu le jour en France. Il ne s’en crée que quatre ou cinq par an. Mais le titre de fondation reconnue d’utilité publique a deux avantages. Le premier est d’offrir la possibilité de communiquer sur le nom de « fondation », qui est un terme protégé dont il ne faut pas minimiser l’impact. Le second est d’assurer la pérennité de la structure après la mort de son fondateur, grâce notamment au contrôle du ministère de l’Intérieur et du Conseil d’État. Un avantage que l’on ne retrouve pas dans la fondation d’entreprise, qui n’est créée que pour cinq ans (certes renouvelables), ni dans la fondation « abritée » qui est une pure convention privée entre le fondateur et la fondation abritante. Si cette dernière s’appuie sur de solides avantages sur le plan pratique, la fondation « abritée » ne dispose pas de la personnalité morale. Le fondateur n’est donc pas pleinement chez lui.

"Il ne se crée que quatre ou cinq fondations reconnues d'utilité publique par an" 

Quels sont les avantages et inconvénients d’un fonds de dotation ? Comment choisir entre créer un fonds de dotation et une fondation ?

Le fonds de dotation présente l’avantage majeur d’une grande souplesse. Une simple déclaration en préfecture suffit pour le lancer. Une agilité que l’on retrouve également dans sa gouvernance. L’administrateur peut être, s’il le souhaite, omnipotent et ainsi conserver des pleins pouvoirs. Deux inconvénients cependant, le fonds de dotation ne peut utiliser l’appellation de « fondation » et son fondateur ne peut être certain de la poursuite, à son décès, du cap qu’il avait fixé.

Pour toutes ces raisons, le choix de la structure est difficile. La question la plus importante à se poser est : comment voulez-vous que votre œuvre se perpétue à votre décès ?

La création d’une fondation pour porter les activités philanthropiques est-elle incontournable pour les grandes fortunes ?

La France compte très peu de fondations reconnues d’utilité publique, environ 600, alors qu’environ 4 000 fonds de dotation ont été créés depuis 2009, soit une moyenne de 400 par an. Les fondations abritées sont des véhicules prestigieux qui conviennent parfaitement à ceux qui ne souhaitent pas s’occuper des aspects réglementaires. Le statut de fondation n’est donc pas incontournable. Les contraintes sont importantes pour accéder à une forme de pérennité de l’action philanthropique et fédérer les enfants autour de valeurs communes.

"Dans les pays anglo-saxons, la culture du don est beaucoup plus forte"

Comment un donateur peut-il s’assurer que son action perdurera même après sa mort ?

La fondation reconnue d’utilité publique est bien sûr une solution. L’autre issue est de réaliser un legs par acte notarié (acte authentique) auquel on peut ajouter une charge, celle de transmettre à la condition que le légataire utilise les sommes ou les biens pour une cause bien précise. Une situation que l’on retrouve notamment lorsqu’une personne souhaite qu’un bien immobilier soit mis à disposition d’une association par exemple. Attention, cet avantage est limité dans le temps, entre dix et vingt ans.

Le total des donations privées aux États-Unis est supérieur à 1,5 % du PIB, contre 0,2 % en France. Comment l’expliquez-vous ? La France pourrait-elle rattraper son retard ?

C’est avant tout une question de culture et de mentalité. En France, nous avons une culture de la subvention. Nous attendons beaucoup de l’État et les contribuables sont fortement imposés. Pour certains d’entre eux, les taux d’imposition peuvent dépasser les 60 %. Ils sont donc moins enclins à donner. Dans les pays anglo-saxons, la culture du don est beaucoup plus forte, avec le souhait de « rendre à la société ce qu’on en a reçu ». Aux États-Unis, Bill Gates et Warren Buffett ont ainsi lancé une grande campagne philanthropique nommée The Giving Pledge dans laquelle ils s’engagent à transmettre une grande partie de leur patrimoine à des œuvres de bienfaisance. De nombreuses grandes fortunes les ont suivis dans leur démarche. Celles-ci sont encore très rares en France car la réserve héréditaire ne permet pas au testateur de disposer d’une pleine liberté pour transmettre son patrimoine. Je me bats donc pour la modifier, l’assouplir, même s’il ne faut pas forcément la supprimer. Mais je voudrais qu’à partir d’un certain montant ou pourcentage une personne puisse donner une partie de son patrimoine à une association ou fondation. Une idée qui, je le reconnais, reste encore mal perçue même parmi les grands philanthropes.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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