Comment les acteurs de la finance accueillent-ils la nomination de Christine Lagarde à la tête de la BCE ? Florent Delorme, Macro Spécialiste chez M&G Investments, nous apporte son éclairage.

Décideurs. De manière globale, comment est perçue Christine Lagarde par les marchés financiers ?

Florent Delorme. Christine Lagarde a une très bonne image. Sa trajectoire lui a donné une expérience significative des marchés. Elle était ministre de l’Economie, au moment de l’importante crise financière de 2008. Et, au FMI, elle était à la tête d’une équipe d’économistes qui supervisaient les marchés financiers. C’est une femme d’expérience, elle a une bonne connaissance des acteurs avec une capacité de persuasion importante auprès de la classe politique. Ces dernières années, elle ne s’est jamais prononcée contre l’assouplissement monétaire conduit par les banques centrales, en particulier la BCE. C’était une question-clé pour les marchés. Il fallait s’assurer que le successeur de Mario Draghi agisse dans sa continuité. A savoir une banque centrale qui ne soit pas orthodoxe, qui sache être accommodante et prête à faire preuve de souplesse pour assurer la cohésion de l’euro.

"Il fallait s’assurer que le successeur de Mario Draghi agisse dans sa continuité"

Christine Lagarde arrivera dans un climat de croissance modérée. Comment fera-t-elle pour maintenir une politique active ?

Elle utilisera probablement les instruments déjà mis en place par Mario Draghi qui visent à relancer le crédit et la croissance, tout en stimulant l’inflation. Christine Lagarde pourra ainsi jouer sur les différents taux pilotés par la BCE : le taux de dépôt des réserves des banques, le taux de refinancement au jour le jour des banques, et les taux des LTRO (Long Term Refinancing Operations) ; ces programmes de refinancement à moyen et long terme octroyés aux banques à des taux très compétitifs. Plus vous abaissez ces taux, plus vous les faites passer en territoire négatif. D’où une stimulation du crédit et de la croissance. L’autre instrument à sa disposition, ce sera la relance d’un éventuel quantitative easing. Il permet d’intervenir sur la courbe des taux d’intérêts à différentes maturités et donc d’abaisser les conditions de financement des entreprises et des États à long terme.

Va-t-elle intensifier le quantitative easing, le modérer ou le suspendre ?

J’ai la conviction qu’elle va poursuivre une politique très accommodante. Christine Lagarde risque de se retrouver dans une position un peu délicate : la croissance est atone dans la zone euro et le secteur industriel est en difficulté. Quant à l’inflation, elle cale à nouveau. La meilleure option est de temporiser et d’assouplir une nouvelle fois la politique monétaire. Au-delà de ses convictions personnelles, c’est l’environnement qui va imposer à Christine Lagarde la conduite à suivre.

L’une des qualités de Christine Lagarde est d’insuffler une vision géostratégique à l’économie. Sur quels pays pourrait-elle influer pour mener à bien ses actions ?

Au FMI, les réformes structurelles étaient sa thématique favorite. Elle s’y était montrée souple dans la théorie économique, tout en utilisant l’instrument budgétaire ou monétaire pour stimuler la croissance. Elle a toujours accompagné cette largesse d’une exigence de réformes structurelles, notamment la flexibilité du marché du travail ou les dépenses publiques davantage orientées vers les investissements que la dépense courante. Christine Lagarde maintiendra ces thèmes, c’est une certitude. Mais en échange d’une politique économique plus accommodante, elle exigera des Etats membres des politiques favorisant la croissance à moyen terme. Elle devrait s’adresser, en particulier, à l’Italie et à la France.

Christine Lagarde a été portée par le duo franco-allemand. A-t-elle une marge de manœuvre pour inverser la tactique de l’Allemagne ?

Elle arrive à un moment où les élites allemandes sont plus enclines que jamais à infléchir leur politique. Jusqu’à présent, la classe politique et économique était très attachée à l’orthodoxie budgétaire. Mais depuis douze mois, le modèle économique allemand est mis à mal, à cause des coups de boutoir de l’administration américaine sur le commerce international. L’économie allemande est caractérisée par le poids important de l’industrie et des exportations qui font l’essentiel de sa croissance. En voulant démondialiser, Donald Trump trouble le jeu de l’Allemagne. C’est sans doute la fin d’un cycle d’ouverture des échanges qui a duré plusieurs décennies. Les élites allemandes sont préparées à l’idée de stimuler leur croissance interne grâce à un contrôle moins strict des déficits. On pourrait ainsi passer de l’équilibre budgétaire à un petit déficit. Christine Lagarde militera certainement dans ce sens et elle a des chances d’être entendue.

Quelles mesures la BCE pourrait-elle prendre envers l’Italie ?

Poursuivre le rachat de la dette italienne dans le cadre d’un quantitative easing est une mesure possible. Les juristes de la BCE travaillent sur la possibilité, pour cette institution, de détenir plus de 33% d’une émission donnée. Lors des précédentes vagues de quantitative easing, la détention maximale d’une dette par la BCE avait été fixée à 30%. Si ce seuil est augmenté, un nouveau quantitative easing serait alors lancé. Celui-ci serait composé d’achats de titres souverains qui viendraient soulager l’Italie dont la dette continuerait à être traitée à des taux raisonnables.

Qu’attendent les gérants de fonds de la BCE ?

Les opérateurs de marché souhaitent une politique monétaire accommodante. Comme il n’y a pas d’inflation, il n’y a pas de raison de se montrer très orthodoxe. Le seul cas de figure qui justifierait de ne pas suivre un assouplissement serait celui où l’inflation reprendrait, or ce n’est pas du tout le cas. Il existe néanmoins des sources de volatilité. Je pense, par exemple, à la croissance en Chine qui ne redémarre pas aussi vite que prévu. Dans ce contexte-là, les opérateurs de marché attendent que les banques centrales, notamment la BCE, viennent réduire la volatilité du marché, en garantissant des taux de financement très bas.
 

Propos recueillis par Nicolas Bauche 

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