Guillaume Dard, président de Montpensier Finance, a exercé presque tous les métiers de la finance. Précurseur de la multigestion, cet ancien élève de Jacques Attali nous livre ses clés de lecture de l’univers de la gestion d’actifs.

Décideurs. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la gestion d’actifs ?

Guillaume Dard. Ce métier est passionnant. Il allie le sens de la perspective long terme - j’aime l’histoire et l’économie – à une analyse précise des données à l’horizon plus court. Chaque jour une nouvelle histoire s’écrit selon l’évolution de la géopolitique, l’actualité des entreprises ou l’irruption de nouvelles technologies.

Comment est né Montpensier Finance ?

Avant de créer Montpensier Finance, j’étais actionnaire de la Banque du Louvre, première structure en France à avoir pratiquer de la multigestion. Cela nous a permis de devenir le premier client français de Fidelity. Nous avons ensuite conclu différentes exclusivités avec des maisons réputées telles que Pimco, Goldman Sachs ou encore Nomura au Japon. Ainsi, nous avons pu constituer des portefeuilles de très bonne qualité. Partant de zéro en 1988, nous comptions 7 milliards d’euros d’encours sous gestion en 2000, soit environ 20 milliards d’euros aujourd’hui. Cette histoire s’inscrit dans le contexte particulier des années 1990, où la finance était plus porteuse qu’elle l’est actuellement. Au début des années 2000, la famille Taittinger, actionnaire majoritaire, a vendu ses participations au Crédit commercial de France (CCF), qui a finalement fusionné avec HSBC. J’ai ressenti le besoin de relever un nouveau défi. J’ai donc vendu mes parts et créé Montpensier Finance en 2004. Le marché avait bien intégré les vertus de la multigestion. Toutefois, il convient d’avoir en tête le principe fondateur « no process no business ». La force d’une maison de gestion est d’associer des personnes de talent en s’appuyant sur une méthodologie. La collégialité est aussi une vertu importante pour obtenir de bonnes performances.  

Suivez-vous un cheminement particulier dans votre approche ?

Il y a 25 ans, le challenge d’un gérant était de collecter toutes les informations nécessaires pour prendre la bonne décision. Aujourd’hui, le défi est de savoir trier et analyser les informations pertinentes au sein d’un déluge de données quotidiennes. Ainsi, pour notre vision globale de marché, nous nous appuyons sur une méthode intitulée MMS (Montpensier Marker Scan) fondée sur 4 piliers.

D’abord, le momentum économique, c’est-à-dire examiner l’accélération ou la décélération de la croissance. Notre indicateur est composé de données « lead et lag » comparées sur un horizon de 2 ans. Cela donne une indication sur les renversements de tendance éventuelle. Notre deuxième pilier consiste à regarder la dynamique monétaire, c’est-à-dire les politiques des banques centrales et le comportement des taux d’intérêt et des taux de change. Le troisième pilier, la valorisation des marchés regroupe les données relatives aux croissances des bénéfices, géographiques et sectorielles ainsi qu’aux return on equity, en fonction de différents scenarii. Enfin, le quatrième pilier de la méthode concerne la dynamique des marchés, au sein desquels nous analysons particulièrement les flux et les comportements techniques des dits marchés.

"Le monde est marqué par une guerre de 2 empires, les Etats-Unis et la Chine"

Comment percevez-vous le contexte géopolitique en ce début d’année ?

Le monde est marqué par une guerre de 2 empires, les Etats-Unis et la Chine, sur fond de montée du populisme et de protectionnisme. Les États-Unis ne supportent pas l’avènement de la puissance chinoise et corrélativement, la Chine doit continuer à commercer pour tenir ses équilibres financiers. Au-delà d’une guerre commerciale, ces deux puissances se livrent à un affrontement structurel, ponctué d’armistices. Cependant, personne ne peut anticiper la position que le président Donald Trump adoptera lors des négociations à venir. Par ailleurs, la montée du populisme est globale, et particulièrement marquée en Europe du sud. Le continent connaît une tendance centrifuge, due notamment au Brexit. Les Etats du Nord reprochent à ceux du Sud un comportement de « cigale ». Enfin, pour des raisons historiques, les pays de l’Est refusent l’immigration.

Les tensions monétaires sont-elles amenées à perdurer ?

Les Banques Centrales commencent à retirer de l’argent de la table. La FED a dès à présent mis en œuvre cette politique mais pourrait s’avérer plus prudente si l’économie américaine ralentit. La BCE sera sûrement attentiste. Le dollar, avec la prise en compte de plusieurs facteurs, devrait normalement évoluer entre 1,10 et 1,20 en 2019.

"La Chine est surendettée avant d’être riche"

Quelles sont vos prévisions quant à la croissance de l’économie mondiale ?

Notre premier pilier, l’indicateur d’accélération et de décélération de la croissance montre que l’économie mondiale a considérablement freiné l’année dernière. La croissance de l’économie américaine se porte encore convenablement, malgré un léger coup de frein qui la ramènera autour de 2 % en 2019. La négociation commerciale sino-américaine sera déterminante pour l’économie en 2019.

Qu’en est-il du marché chinois ?

Considérons tout d’abord la situation géopolitique de la Chine. Elle estime son accès au Pacifique insuffisant. La présence militaire américaine dans les pays de la Zone (Japon, Corée du Sud, Taiwan et Vietnam) donne l’impression aux chinois d’être encerclés. A l’Est, cela les incite à occuper toutes les chaines d’îles limitrophes et à l’Ouest à rétablir et étendre la Route de la Soie.  La population de la Chine est comparable à celle de l’Europe et d’Afrique réunie. L’Ouest est pauvre alors que la Côte Est jouit d’un niveau de vie similaire à celui d’un pays occidental.

La Chine a plusieurs problèmes : démographiquement, elle connaît une phase de vieillissement et technologiquement, elle se heurte aux Etats-Unis qui l’accuse de piratage. Elle a connu un « boom » immobilier. Ce secteur représente maintenant 74% du patrimoine des chinois. L’évolution des prix des dernières années montre l’émergence d’une bulle immobilière. De façon générale, la Chine est surendettée avant d’être riche, la dette a progressé deux fois plus vite que la croissance économique en 10 ans. Ses réserves de dollars sont très importantes mais les liquidités ne sont pas toujours dans les bons circuits. La balance des paiements risque de devenir déficitaire et le yuan, même s’il s’est repris ces dernières semaines, peut être fragilisé.

En conclusion, la Chine a besoin de relancer son économie mais ses marges de manœuvre sont limitées au-delà d’une légère baisse des taux d’intérêt et des impôts. A plus long terme, les efforts consacrés à l’éducation, aux énergies renouvelables, à la lutte contre la pollution et à l’intelligence artificielle préparent l’avenir.

 

Propos recueillis par Yacine Kadri

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