L’année 2018 a bouleversé toutes les activités du marché. Les nouvelles réglementations alourdissent le poids des obligations qui pèsent sur les professionnels. Frédérick Lacroix, avocat associé au cabinet Clifford Chance présente l’évolution du métier de conseil.

Décideurs. En tant que conseil, que pensez-vous de la consolidation du marché de la gestion d’actifs ?

Frédérick Lacroix. Dans un contexte de compression des marges, de concurrence intense et d'accroissement ininterrompu du coût de la conformité, on devrait assister dans ces prochaines années à une consolidation du marché européen, avec des rapprochements entre les acteurs importants du marché, comme cela a commencé à se faire, avec l'acquisition de Pioneer par Amundi. De même, pour les asset managers de taille plus modeste, l'enjeu peut consister à rechercher à dépasser la taille critique, ou au contraire, évoluer vers une gestion plus distinctive. Nous avons été très sollicités ces derniers temps sur ce type d'opérations et anticipons des opportunités à court ou moyen terme.

Les clients vous consultent-ils pour la rédaction de KIID ou de conventions concernant les frais de Mifid II ?

Même si MiFID II ne constitue pas, en soit, une révolution copernicienne, cette nouvelle réglementation a quand même un impact non négligeable sur le modèle de rémunération des acteurs dans la distribution des produits d'épargne et la gestion collective, en interdisant le système des rétrocessions dans le conseil indépendant et la gestion de portefeuille.  D'ailleurs, pas forcément dans le sens qui était attendu par le législateur européen.  En effet, dans le domaine de la distribution, face à la difficulté d'imposer le paradigme de la rémunération spécifique du conseil en investissement, le marché français s'est massivement orienté vers le conseil non indépendant afin de conserver la rémunération par rétrocession. Pour la même raison, on peut s'attendre à ce que les gérants ou les banquiers privés aient davantage recours à la gestion conseillée et aux services de type « execution only » au détriment de la gestion discrétionnaire sous mandat. Mais ces choix obligent cependant les acteurs à s'adapter, voire se réorganiser, pour respecter les contraintes nouvelles de MiFID II.  Dans ce contexte, les acteurs ont dû, par exemple, procéder à la revue de leurs structures de rémunération et leurs contrats de distribution.  Les questions liées à la gouvernance produit ont été nombreuses également.

En quoi votre rôle de conseil diffère – t -il du private equity ou du fonds traditionnel ?

Le rôle de l'avocat s'articule généralement autour de deux pratiques distinctes.  D'un côté, l'accompagnement des acteurs (sociétés de gestion, investisseurs, prestataires) en lien avec la création ou la restructuration de fonds.  Dans ce contexte, le rôle est plutôt de nature transactionnelle et consiste à conseiller dans la structuration des fonds, la rédaction des documents y afférents et l'accomplissement des formalités.  De l'autre, une assistance des acteurs de la gestion d'actifs au sens large dans le cadre plus général de leurs activités, sans lien direct avec une opération en particulier.  Il s'agit dans ce cas plutôt d'un rôle de conseil en matière réglementaire, souvent sur des sujets liés aux nouvelles réglementations (par exemple : EMIR, MiFID II, DDA, Sapin II, etc.). Les compétences requises sont souvent transversales, et nécessitent de mobiliser des professionnels de différentes pratiques, voire dans plusieurs pays.  À titre d'exemple, nous avons été sollicités dans le cadre de la mise en œuvre d'EMIR et des règles équivalentes du Dodd-Frank Act aux États-Unis. Depuis un plus d'un an, la préparation de nos clients au Brexit "dur" nous occupe beaucoup.  

Comment éluder un risque de distorsion de concurrence entre les États dans le cadre de la DDA ?

Les écarts de transposition entre les États membres constituent une faiblesse inhérente au travail de convergence des législations poursuivi par les directives.  Cela est d'autant plus vrai s'agissant d'une directive d'harmonisation minimale, comme c'est le cas de la DDA, car les États membres disposent d'une plus grande latitude en matière de transposition (avec, par exemple, le choix de la France d'associer le devoir de conseil à la distribution de produits d'assurance).  Au surplus, ce texte postule de l'existence d'un marché unique de l'assurance. Or, dans les faits, ce marché est très morcelé : le contrat d'assurance relève avant tout du droit local et les produits d'investissement, notamment ceux fondés sur l'assurance, obéissent à des régimes fiscaux spécifiques.  De même, en matière de distribution des produits d'épargne, dont les contrats d'assurance vie en unités de compte, les marchés peuvent être très hétérogènes, notamment au regard de l'architecture des canaux de distribution.  Ainsi, selon une étude récente de la Commission européenne, les réseaux de bancassurance représentent le modèle dominant de distribution des contrats d'assurance vie en France et en Italie, tandis qu'au Royaume-Uni et en Allemagne, ces produits sont majoritairement distribués par des courtiers ou conseillers indépendants.  Par conséquent, des divergences de réglementation sont malheureusement difficilement évitables.

Propos recueillis par Tiphanie Cliche

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