Après l’utilisation de Google Earth pour repérer les piscines non-déclarées à l’administration fiscale, celle-ci s'apprête à expérimenter sur les réseaux sociaux un système de surveillance des contribuables exposant un train de vie inadéquat avec leurs revenus déclarés.

 

Dimanche 11 novembre dernier, les contribuables français ont pu découvrir la volonté du gouvernement de surveiller, à titre expérimental, leurs publications sur les réseaux sociaux, dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale. Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics affirme qu’« il y aura la permissivité de constater que si vous vous faites prendre en photo (...) de nombreuses fois, avec une voiture de luxe alors que vous n'avez pas les moyens de le faire, peut-être que c'est votre cousin ou votre copine qui vous l'a prêtée, ou peut-être pas ».

Ce dispositif, que certains internautes dénoncent, le qualifiant de « Big Brother » à la Georges Orwell ou comme le pendant de la « Société de surveillance » de Michel Foucault, a pour vocation d’identifier des fraudes de grande envergure. Le procédé pose un certain nombre de questions quant aux aspects pratiques de sa mise en œuvre. En effet, les fraudeurs notables savent faire preuve de discrétion, et ne prendront surement pas le risque d’exposer une demeure ou un bien non déclaré sur leurs réseaux sociaux. Le gouvernement se défend sur ce point en affirmant que le caractère expérimental du processus permettra d’en apprécier l’opportunité.

L’autre obstacle concret tient à l’absence d’indication précise du jour et du lieu où la photo aura été réellement prise. En effet, il est tout à fait concevable qu’un internaute publie en hiver un cliché pris lors de ses vacances d’été dans la propriété de l’un des membres de sa famille. Cependant, la direction générale des finances publiques précise à ce propos qu’« en aucun cas des redressements n’interviendront sur la seule base de telles données, et [qu'] il n’y aura aucune inversion de la charge de la preuve : il incombera toujours à l’administration de démontrer la fraude, sur la base d’éléments objectifs. Il ne s’agit donc absolument pas d’une surveillance généralisée de tous les Français ». Les informations récoltées ne serviront donc que d’indices, pouvant aboutir à l’ouverture d’une procédure fiscale ou judiciaire, selon le niveau de fraude présumée.

Le respect de la vie privée

Lors de la présentation du dispositif  dans le cadre de la récente loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, la première réserve émise par l’opinion publique a été d’y voir une atteinte au respect de la vie privée, qui,  en France, est un droit fondamental. Selon le gouvernement, le contenu examiné par l’administration fiscale sera uniquement celui accessible publiquement par n’importe quel internaute. Pourtant, il est légitime de penser que les éléments analysés - bien que publics - constituent des données personnelles, auxquelles la protection de la vie privée s’applique. Néanmoins, si l’administration souhaite déclencher une enquête, et obtenir ce type d’informations, cette demande ne sera pas arbitraire et devra être formulée à la demande du juge. Les données qui seront collectées complèteront la base d’informations du Trésor, qui devra assurer leur stockage ainsi que la sécurité de leur conservation. Cette disposition, loin de faire l’unanimité, doit entrer en vigueur au début de l’année 2019. Néanmoins, d'autres questions restent en suspens, comme par exemple celle concernant la définition du périmètre de la notion de réseau social. À la suite de cette annonce, la Commission nationale de l’information (CNIL) - qui travaillera de concours avec l’administration fiscale - met en garde le gouvernement sur la nécessité de mettre en place des garanties en vue d’assurer le respect de la vie privée des contribuables et d’éviter un usage liberticide de leurs données personnelles.

Une première mondiale 

Le système de surveillance que la France souhaite mettre en place ne connaît aucun équivalent à l’étranger. Si le Royaume-Uni a adopté en 2017 l’« Investigatory Powers Act », surnommé aujourd’hui  « loi des fouineurs », cette législation avait initialement pour finalité la lutte contre le terrorisme. Aux États-Unis, il n’existe pas non plus de loi officielle, mais uniquement une surveillance visible par la voie des organismes de crédit. Ces entités utilisent les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter afin d’évaluer la solvabilité de leurs clients potentiels. Seule la Chine constitue - à un  niveau bien plus important - un exemple d’immixtion dans la vie privée avec un projet de surveillance et de notation des citoyens, dans le but de créer un « système de crédit social » d’ici 2020. Force est de constater que le gouvernement, qui traque les Gafam notamment sur la question de leur imposition, souhaite désormais s’en servir comme une nouvelle arme contre la fraude fiscale. Dès lors, se pose la question de l’interventionnisme des services publics dans le traitement et l'exploitation des données issues des big data.

Tiphanie Cliche

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