L’évaluation financière est un exercice de précision qui requiert une connaissance technique approfondie doublée d’une fine analyse du marché. Didier Kling, P-DG du cabinet Didier Kling Expertises et Conseil, nous livre sa vision d’un monde en pleine évolution.

Décideurs. Les derniers mois ont été pour le moins mouvementés sur la scène macroéconomique, bien qu’un vent d’optimisme souffle sur les milieux d’affaires. Quelle est votre vision du marché ?

Didier Kling. Nous vivons actuellement une époque d’euphorie que ce soit en France ou dans le monde de manière plus générale. Néanmoins, la question qui se pose est de savoir combien de temps cela va durer. Au-delà de cet enthousiasme, on observe des conditions de marché anormales dont nous ne sommes pas sortis. L’inconnue vis-à-vis de la remontée des taux est déterminante dans nos travaux puisque cela a des conséquences sur l’évaluation d’une entreprise, l’appréciation des goodwills, ou encore les ratios d’endettement. Prenons l’exemple d’un marché arrivé à maturité, des acteurs procèdent à des acquisitions, ce qui signifie que d’autres procèderont également à des achats pour se regrouper. Ainsi en l’espace de deux ans, on constate que les PER montent doucement sans savoir quand ils s’arrêteront. Il convient d’être vigilant et de savoir si l’on ne va pas se retrouver dans un contexte similaire à celui d’avant la crise. Ce qui me frappe est que les calculs complexes que nous effectuons reposent sur des hypothèses d’une extrême fragilité.

"Nous vivons actuellement une époque d’euphorie "

Lorsqu’une entreprise ne peut pas produire de croissance organique, elle a recours à des acquisitions externes dont les montants peuvent atteindre des sommets. Quelle est l’alternative pour ces champions qui veulent croître ?

Indépendamment de la croissance externe, une entreprise peut très bien améliorer ses performances de manière organique. Néanmoins, une performance de 2 % pourrait ne pas être suffisante pour contenter tous les appétits. De plus, si la croissance est jugée comme étant trop basse, le management sera inévitablement pointé du doigt. Toutefois, une limite doit être bien perçue, notamment celle de la capacité de l’entreprise à pouvoir répondre à son endettement en cas de retournement de marché.

Une des valeurs ajoutées de l’évaluateur tient à son indépendance. Quel autre élément distinctif attachez-vous à votre profession ?

Nous devons rester humbles et admettre que nous ne sommes pas dans la peau du chef d’entreprise, par ADN et par construction professionnelle. Si le chef d’entreprise a recours aux conseils, il doit néanmoins agir en son âme et conscience, tout en mesurant son risque. Notre rôle est de d’apprécier une situation et de nous prononcer sur la rationalité de la démarche.

La digitalisation est une des grandes tendances du marché. Comment percevez-vous son influence ?

En plus de l’évolution du cycle économique, c’est l’autre grande inconnue. Nous sommes face à une sorte de révolution industrielle qui ne nous indique pas quel sera l’état de l’économie dans dix ans. Ce qui est intéressant est de voir que la tendance la plus récente qui se dessine n’est pas le « tout digital » ou le « tout physique », mais bien le fait d’être les deux à la fois. Ce n’est pas seulement une question de prudence. Le commerce virtuel, hors réseaux sociaux, n’est pas entièrement dématérialisé. En effet, le produit doit être livré à l’utilisateur final. Cela entraine des questions de réglementation, et de stockage. Ainsi, les entreprises dont le business model repose sur l’immatériel vont avoir des problématiques, qui, elles, seront bien physiques.

Selon vous, quel sera le principal sujet de préoccupation de l’année 2018 ?

L’entrée en vigueur du say on pay en droit français devrait sans doute être un sujet de réflexion pour bon nombre d’entreprises cotées. Par ailleurs, un débat important s’est élevé vis-à-vis de la notion d’objet social. Il faudra observer si l’ensemble des entreprises s’inscriront dans cette tendance, en proposant une modification de leurs statuts ou pas. En fonction de la solution apportée le sort donné aux actions et leur valorisation pourrait être bien différent. Je comprends la démarche utilisée par le rapport Notat-Senard, bien que je ne sois pas certain que cela soit l’unique manière d’aborder le sujet. S’intéresser à la structure juridique de la société pour y ajouter une dimension non profit est tout à fait recevable. Ce qui est troublant est la polarisation sur la structure juridique de l’entreprise et non sur la notion d’entreprise. Fondamentalement, les créateurs d’entreprise n’ont pas pour objectif unique la quête de profit comme objectif unique.

Les derniers mois ont vu se produire une montée significative des campagnes activistes. Ces actionnaires constituent-ils un danger ou une opportunité ?

Il est toujours bon et utile d’être critiqué. La seule limite est lorsque la critique va au-delà et veut prendre le pouvoir. Je serai tenté de demander à un activiste la teneur de son projet et si celui-ci s’inscrit sur le long terme. Si un activiste monte au capital d’une entreprise pour en céder une branche d’activité, et pour faire une plus-value sur le court terme, son projet ne présente aucun intérêt. Tout dépend de la manière dont l’activiste exerce son talent.  

Propos recueillis par Yacine Kadri

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