Politique de la Banque centrale européenne, inquiétudes autour du marché obligataire, politiques fiscales, état du marché immobilier … Le chef économiste de Natixis n’élude aucune question.

Décideurs. Pour quelles raisons vous montrez-vous aussi critique envers les banques centrales ?

Patrick Artus. Je me suis simplement montré critique envers les banques centrales ayant agi dans un mauvais timing. La Fed a mis en œuvre sa politique de quantitative easing en 2008, la Banque d’Angleterre en 2009 alors que la BCE a attendue 2015. La différence est tout de même importante. En 2008 et 2009, nous étions dans une crise de liquidité bancaire après la faillite de Lehmann Brothers. En 2011 et 2012, l’Europe a dû faire face à la crise des dettes des États périphériques. En 2015, les problèmes de liquidité avaient déjà été réglés. La Banque centrale européenne a donc mis en œuvre ce quantitative easing à un moment où la liquidité était extrêmement abondante. Une politique qui a eu très peu d’effets positifs sur l’économie. Autant la Fed et la Banque d’Angleterre l’ont fait dans un bon timing. Autant la BCE l’a réalisée à contretemps. Cette décision a provoqué une très forte volatilité sur les marchés financiers et engendré des taux d’intérêt négatifs qui ont affaibli les établissements bancaires.

 

Vous estimez notamment qu’une bulle obligataire ne vas pas tarder à exploser. Conseillez-vous donc aux épargnants de se tenir éloignés du marché des obligations ?

Cette question mérite la plus grande prudence. Oui, il existe une bulle obligataire car, lorsqu’une banque centrale met en œuvre une politique de quantitative easing, elle alimente une dépréciation des taux de change qui nourrit à son tour une hausse des cours boursiers et des prix de l’immobilier. Mais cela est assez transitoire. Après 18 mois, la liquidité ainsi créée est essentiellement bloquée sur le segment obligataire. Une dynamique qui contribue au développement d’une bulle. Un épargnant qui est entré sur le marché obligataire en septembre 2016 a réalisé près de 6 % de rendement sur un an grâce à la baisse continue des taux d’intérêt. Il faut sortir de l’obligataire au moment où l’on est convaincu que les taux vont remonter. Je pense que le moment est venu.

Toutes nos études montrent que le brexit a très peu d’effet sur la zone Euro

 

Le Brexit a provoqué un véritable choc sur le plan politique en Europe. Par contre, ses conséquences économiques sont encore mal appréhendées. Quelles anticipations faites-vous ?

Nous ne pouvons pas encore parler de Brexit. Le processus de négociation de la sortie du Royaume-Uni n’a toujours pas enclenché et sera de toute manière extrêmement lent. Theresa May a annoncé le déclenchement de l’article 50 du traité pour la fin d’année 2017, ce qui veut dire que les négociations vont durer jusqu’en 2020. La très grande interrogation repose en réalité sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Europe. Aujourd’hui, on subit avant tout l’effet de la dépréciation de la livre sterling. Si les Anglais vont pouvoir exporter davantage, ils vont également devoir payer plus cher ce qu’ils importent, ce qui risque de fragiliser leur consommation. On peut également voir clairement les signes d’un ralentissement de l’économie britannique et d’une chute de l’investissement immobilier britannique. S’agissant de la zone euro, toutes nos études montrent que cela a très peu d’effet.

 

Anticipez-vous un retournement du marché immobilier français ?

Le marché immobilier résidentiel se porte très bien. Au cours des prochains mois, les taux d’intérêt ne devraient remonter que de quelques points de base. Les signaux sont donc au vert. Preuve en est, les transactions et le nombre de permis de construire déposés sont respectivement en hausse de 20 % et de 9 % sur un an. Nous avons donc devant nous deux années de redressement de l’immobilier résidentiel. Une dynamique qui fera forcement remonter les prix à moyen terme.

 

Les investisseurs peuvent-ils jouer la carte de la remontée des prix du pétrole dans les mois à venir ?

Il est à peu près certain que le prix du pétrole va durablement remonter. Le mois d’août 2016 fut très spectaculaire dans la mesure où c’est la première fois depuis 2014 que la consommation a été supérieure à la production mondiale de pétrole. Le marché est donc rééquilibré. Si cela ne s’est pas encore matérialisé sur les prix, c’est parce qu’il y a encore beaucoup de stock. La baisse des prix du pétrole avait fait chuter les investissements dans l’activité de production et d’exploration de pétrole. Ceux-ci étant passés en l’espace de trois ans de 720 à 400 milliards de dollars. Aujourd’hui, la production ne baisse plus et la demande continue d’augmenter à hauteur de 1 % par an. Principale conséquence : le marché va se tendre, sauf choc non anticipé.

 Je ne pense pas que l’on puisse dire sérieusement que la France va mieux.

 

 « La France va mieux ». Êtes-vous d’accord avec cette déclaration du chef de l’État sur la situation économique de la France ?

Je pense que la totalité de l’accélération de la croissance en France est liée à la baisse des prix du pétrole. Cela a redonné du pouvoir d’achat aux ménages, ce qui a généré de la consommation et donc de la croissance. Je suis inquiet car la remontée des prix du pétrole va reprendre du pouvoir d’achat aux ménages. Je ne vois par ailleurs aucun signe de correction de ce qui est notre véritable handicap, c’est-à-dire l’absence de modernisation du capital productif de l’économie française. Nous avons laissé vieillir notre parc industriel. Nous sommes le pays de l’OCDE ou la robotisation des équipements est la plus en retard. Je ne vois pas de signes d’amélioration à ce niveau-là. Je ne pense donc pas que l’on puisse dire sérieusement que la France va mieux.

 

Des débat politiques lancés autour de la présidentielle de 2017 surgit l’idée de la suppression de l’ISF. Cette mesure est-elle souhaitable ?

En raison du niveau élevé de nos dettes publiques, nous avons une capacité faible à baisser nos impôts. Il ne faudra pas faire de baisse d’impôt pour de simples raisons idéologiques. Concentrons-nous sur les baisses d’impôt qui produiront des effets maximum sur notre économie. Il y a un segment où cela ne fait aucun doute c’est celui du coût du travail des personnes peu qualifiées. Par ce biais, il est possible de générer une forte dynamique d’embauche de ce segment de la population active et de revenir au plein emploi. Notre chômage est avant tout celui des personnes peu qualifiées. Les ingénieurs n’ont aucun mal à trouver un emploi. Faisons donc disparaître toutes les charges sociales pour les bas salaires. La deuxième priorité devrait être la baisse de l’impôt sur les sociétés. C’est d’ailleurs ce qu’a initié le gouvernement. La taxation des profits très élevés est une plaie pour notre économie vis-à-vis des autres pays européens. 

 

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurelien)

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