Décideurs. Comment êtes-vous venu au leadership ?

David Syed. C’est l’insatisfaction à suivre les traces de la médiocrité. Quand on veut se rebeller contre un état de choses insatisfaisant, et que l’on a le courage de ses convictions, on arrête de suivre autrui docilement. Ce virage est arrivé tôt dans ma carrière. L’entreprise et sa structure me proposaient un avancement lent et limité, plafonné par mes diplômes. En réintégrant le milieu des avocats, puis en demandant et obtenant des responsabilités, notamment en créant l’antenne française d’un cabinet anglais en 1992, j’ai fait en sorte que les choses soient comme je voulais qu’elles soient. Leadership,  entrepreneuriat et esprit contestataire vont donc ensemble. Toutefois, il faut parfois être dans le système pour pouvoir orchestrer le changement.

 

Décideurs. Qu’avez-vous découvert du leadership ?

D. S. Un leader doit anticiper les mutations. Sa vision ne doit pas être statique car, quand le marché change, les objectifs, les conditions et la vision changent eux aussi. Il faut parfois modifier le cap de sa vision. Par exemple, face aux changements du marché du droit ces vingt dernières années et aux profondes mutations en cours, je ne saurais dire ce que sera le marché du droit dans vingt ans, et donc ce que sera Orrick. Avoir du leadership signifie faire changer l’organisation d’une institution et mettre en cohérence les hommes et les objectifs. L’institution, si elle se fige, est néfaste. Le leader assure la cohérence entre les hommes et l’organisation. Il doit faire naître et partager un objectif commun, s’assurer qu’il prend corps par le travail en commun des équipes. La cohérence progresse quand arrivent les premières réalisations et victoires collectives. Enfin, un leader doit savoir se remettre en cause : le leadership ne s’arroge pas, ce sont les autres qui reconnaissent et confèrent ce statut.

 

Décideurs. Quels en sont les ingrédients cachés ?

D. S. Les éléments du leadership sont nombreux et leur dosage subtil. Il faut concevoir le leadership comme un système altruiste, puisque la transmission des valeurs, du savoir et des méthodes de travail permet de fédérer, d’inspirer et de faire évoluer. Paradoxalement, dans une société de marché, transactionnelle, il faut initier une relation de confiance, c’est-à-dire partager et donner, qui sont deux choses distinctes : partager des informations, du savoir-faire et du succès par les mots ou tout autre moyen de transmission ; donner une chance et de vraies responsabilités aux talents émergents dès leurs jeunes années, et donner de son temps pour les aider à évoluer. Le leadership doit être collectif, d’où l’importance de décentraliser, de déléguer, de mettre en avant les autres. Créer une équipe de leaders est le meilleur moyen de ne pas tomber dans le péché d’orgueil et de préserver son honnêteté. Le sens de l’équité est également une qualité fondamentale du leader. Il doit avoir une idée claire de la répartition la plus juste des mérites, du savoir-faire de chacun, dans une action commune. Arbitre, le leader protège les faibles des abus de pouvoir des forts, mais exige aussi des efforts des plus faibles contributeurs. Par rapport au contrat social et aux arbitrages qui en résultent, il est dans une position délicate : c’est lui qui fait les règles ou les interprète, puis contrôle leur application. Il doit faire respecter le contrat social et s’y soumettre lui-même. Le leadership exige également la mise en oeuvre de notions plus pragmatiques comme les processus, dont je me suis longtemps désintéressé, à tort. ils servent de pivots entre le management et la stratégie.

 

Décideurs. Autres ingrédients cachés ?

D. S. Savoir tirer le constat de ses échecs et agir en conséquence. La démission est une manière d’agir lorsque le projet n’a pas abouti. Face à ces revers, il faut aller chercher, au-delà de l’évidence, les clés de la réussite future. L’introspection joue alors un rôle fondamental. Le pire ennemi du leadership est le confort : se retrouver à la tête d’une équipe, en maîtriser la stratégie et être bien rémunéré d’une part, mais rejeter le défi d’autre part. La capacité de concentration est un autre élément. Tout est fait pour nous perturber : rapidité de l’action, téléphone, e-mails, multiplication de l’information, urgences clients, etc. La concentration est au contraire fondamentale pour gérer un problème. Tous les moyens sont bons. Je vais la chercher par exemple dans le mouvement : pour étudier un document complexe, je traverse la salle de part en part. La concentration permet aussi de prioriser, d’admettre le changement face à un problème donné et d’évoluer tout en restant fidèle au meilleur de soi-même.

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