« La musique [...] est la vapeur de l’art. Elle est à la poésie ce que la rêverie est à la pensée, ce que le fluide est au liquide, ce que l’océan des nuées est à l’océan des ondes » Victor Hugo

En physique « classique », telle qu’enseignée au collège et au lycée, un même élément peut se trouver sous la forme solide, liquide ou gazeuse en fonction de facteurs externes, ces derniers pouvant entraîner un « changement d’état ».

C’est ainsi que, sous nos latitudes, le glaçon se mue en eau à 0 °C alors que le fer entre en fusion à… 1 535 °C, pour devenir totalement liquide ! Il est même convenu que tout élément chimique « élémentaire » a sa température de fusion propre : le plomb passe de solide à liquide vers 327 °C, l’or à 1 064 °C, et le carbone (ou « graphite », soit la mine d’un vulgaire « crayon à papier ») à 3 827 °C ! Au fond, tout élément peut exister à l’état liquide : ce n’est qu’une question de température.

Dit autrement, il est établi que chaque élément peut « être rendu liquide » dès lors qu’il est porté à la « bonne » température, cette dernière oscillant entre - 272 °C et + 3 827 °C, en fonction de l’élément considéré. Ce détour par la physique étant fait, nous pouvons constater qu’il en est quasi de même pour les différentes classes d’actifs sur les marchés financiers… contrairement à ce qui est couramment « enseigné ».

 

En effet, la théorie financière « moderne » de la construction de portefeuille a tôt fait de séparer les actifs constitutifs d’un patrimoine en deux classes résolument distinctes : les actifs liquides (actions, obligations, devises et monétaire) d’une part, et les actifs non liquides (immobilier, private equity, gestion alternative, produits structurés, vignobles, art, bijoux, etc.) d’autre part. Cette ségrégation a, bien entendu, le mérite de créer deux groupes a priori hermétiques, ce qui satisfait le besoin implicite d’identification et de regroupement nécessaire à l’approche théorique. Aussi faut-il reconnaître que, la plupart du temps, cette distinction sonne juste : il reste relativement aisé de vendre une ligne « actions » détenue en portefeuille, dans un contexte « normal » de marché, quand cela demande (le plus souvent) plusieurs mois pour finaliser la cession complète d’un bien immobilier, aussi beau et rare soit-il. Pour autant, les marchés financiers connaissent régulièrement – presque chaque année, des périodes allant de quelques heures à quelques semaines –, où des actifs a priori « liquides » ne peuvent plus être échangés « normalement ». « Normalement », car les actifs financiers, dans ces moments-là, ressemblent fortement aux éléments « physiques » cités plus haut : pour devenir effectivement liquides… les actifs doivent être « portés à la bonne température ».

 

Et la « bonne température » se traduit de facto en une décote de liquidité, autrement dit un abandon sur le prix « normal » : l’énergie physique pour obtenir la liquidité n’est rien moins que la décote de liquidité, en somme l’effort à apporter pour liquider la position.

Sur ces dernières années, les exemples sont légion. Bien entendu, il y a eu le marché des obligations d’entreprises, en février-mars 2009, où les décotes ont atteint 10 % à 15 % pour celui qui cherchait, à tout prix, à vendre une ligne obligataire « classique ». Plus récemment, lors du fameux « black monday » de fin août dernier, ce sont plusieurs dizaines de trackers américains, pourtant sensés être parmi les actifs les plus liquides, qui ont cessé d’être cotés par manque de liquidité des actions ou des obligations sousjacentes*.

 

Dernièrement, c’est le fonds obligataire américain The Third Avenue Focused Credit Fund qui mettait le feu aux poudres en ordonnant sa propre liquidation, ce qui se traduit par l’impossibilité de récupérer, à court terme, les montants investis, alors que la société en charge de la gestion du fonds essaye de liquider les positions dans un marché déjà fortement sinistré…

Cela nous amène donc à souligner, de nouveau, l’importance du facteur « liquidité » lorsqu’il s’agit de décider d’une allocation ou d’un choix de placement. Concrètement, nous essayerons de jauger de la liquidité réelle des placements avant d’y investir, ce

qui conduira à deux approches clairement différenciées : - Les actifs dits « liquides » doivent être liquides dans les moments difficiles, c’est-àdire vendus sans entraîner une décote significative sur le prix. Ainsi, parmi les placements usuellement dits « liquides », nous éviterons les fonds globaux aux fortes pondérations en entreprises de petites et moyennes capitalisations (« mid caps »), les obligations à très faible rendement à maturité, les produits financiers avec un sous-jacent de type « matière première » ou immobilier, etc.

 

- Pour les actifs « non liquides », nous demanderons que la nonliquidité (qui est une contrainte) du placement soit rémunérée. Cela peut passer par une décote sur le prix de l’actif sous-jacent, mais cela se traduit le plus souvent par une espérance de performance singulièrement supérieure à celle des actifs « liquides » comparables.

 

Dans ce deuxième cas, et puisque nous allons demeurer encore quelques années dans un environnement de taux européens très bas, cela peut être judicieux de se tourner davantage vers certains de ces placements dits « non liquides », afin de capter cette prime d’illiquidité qui se traduira, vraisemblablement, par un surcroît de performance. Ce défi durable qu’est la politique monétaire ultra-expansionniste de la Banque centrale européenne doit donc amener à reconsidérer avec bienveillance les pondérations globales d’un patrimoine en actifs tels que le private equity, la dette non cotée, les produits structurés, la gestion dite « alternative », etc. pour leur conférer un poids acceptable, qui n’entraîne pas une vente prématurée, et qui permette de capter, effectivement, cette vraie « prime de liquidité ». Et puisque nous sortons à peine des « fêtes de fin d’année », nous conclurons en remarquant que les grands crus n’échappent pas, eux non plus, à cette règle. S’ils sont liquides – par définition – à tout moment, c’est bien le fait de savoir conserver le flacon, dans la durée et dans des conditions ad hoc, jusqu’à la période de dégustation optimale, qui leur confère une grande part de leur valeur, tant gustative que financière !

 

À méditer… un verre à la main !

 

Xavier de Laforcade, responsable de la gestion financière, Rothschild Patrimoine

 

* Lire The Determinants of ETF Liquidity : Theory
and Evidence from European Markets, A. Calamia,
L. Deville et F. Riva, novembre 2015.

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