Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale répond sans détour à nos interrogations quant à notre environnement réglementaire et fiscal.

Décideurs. Vous vous étiez montré très sceptique sur la capacité de la France à ramener son déficit à 3,3 % du PIB en 2016. Cette conviction doit s’en trouver renforcée après les propos de François Hollande soulignant que le pacte de sécurité l’emportait sur le pacte de stabilité. Ne faudrait-il pas abandonner temporairement cet objectif ?

Gilles Carrez. Rappelons tout d’abord que l’opposition a soutenu sans ambiguïté les annonces du Congrès en matière de lutte contre le terrorisme, comme elle a soutenu le déploiement de l’opération « Sentinelle » après les attentats de janvier. La mise en œuvre du « pacte de sécurité » nous apparaît d’autant plus nécessaire que la hausse sans précédent de la menace terroriste se traduit par un surcroît d'activité important à la fois pour les forces de sécurité intérieures et extérieures. J’observe néanmoins que l’impact budgétaire de ce « pacte » se limite à environ 800 millions d’euros, si bien qu’il eût été tout à fait possible – et même souhaitable – de le compenser par des réductions de dépenses à due concurrence. Je rappelle que les dépenses du seul budget de l’État s’élèvent à près de 400 milliards d’euros, l’enjeu n’est donc pas de nature à nous exonérer des règles communautaires. De ce point de vue, je ne peux que regretter les mots du président de la République, dont le seul but était de donner des gages à l’aile gauche de sa majorité.

 

Décideurs. Comme souvent, le législateur a souhaité inciter les Français à soutenir l’économie réelle en plaçant une partie de leur épargne au capital d’entreprises. Deux mesures ont ainsi été adoptées pour rendre le PEA-PME plus attractif. Ces aménagements vous semblent-ils aller dans le bon sens ?

G. C. Le PEA-PME est un outil qui vise à drainer une épargne longue vers les actions en vue d'améliorer les conditions de financement en fonds propres des PME et ETI. C’est donc un outil essentiel pour le redémarrage de notre économie et, partant, pour la reprise de l’emploi. Or, il semble qu’il ne connaisse pas le succès escompté lors de sa mise en place. Alors qu’un peu moins de 300 sociétés se sont déclarées éligibles au dispositif, le nombre de sociétés véritablement concernées devrait s'élever à plus de 400 d'après certaines évaluations. Dans ces conditions, la simplification des critères d'éligibilité pourrait ainsi permettre une progression de plus de 50 % du nombre de PME-ETI. J’ai donc bien entendu soutenu les aménagements apportés en ce sens à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015, même si je regrette que l’on n’ait pas retenu l’élargissement de son éligibilité aux bons de souscription d’actions (BSA).

 

Décideurs. L’économie de partage mise en avant par des sociétés comme Uber, Blablacar ou Airbnb constitue une source de plus en plus importante de revenus pour les Français. Dans ce cadre, une franchise générale avait été proposée par les sénateurs de 5 000 euros sur les revenus tirés par les particuliers de leurs activités issues des plates-formes collaboratives. Cette disposition n’a finalement pas été retenue. Comment vous positionnez-vous sur le sujet ?

G. C. Je considère qu’il s’agit d’un sujet dont nous devons nous emparer, car il traduit les difficultés d’adaptation de notre droit fiscal à la numérisation de notre économie. Surtout, j’observe que les revenus perçus par les particuliers dans le cadre de l’économie collaborative sont rarement déclarés. Ils sont donc aussi rarement imposés, ce qui a des conséquences à la fois en matière de pertes de recettes pour le budget de l’État, mais aussi pour les acteurs conventionnels qui agissent sur le même marché et qui peuvent, à juste titre, invoquer une concurrence déloyale. D’un point de vue pratique, je comprends la logique générale de la franchise de 5 000 euros, qui permet de sécuriser l’imposition des revenus dépassant un seuil significatif, et dont on peut légitimement supposer qu’ils correspondent davantage à une démarche économique lucrative qu’à de simples partages. Il semble néanmoins que ce principe pose de réelles difficultés d’application. Nous attendons donc que notre collègue Pascal Terrasse ait remis son rapport au Premier ministre sur le sujet pour en tirer toutes les conséquences à l’automne prochain.

 

Décideurs. Quelles devraient être, selon vous, les priorités du gouvernement en matière fiscale ?

G. C. En matière de fiscalité, deux priorités s’imposent : réduire progressivement les prélèvements en gageant ces réductions par des économies budgétaires et rechercher la stabilité des règles fiscales. J’attends donc du gouvernement qu’il se contente de poursuivre scrupuleusement la mise en œuvre du pacte de responsabilité, notamment au titre de l’année 2017. Je rappelle en effet que sont prévus, à cette date, l’achèvement de la suppression d’un impôt qui pèse lourdement sur les facteurs de production (la C3S) ainsi que la diminution du taux de l’impôt sur les sociétés, dont le taux facial pénalise lourdement les entreprises françaises dans les comparaisons internationales. J’espère que des considérations politiques internes à une majorité divisée ne l’y feront pas renoncer. 

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

Retrouvez la suite de cet entretien dans l'édition 2016 du supplément « gestion de patrimoine & gestion d'actifs » du magazine décideurs

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