Par François Lugand, avocat associé. Arsene Taxand
Contre toute attente, la France et le Luxembourg viennent de signer un avenant à leur traité fiscal afin de rendre imposable en France les plus-values de cession de sociétés immobilières par des sociétés luxembourgeoises. Dans un contexte de marché immobilier très actif et de plus en plus international, l’auteur s’interroge sur l’impact de cette nouvelle mesure.

En Europe, le Luxembourg occupe une place prépondérante dans la gestion des actifs immobiliers. Faut-il voir dans le récent amendement, le quatrième, à la convention fiscale entre la France et le Luxembourg signé récemment par les ministres des finances des deux États, une tentative pour lui disputer ce rôle ? Non. L’objectif premier est de pouvoir accéder à une partie des profits que réalisent ces investisseurs étrangers lors de la revente de leurs actifs immobiliers situés en France.

Maintes fois annoncé, toujours espéré, cet avenant est enfin acquis aux autorités fiscales françaises. La victoire profite donc toujours à celui qui sait attendre. Les centres des impôts français n’auront plus à voir défiler des actes de cession provenant du Luxembourg sans pouvoir taxer cette valeur acquise sur des immeubles situés en France.

Le texte est volontairement large pour appréhender toute la complexité des structures immobilières actuelles. Cet avenant fait lui-même écho à un premier avenant signé en matière immobilière en 2006. Il donnait à la France le droit d’imposer les plus-values en cas de cession directe d’un immeuble détenu par une société résidente du Luxembourg. À force de patience, et dans un contexte politique plus propice à la négociation, la France obtient maintenant la possibilité d’imposer en France les cessions de titres de sociétés immobilières détenant directement ou indirectement des immeubles (ou des droits portant sur eux) en France. Or, c’est le cas de nombreuses plates-formes mises en place au Luxembourg par les investisseurs étrangers pour détenir leurs actifs en Europe. C’est donc potentiellement une manne considérable qui retombe dans le filet fiscal français tant le Luxembourg occupe aujourd’hui une place de leader en Europe dans l’industrie des fonds immobiliers où, rien que pour les fonds régulés, ce sont plus de 30?milliards d’actifs immobiliers sous gestion qui sont détenus par des fonds luxembourgeois.

Le secteur de l’investissement immobilier, notamment dans les actifs professionnels, a particulièrement bien passé la crise. Pour l’année 2014, 14,3?milliards d’actifs ont déjà changé de main au cours des neuf premiers mois. Un record qui, selon les experts, renvoie aux étiages précédents le début de la grande crise immobilière. Or, les investisseurs internationaux représentent environ 45?% de ces engagements. Presque une transaction sur deux est donc faite au profit d’un non-résident. C’est donc par la lecture indirecte de ces chiffres qu’il faut comprendre aujourd’hui la part que les sociétés luxembourgeoises représentent dans ce marché.

L’intérêt des autorités fiscales françaises ne pouvait donc pas éviter cette place que représente le Luxembourg. Pourtant, la situation fiscale du Luxembourg n’est pas une exception. Les traités fiscaux sont en principe inspirés du modèle négocié globalement dans les instances de l’OCDE. Toutefois, et c’est la difficulté, chaque traité est le résultat d’une négociation, d’un équilibre contractuel où chaque État tente d’obtenir les meilleures conditions d’imposition de ses résidents. De ce fait, en matière immobilière, l’harmonisation est loin d’être la règle et la convention Luxembourgeoise était certes incomplète en matière de plus-value immobilière par rapport au modèle de l’OCDE, mais pas plus que d’autres conventions pour ne mentionner que celles de la France avec nos voisins l’Irlande, la Belgique, l’Allemagne ou dans une certaine mesure la convention avec les Pays-Bas. Tous ces pays ont généralement fait le choix de n’imposer à l’impôt sur la plus-value que les cessions d’immeubles et non les cessions des titres de sociétés immobilières, là où la France peut en principe imposer aux deux niveaux, ce qui en fait un modèle quasi unique en Europe.

Si le tir visait donc si directement le Luxembourg, ce n’est pas pour son régime fiscal qui est assez comparable aux autres systèmes européens, mais c’est pour la place prépondérante qu’il tient dans la gestion des actifs immobiliers. L’effet visé pour ces opérateurs consiste donc à les obliger à céder leurs immeubles en payant l’impôt sur la plus-value en France et en rendant toute autre cession à «?l’étage supérieur?» dissuasive.

Il reste encore quelques réglages pour que ces nouvelles dispositions soient applicables, notamment la ratification par un vote de chacun des États. Compte tenu de l’encombrement législatif et de la lente habitude déjà prise par le Luxembourg sur l’avenant précédent, il est à ce jour probable que la France ne se voie dotée de ce nouveau dispositif qu’à compter de 2016.

Qu’en sera-t-il alors ? Les cessions directes ou indirectes de sociétés immobilières par les résidents luxembourgeois seront soumises à l’impôt sur les sociétés en France. Par le mécanisme à double détente applicable aux non-résidents - et dont on peut regretter qu’il survive encore - il faudra tout d’abord s’acquitter lors de l’enregistrement de l’acte d’un prélèvement du tiers, suivi de l’acquittement de l’impôt sur les sociétés et alors la possibilité d’imputer ledit prélèvement.
Dans cette compétition, SIIC et OPPCI ont une belle carte à jouer car l’investisseur pourra y trouver son compte du fait de l’absence d’imposition sur les revenus et les plus-values et leur relative compatibilité avec certains traités fiscaux. C’est d’ailleurs sur ce dernier axe que les autorités fiscales françaises devraient selon nous retrouver l’initiative. Sur le modèle, par exemple, des REITs anglais et en établissant une imposition sur les distributions de 15 à 20?%, applicable à tous les investisseurs, l’État français pourrait mettre en place une vraie mesure efficace et acceptable par les investisseurs.


Ce texte va avoir un double effet :
- Accélérateur dans les semaines et mois qui viennent pour permettre aux acteurs internationaux de déboucler des participations particulièrement exposées ? l’impôt par cette réforme, tant elle survient dans un contexte où le Luxembourg avait habitué des résidents au conservatisme fiscal.
- Ralentisseur, car ces nouvelles règles vont devoir être intégrées
par les opérateurs, ? double titre :
• quel sera maintenant le meilleur choix pour structurer leurs acquisitions ? Y aura-t-il d’autres solutions de détention que le Luxembourg ?
• quels taux d’imposition prendre ? la sortie dans l’estimation de leur business plan ?

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