Par Gildas Rostain, avocat associé, et David Méheut, avocat. Clyde & Co
La notion d’événement est une notion centrale en réassurance excédent de sinistres car elle détermine souvent la globalisation des sinistres pour les besoins de l’application des priorités et des pleins de garantie. L’interprétation de cette notion peut avoir un impact en millions de dollars. Le besoin de prévisibilité des dispositions contractuelles rend souhaitable de dégager une définition.

L’éternel débat en matière de réassurance excédent de sinistre (excess of loss) est de savoir si la ligne de réassurance est impactée, à quelle hauteur et combien de fois. C’est la question de la «?globalisation?» (aggregation) des sinistres, c’est-à-dire, la détermination des sinistres qui doivent s’additionner ou être traités séparément. Le cas récent ayant fait couler le plus d’encre est celui résultant de l’attaque des tours jumelles du 11?septembre 2001 (dont le règlement remonte encore les étages de la réassurance). Les «?événements?» de l’année 2011 promettent encore de longs débats.

Ces questions relèvent de la clause de globalisation dans le contrat de réassurance. Cette globalisation peut se faire par rattachement à une même cause (cause-based), ou par rattachement à un même événement (event-based) – ex. «?any one loss and/or occurrence and/or series of losses and/or occurences arising out of one event ». Dans ce dernier cas, il convient de globaliser tous les sinistres résultant d’un même event (le terme «?occurrence?» est parfois utilisé et il est dans la plupart des cas considéré comme synonyme, même si cela est source de discussion). Il s’agit donc d’identifier un même événement à l’origine des différents sinistres.

En reprenant l’exemple de l’attaque des tours jumelles, les éléments à prendre en compte pour déterminer l’événement pertinent au titre de cette clause sont essentiellement les suivants : deux tours, deux impacts d’avions, une même attaque coordonnée dans un intervalle de temps relativement court et un lieu délimité… On perçoit la complexité de l’exercice au travers de cet exemple. Cette complexité est renforcée par l’absence fréquente de définition de la notion d’événement dans le contrat (sauf en présence de clauses horaires). En outre, selon la ligne d’assurance ou l’ampleur du sinistre, une même interprétation de la clause sera en faveur de la cédante ou du réassureur.

La question est alors de savoir comment interpréter cette notion d’événement dans un contrat de réassurance soumis au droit français.

Relatif silence du droit français

Il n’existe pas, à notre connaissance, de décision judiciaire française se prononçant sur l’interprétation de la notion d’événement en réassurance. Cela s’explique par le fait que le contentieux de la réassurance est peu abondant et quasi exclusivement soumis à l’arbitrage. En outre, la notion d’événement reste une notion contractuelle et l’interprétation des contrats demeure avant tout une question de fait.

La doctrine admet que la réassurance est régie par des principes généraux au premier rang desquels figure le principe du partage du sort, notion protéiforme, signifiant essentiellement que le réassureur partage les obligations découlant de tout acte de bonne foi de la cédante qui a agi conformément à une saine pratique des affaires réassurées, la cédante étant présumée de bonne foi.

Néanmoins, le principe de partage du sort n’est d’aucun secours dans l’application des priorités et pleins de garantie d’un contrat de réassurance en excédent de sinistre. Il n’est en effet plus question de contester ou non le bien-fondé des décisions de la cédante, mais d’analyser les termes des contrats de réassurance pour déterminer comment globaliser les sinistres payés par la cédante. Dans cette mesure, le partage du sort entre la cédante et le réassureur ne vaut que pour cette partie des sinistres entrant dans la ligne de réassurance. Le problème d’interprétation reste entier.

Émergence d’une lex mercatoria

La réassurance étant un marché mondialisé où des clauses identiques ou équivalentes sont utilisées par tous les acteurs, quel que soit le droit applicable ou la nationalité des parties, il est hautement pertinent de tenir compte des solutions des droits étrangers. C’est ce que fait largement la doctrine.

La jurisprudence anglaise est très développée sur ce point. Les juges anglais partent du constat évident que de nombreux événements ont exercé un rôle causal successif sur la survenance du dommage. Tous ne peuvent être pertinents pour les besoins de la globalisation par événement. Pour sélectionner l’événement servant de base à la globalisation, il est d’abord exigé d’identifier un «?événement?» qui corresponde à la définition du terme dans le langage commun (ex. le fait de commettre toujours la même erreur ne suffit pas à ce que cette erreur puisse être qualifiée d’événement). C’est ce qui justifie principalement la distinction faite par les juridictions anglaises entre la globalisation par événement et la globalisation cause-based qui est considérée comme plus large et moins définie.

Mais pour identifier l’événement pertinent, il faut aussi faire la démonstration d’un lien de causalité fort entre cet événement et les sinistres. Pour ce faire, la pratique (depuis la sentence Dawson’s Field de 1972) a institué le test des «?unités?». Ce test suppose de faire la démonstration d’une unité de facteur (et le cas échéant d’intention), de lieu et de temps, en se plaçant du point de vue d’un «?observateur informé?».

Dans cette affaire, un groupe terroriste avait détourné quatre avions. Il fit exploser un premier au?Caire. Quelques jours après, il détruisit les trois autres en chaîne sur un terrain en Jordanie en l’espace de quelques minutes. En appliquant le test des unités, l’arbitre considéra que la première destruction devait être traitée comme un événement séparé et que la destruction des trois autres avions constituait un seul événement car il y avait suffisamment d’unité de temps, de lieu et d’action.

Ce test des unités (ultérieurement précisé et complété) reste très général mais a servi de trame à une casuistique qui offre des points de repère précieux (ex. pillages en marge d’émeutes populaires, détournements d’avions au cours d’une guerre, défauts récurrents sur une production en chaîne). Ces solutions sont reprises par certains tribunaux américains (dont le droit de la réassurance est plus proche du droit français), ce qui montre leur portée universelle.

Le droit français fondé sur les principes de bonne foi et de partage du sort est habituellement plus informel et conciliant que le droit anglais. Mais, sur une question aussi technique, la lex mercatoria ainsi dégagée apporte une certitude juridique bienvenue sans heurter les grands principes du droit français.


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