C’est l’homme qui murmure (surtout) à l’oreille des grands patrons. En pleine cession de SFR par Vivendi, le très discret banquier vedette de la maison Rothschild revient malgré lui sous les feux de l’actualité. Portrait par Émilie Vidaud.
Dans le salon feutré du 23bis avenue de Messine pas un bruit ne filtre. Secret bancaire oblige. Grégoire Chertok entre à pas de loup, sourire aux lèvres et dossiers sous le bras. Depuis quelques semaines, l’actualité est brûlante pour ce banquier d’affaires qui défend les intérêts de Bouygues Telecom au coude à coude avec Numericable pour le rachat de SFR, filiale de Vivendi.
À 47 ans, le pilier de Rothschild & Cie est estampillé orfèvre des fusions-acquisitions depuis plus de quinze ans. « À l’aube de sa trentième année, il possédait déjà des capacités exceptionnelles, un charisme incroyable et une sagesse innée », raconte Lionel Zinsou, ancien de la maison dont le vote a pesé dans la balance en 2000 pour propulser Grégoire Chertok plus jeune associé-gérant de la banque à seulement 33 ans. Dans la droite ligne des Matthieu Pigasse, dirigeant de la banque Lazard, et autres Emmanuel Macron, actuel secrétaire général adjoint de l’Élysée également passé par l’institution Rothschild, Grégoire Chertok nourrit le fantasme collectif du jeune prodige de la finance. À ceci près que le conseiller financier évite la lumière, préférant agir dans l’ombre des grands patrons auprès desquels il fait l’unanimité. Martin Bouygues, P-DG du groupe Bouygues, le décrit comme « patient, courtois et intelligent » quand Gérard Mestrallet, P-DG de GDF Suez, salue « sa fidélité et l’à-propos de ses conseils ».
Alain Minc ne s’y est donc pas trompé quand il a vu en Grégoire Chertok l’une des figures emblématiques d’une nouvelle génération de banquiers. Le financier est désormais incontournable. On le croise au QG de l’UMP, dans les couloirs des entreprises du CAC 40, aux rassemblements de Génération France, le think tank créé par Jean-François Copé en 2006 dont il est délégué général. Loin de la caricature du banquier bling-bling, ce père de quatre enfants, amoureux de l’art contemporain africain et féru de cinéma, défend depuis 2004 l’idée d’une certaine politique française au sein de Fondapol [fondation pour l’innovation politique] dont il est membre du conseil de surveillance. « Il reste des forces vives dans ce pays qui possède des atouts considérables. On regarde trop souvent le verre à moitié vide », affirme M. Chertok dont l’engagement citoyen et l’attachement à la France éveillent la curiosité. Nombreux sont ceux à lui prêter une ambition politique plus grande que ses fonctions de maire adjoint du 16e arrondissement et de conseiller régional d’Île-de-France.
Alors action ou vérité ? « On peut être banquier et citoyen », nous répond Grégoire Chertok avant de fermer une bonne fois pour toutes le clapet de la rumeur médiatique. « Certains journalistes m’ont prêté cette ambition mais j’ai toujours nié vouloir accéder à des responsabilités politiques au niveau national. »
Une vérité qui démontre que l’associé très discret de la maison Rothschild partage volontiers ses secrets et ses ambitions auprès de qui sait les écouter.

L’homme aux 150 opérations
Bouygues, GDF Suez, Casino sont ses clients. Grégoire Chertok est en général l’homme par lequel la fusion arrive. Il a eu en charge de nombreux dossiers comme la participation de Bouygues dans Alstom, la fusion de Suez avec Gaz de France, la cession du Printemps et de Conforama par PPR ou le rachat des AGF par Allianz.
« C’est un homme d’une grande finesse d’esprit. Je me souviens de discussions au cours desquelles il me donnait avec beaucoup de tact un ultime conseil pour relancer le projet de rapprochement entre Gaz de France et Suez », glisse Gérard Mestrallet, qui se fait épauler par l’associé-gérant de la rue de Messine depuis de nombreuses années. « Un banquier d’affaires doit toujours être derrière son client. C’est un métier de majordome », rappelle M. Chertok qui a conseillé en 2013 le Club Méditerranée, cible d’Axa Private Equity (aujourd’hui Ardian) et du chinois Fosun, Kering dans la cession des marques nordiques de son pôle de vente à distance et surtout Publicis dans l’opération de rapprochement avec le géant américain Omnicom. « Il a le mérite de ne pas chercher à vous pousser à la faute. C’est un homme très intègre et un fin négociateur », confirme Martin Bouygues.

Le syndrome du « meilleur ami »
« L’amitié est une richesse », déclare Grégoire Chertok. À n’en point douter, le banquier d’affaires doit être très riche tant ils sont nombreux à déclarer « c’est un ami ». En tête de file Martin Bouygues, qui nous a récemment confié que les deux hommes se retrouvent pour chasser, faire du bateau et se croisent régulièrement en Corse. « Je crois que je peux dire que c’est un ami » a ajouté le patron du groupe industriel qui n’est pas le seul à compter le banquier d’affaires parmi les membres éminents de son sérail amical. Politiciens, P-DG, acteurs, réalisateurs, artistes, jeunes talents issus des banlieues, Grégoire Chertok fait l’unanimité car ce qu’il apprécie avant tout, ce sont les rapports humains.
Parmi ses amis du cinéma, le scénariste et dramaturge français Fabrice Roger-Lacan, Édouard Baer – un ami de vingt ans – Guy Verrecchia et Alain Sussfeld [président et directeur général du groupe UGC] ou Marco Cherqui, le producteur d’Un prophète de Jacques Audiard que Grégoire Chertok retrouve avec plaisir au Festival de Cannes où il se rend chaque année.
Membre depuis 2007 du club le Siècle [le cercle d’influence où les puissants de France se restaurent une fois par mois pour mieux se coopter], cet intime des élites fréquente au-delà des batailles claniques les balladuriens, les chiraquiens, les sarkozystes et Jean-Louis Borloo.
Côté business, la famille Houzé [Galeries Lafayette], Jean-Charles Naouri [P-DG de Casino], Maurice Lévy [P-DG de Publicis] ou encore Maxime Lombardini [ancien dirigeant de TF1 et actuel directeur général de Free] le plébiscitent. « Grégoire est un éclectique passionné par l’analyse anthropologique. Sa curiosité, son amour pour les gens et son culte de la différence sont les garde-fous de sa sagesse », confie Lionel Zinsou, président de PAI Partners.

Son dada, la finance vertueuse
« Je suis engagé en faveur de l’orthodoxie financière », confie Grégoire Chertok, qui multiplie en toute discrétion les initiatives favorisant l’émergence d’une finance plus vertueuse. Depuis plus de trois ans, le banquier d’affaires accompagne à titre personnel l’ONG Ashoka, premier réseau mondial d’entrepreneurs sociaux dont la vocation est de faire émerger les innovations sociales et environnementales dans la société civile. Parmi les jeunes entrepreneurs qui ont bénéficié des conseils du pilier de la maison Rothschild figure Saïd Hammouche, devenu le chasseur de têtes attitré des banlieues en fondant son réseau Mozaïk RH.
« La parole de Grégoire est d’or. Il parle peu car c’est avant tout un homme d’action. Il comprend vite, il connecte avec pertinence et surtout il ne cherche pas à attirer la lumière sur lui. Il est discret, presque effacé », rapporte Arnaud Mourot, directeur d’Ashoka Europe, qui a conclu en 2013 un partenariat avec la maison Rothschild qui met à la disposition des entrepreneurs sociaux de l’ONG ses conseillers financiers de haut vol.

Son soutien (amical) à Copé
« Agent de liaison de Jean-François », révélait Bastien Millot, proche collaborateur de M. Copé et co-fondateur de Bygmalion, dans Le Monde du 1er mars dernier. « Le plus beau réseau de Copé », qualifiait la journaliste Martine Gilson du Nouvel Observateur dans son article du 6 décembre 2013.
Effectivement les deux hommes se téléphonent plusieurs fois par semaine. Une à deux fois par mois, Grégoire dîne chez Jean-François avec des proches de celui-ci. Régulièrement, les Copé et les Chertok partent en vacances ensemble dans la maison du banquier d’affaires située près de Porto-Vecchio. Mais quand on sait que le banquier et le politicien ont tissé une amitié vieille de vingt ans suite à une rencontre en 1992 lors d’une soirée du Banquet, est-ce si surprenant ? À cela, l’un des principaux intéressés répond sans ambages : « Je ne vois pas ce qu’il y a de si anormal lorsque l’on est amis. » Cette amitié fait pourtant les choux gras des médias qui guettent le faux pas, traquent les excès d’influence et le copinage douteux.
Dans Copé, l’homme pressé, Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin révèlent que Grégoire Chertok aurait glissé à Jean-Jacques Raquin, ex-managing partner du cabinet Gide, « vous devriez voir Copé, il songe à devenir avocat ». Flagrant délit de piston ou simple suggestion de bon aloi ? « Ce qui est compliqué à gérer c’est lorsque l’on vient du monde de l’entreprise et que l’on s’intéresse à la politique. C’est souvent mal interprété », nous répond M. Chertok.

Son tour de table chez Castel
Comment Grégoire Chertok peut-il se retrouver parmi la petite dizaine de nouveaux actionnaires du mythique établissement de Saint-Germain-des-Prés ? « C’est un tour de table orchestré par des amis », répond sans langue de bois Grégoire Chertok qui possède un peu moins de 5 % du club aux côtés de Charles Beigbeder, Thierry Costes et Laurent de Gourcuff. Parmi les investisseurs, citons également Christopher Descours, président de la holding détenant notamment Vivarte, l’acteur Gilles Lelouche et les frères Houzé, héritiers des Galeries Lafayette. De quoi transformer cet éclectique tour de table en un tour de piste prometteur lors de la réouverture de la citadelle nocturne pour politiques et businessmen, où avait eu lieu à la fin des années 1980 la fameuse soirée Tchernobyl sous la houlette du « Club des analphabètes cons mais attachants » cofondé par Frédéric Beigbeder. Simple hasard ou drôle de coïncidence, dans la liste des invités présents, on retrouve M. Copé.

La politique : jamais
Nombreux sont ceux qui lui tracent un destin politique. Certains ont décrété que c’était la suite logique à la carrière fulgurante de ce banquier précoce, quand d’autres ont cru repérer dans son soutien amical à Jean-François Copé un faisceau d’indices pour se placer sur l’échiquier de la politique nationale. Pourtant, le principal intéressé a toujours nié en bloc. « La politique à l’échelle locale, c’est ma respiration. C’est le moment où je m’engage en tant que citoyen, explique-t-il. Je n’accepterai jamais des responsabilités politiques au niveau national car cela serait incompatible avec mon métier de banquier qui me passionne. » Matthieu Pigasse, le banquier star de Lazard, lui ne fermait pas la porte à la politique en déclarant le 23 mars dernier dans l’émission Le Supplément diffusée sur Canal + : « Un jour peut-être. Je n’ai pas de parcours ni de plan de carrière. »

Son culte à Tarantino
La Vie d’Adèle est le dernier film qui l’a émerveillé : « Pour sa modernité et le jeu des actrices », confie ce grand fan du 7e Art. Mais chassez le naturel il revient au galop. Grégoire Chertok est un inconditionnel de Tarantino, qui retrace à ses yeux la complexité de la psychologie humaine couplée à la parfaite ironie de notre éphémère existence. « Tout ce que l’on fait n’est que vanité car la vie se termine de la même façon pour tout le monde », rappelle en souriant ce banquier très privé dont on n’a pas fini d’entendre parler.

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