Avec 150 projets par an, trois domaines d'intervention et quarante millions d'euros de budget, la Fondation Edf est un acteur engagé du mécénat français. Depuis le début de son mandat en 2012, Hugues Renson est aux commandes de l'institution. Rencontre. 
Décideurs. Comment la fondation sélectionne les projets qu’elle soutient ?

Hugues Renson.
Établir une liste précise de critères de sélection des projets est indispensable pour répondre à une exigence de transparence, pour limiter l’éparpillement et pour gagner en efficacité. En 2013, la Fondation EDF a repensé sa stratégie pour faire de la solidarité sa priorité. Les projets sélectionnés sont ceux qui s’inscrivent dans cette ligne : ceux qui promeuvent l’inclusion sociale, et qui contribuent à ce que chacun puisse trouver sa place dans la société. Ceux qui favorisent l’autonomie, et apportent des réponses nouvelles au vieillissement de la population et au handicap. En matière de solidarité internationale, nous avons un programme d’intervention humanitaire qui s’attelle à faire face au défi représenté par le fait qu’un quart de l’humanité qui n’a pas accès à l’électricité. Par ailleurs, nous privilégions les projets susceptibles de faire effet de levier et de se dupliquer ainsi que ceux d’une durée limitée afin d’éviter toute forme de confort ou d’automaticité de notre soutien. La localisation géographique, le caractère innovant et la mobilisation des salariés sont également des éléments déterminants.

Décideurs. Vous évoquez la mobilisation des collaborateurs. Quelles sont les difficultés inhérentes au mécénat de compétences ?

H. R.
L’implication des salariés sur des actions d’intérêt général est une dimension devenue essentielle dans le mécénat d’entreprise. Le mécénat doit être un levier de cohésion dans l’entreprise, un outil de mobilisation interne et de fierté d’appartenance. Chez EDF, chaque projet soutenu par la fondation est accompagné par un salarié « parrain/marraine ». Par ailleurs, nous faisons se rencontrer des porteurs de projets éprouvant un besoin ponctuel de compétences avec des salariés susceptibles de leur apporter un soutien. Quant au mécénat de compétences, il se différencie de ces initiatives en ce qu’il concerne des salariés qui s’engagent sur leur temps de travail. La question est donc délicate : Il faut libérer du temps, s’organiser différemment. Il est donc indispensable de définir un cadre précis pour sa mise en œuvre. Le gouvernement réfléchit actuellement aux pistes à creuser pour valoriser les expériences associatives des actifs : congé solidaire, validation des acquis de l’expérience et CV citoyen : des outils existent. Il convient de bien les préciser avant d’en généraliser l’utilisation.


Décideurs. Le mécénat est souvent perçu comme un outil d'optimisation fiscale. Est-ce sa principale motivation?

H. R.
Rappelons d’abord un principe : le mécénat est, pour une entreprise, un acte libre et volontaire. Rien ne l’oblige à le faire, contrairement à la RSE. La question est de savoir ce qui motive une entreprise à consacrer de l’argent à la réalisation d’œuvres d’intérêt général. Effectivement, elle bénéficie d’une déduction fiscale de 60 % du montant de ses dons. Mais cela n’explique pas tout ! Loin des seuls enjeux de communication, il s’agit d’agir sur un territoire, de se forger une vraie utilité sociale. La vocation du mécénat est de soutenir des actions d’intérêt général, de manière désintéressée en restant éloigné des enjeux industriels et commerciaux directs de l’entreprise. Il ne doit jamais être un prétexte à une action de compensation de l’activité de l’entreprise. Chez EDF, la fondation ne traite pas la précarité énergétique par exemple. L’enjeu est d'accompagner des porteurs de projets qui travaillent au quotidien sur le terrain et qui portent l'innovation sociale. Sans eux, il n’y a pas de mécénat.


Décideurs. Quels sont vos outils pour évaluer la valeur sociale des programmes de mécénat ?

H. R.
La question de l’évaluation est devenue primordiale, elle justifie la pertinence de l’action. Ce n’est ni un simple bilan, ni une ingérence dans la conduite du projet. Il faut trouver le juste milieu, ce qui nécessite une démarche qualitative. À mon sens, tout doit pouvoir être évalué, le projet, bien sûr, mais également la relation de partenariat, voir même le domaine d’intervention de la fondation. Le mécénat induit une notion de risque : on donne à des œuvres dont on ignore si elles auront l’impact qu’on avait escompté. Cette prise de risque, c’est la noblesse du mécénat. Mais il est essentiel d’avoir bien défini en amont les objectifs à atteindre ainsi que les indicateurs d’évaluation.


Décideurs. Entrepreneuriat social, co-création… les concepts « concurrents » se développent, qu’est-ce qui distingue le mécénat ?

H. R.
Le mécénat est d’abord le seul à bénéficier d’une fiscalité attractive, instaurée notamment par la loi de 2003. Sa spécificité, c’est de soutenir, plus que des acteurs non commerciaux, des acteurs de l’intérêt général. En réalité, toutes ces notions ne sont pas concurrentes, bien au contraire. Qu’elles s’appellent mécénat ou co-création, elles répondent toutes à un objectif commun : trouver des moyens pour faire vivre la vitalité du tissu associatif, pour dynamiser l’économie sociale et solidaire, pour venir en appui à ces multiples acteurs qui font la spécificité du modèle français. On le voit, les besoins s’accroissent mais les ressources publiques se tarissent. Mais de cette crise est née une économie de la débrouille, qui elle-même génère de l’innovation sociale. Il y a dans la société française de multiples initiatives très positives. Le monde associatif est un nouvel espace de citoyenneté, qui répond en partie à la perte de crédit de la parole publique. Ce sont, au total, des pistes nouvelles et originales pour changer de modèle, pour ne pas dire changer le monde ! Mais elles ont besoin d’être aidées. Alors oui, le recours à la philanthropie est une alternative à la crise !


Décideurs. Le financement participatif est-il le visage du mécénat de demain ?

H. R.
C’est une évolution évidemment majeure. En réalité, le mécénat a été directement impacté par la révolution numérique. Le financement participatif, notamment, a fait émerger une nouvelle forme de générosité grâce à la multiplication des micro-contributeurs. Recourir au numérique permet de toucher des publics nouveaux. Et des acteurs même anciens comme EDF doivent s'en emparer. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que la fondation soit aux avant-postes, avec une opération qu’elle a lancée il y a six ans : les Trophées des associations. Nous avons l’année dernière ouvert la sélection au vote des internautes, qui peuvent attribuer un prix d’une valeur de 10 000 euros. Dans ce type d’initiative, même ceux qui ne sont pas choisis sont, au final, gagnants. Ils acquièrent une notoriété virale nouvelle, qui génère souvent du don. Les atouts du digital sont nombreux. Mais il convient de rester attentif aux risques. Le mécénat doit faire place à une relation humaine, « physique », sensible. Par ailleurs, le cadre juridique actuel n’est pas complètement adapté à ces formes nouvelles de don. Le financement participatif, par sa nature, porte en lui un risque de dispersion. En définitive, il ne saurait être qu’une forme du mécénat de demain.

Propos recueillis par Alexandra Cauchard

Cet article fait partie du dossier Quand le mécénat réinvente la générosité 


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