Politiques et entrepreneurs : leurs vœux fiscaux pour 2010
À mi-mandat de Nicolas Sarkozy, doit-on s’attendre à une hausse des impôts, à une fiscalité plus verte ou à des taxes plus douces ? Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, entame le dialogue avec Frédéric Bedin et Hubert Reynier de CroissancePlus. Rencontre entre une voix originale de la majorité et deux représentants des dirigeants d’entreprises en forte croissance.
Décideurs : Sans doute pour ne pas avoir à assumer la suppression de l’ISF, le président de la République n’entend pas toucher au bouclier fiscal. Ce dernier a, dans le meilleur cas, évité quelques fuites vers l’étranger de grands patrimoines. Faut-il dès lors procéder à un aménagement du paquet fiscal ? Jean-François Copé : Le bouclier fiscal est un instrument que je défends sans complexe. Quand j’étais ministre du Budget, c’est moi qui avais mis en place le « premier » bouclier à 60 % des revenus (hors CSG, CRDS). Nous l’avons depuis baissé à 50 % en intégrant la CSG-CRDS. |
C’est un outil de justice et de compétitivité : qui peut prétendre qu’il est juste de prendre à une personne plus de 50 % de ce qu’elle gagne ? Et puis ce dispositif permet à notre pays de conserver et de faire revenir ses « riches » : c’est tout de même mieux pour les finances publiques que les Français les plus aisés vivent et payent leurs impôts en France plutôt qu’en Suisse ! Le bouclier fiscal a un impact positif de ce point de vue : en 2007, les départs du territoire ont baissé de 15 % et les retours ont augmenté de 10 %. Ce coup de frein aux départs, c’est la première fois depuis 2000 qu’on l’observe et ce n’est pas un hasard s’il s’est produit la première année de mise en œuvre du bouclier fiscal !
Supprimer le bouclier reviendrait à revenir sur la parole publique et à remettre en cause la stabilité fiscale : bref ce serait perdant-perdant puisque les « riches » quitteraient à nouveau la France et les classes moyennes devraient payer une part d’impôt supplémentaire pour compenser le coût de ces départs. Nous sommes d’ailleurs le dernier pays européen à avoir un impôt sur la fortune : comme la Suède, comme la Finlande avant elle, l'Espagne a supprimé son ISF. C’est pour cela que si l’on doit revenir sur le bouclier fiscal, il faudra assumer de supprimer l’ISF et de revoir la fiscalité du patrimoine. On pourrait ainsi réfléchir à une taxation des revenus du patrimoine plutôt qu’à sa détention. En clair, le fait de posséder une maison n’est pas taxé, mais le revenu de sa location l’est.
Sur le paquet fiscal, la gauche a réussi son coup : semer la confusion en réduisant la Loi TEPA au bouclier fiscal et le bouclier fiscal à des cadeaux pour les riches. Quand on regarde objectivement les chiffres, rien n’est plus faux !
D’abord, le bouclier fiscal ne représente qu’une infime partie de la loi TEPA : 458 millions d’euros, sur les 7,7 milliards de TEPA. L’essentiel ce sont d’abord des mesures pour le plus grand nombre (heures supplémentaires, crédit d’impôt pour emprunt immobilier).
Les bénéficiaires du bouclier touchent un remboursement total de 458 millions d’euros, mais avaient préalablement payé plus de 1,1 milliard d’euros d’impôt ! Et les 2/3 des bénéficiaires du bouclier fiscal sont des personnes modestes, qui perçoivent un revenu inférieur à 1 000 euros par mois.
Frédéric Bedin : Nous espérons qu’à terme l’ISF sera supprimé. En attendant, le bouclier fiscal mis en place par le gouvernement Fillon a un peu vidé de sa substance cet impôt aberrant. CroissancePlus se prononce clairement en faveur du bouclier. Ce, depuis son abaissement inscrit dans la loi TEPA de 2007, jusqu’à son maintien dans les conditions actuelles.
L’exemple des expatriés témoigne d’ailleurs de la nécessité de maintenir le bouclier. Les députés du centre ou même de droite qui remettent constamment en cause son bien-fondé et ses résultats doivent être conscients qu’ils sont à l’origine de l’insécurité qui pèse sur sa pérennité et de la démolition d’emplois liés. Le manque de constance de notre politique fiscale est non seulement source de fuite vers l’étranger et d’absence de retour sur notre sol. à un niveau plus global, toute cette insécurité fiscale nuit à la compétitivité de notre économie.
Décideurs : La suppression de l’ISF n’est pas envisagée pour l’heure. Le départ des hauts patrimoines, alors même qu’ils devraient investir, ne risque-t-il pas in fine de peser davantage sur les classes moyennes ?
J.-F. C. : C’est un vrai sujet. Plutôt que de supprimer l’ISF, qui est devenu une sorte de totem que personne n’ose attaquer frontalement, on a multiplié les mesures pour le détricoter en silence. Par exemple, et CroissancePlus était à l’origine de cette idée, on a lancé dans la loi TEPA un dispositif qui permet une réduction de 75 % de l’ISF (dans la limite de 50 000 euros par an), ainsi qu’une exonération des titres reçus, dans le cadre d’un investissement dans le capital d’une PME non cotée en Bourse, n’excédant pas 50 millions de chiffre d’affaires annuel et possédant moins de 250 salariés. C’est une bonne mesure qui permet de conserver les hauts patrimoines en France tout en soutenant les PME. Pour en accroître les bénéfices, je ne suis pas hostile à un relèvement du plafond des 50 000 euros.
Hubert Reynier : L’ISF est un symbole qui taxe le patrimoine de façon aveugle. Nous sommes davantage favorables à une hausse des salaires par transfert des charges sociales salariales et à une augmentation de la TVA. La mesure consisterait à transférer une part des cotisations salariales et des employeurs vers la TVA, en profitant de la marge de manœuvre potentielle dont dispose la France qui n’est qu’au 3e rang de l’Union européenne pour son taux d’imposition implicite de la consommation de 17,4 % contre 19,5 % en moyenne. Ce rattrapage de deux points constituerait la part de TVA sociale permettant de financer la baisse des charges sociales.
Décideurs : En 2012 le déficit public dépassera toujours les 3 % du PIB autorisés par Bruxelles. La dette publique atteindra 88 % du PIB en 2011, 90 % en 2012 et 91 % en 2013. Plus de 70 % du produit de l’IR sera uniquement consacré à financer les intérêts de la dette. En attendant, doit-on s’attendre à une augmentation des impôts ? Le cas échéant, le gouvernement doit-il faire la chasse à toutes les niches fiscales, aux expatriés et évasions fiscales ?
J.-F. C. : Pour revenir à l'équilibre une fois la crise passée, il ne suffira pas d’attendre qu'un retour de la croissance vienne remplir les caisses de l'État. Il y a trois solutions envisageables. J’écarte l'hypothèse d'une hausse massive des impôts qui freinerait la reprise, tout comme celle de l'hyperinflation qui serait la solution de facilité pour les finances publiques mais ruinerait tous les Français, en particulier nos concitoyens à revenus fixes.
À mon sens, la seule solution raisonnable est de réduire la voilure en coupant dans les dépenses inutiles et en faisant des économies.
Les niches fiscales constituent sans doute un vivier potentiel d’économies. Nous les avons déjà plafonnées pour éviter l’effet d’aubaine et que certains contribuables échappent, par leur biais, totalement à l’impôt. On doit poursuivre la réflexion en regardant niche par niche, leur utilité, leur efficacité… Même s’il ne faut pas mettre toutes les niches fiscales dans le même panier : certaines ont prouvé leur utilité et leur efficacité, nous devons les conserver. Je pense en particulier aux emplois à domicile.
Dans le même esprit, ouvrons la réflexion sur le maquis des aides aux entreprises ! Aujourd’hui, il existe plus de 6 000 aides pour un coût annuel de 65 milliards d'euros. Plus personne ne s’y retrouve et ceux qui en profitent le plus sont des chasseurs de prime ou des grandes entreprises. Bien davantage que les PME qui pourtant en ont le plus besoin.
F. B. : La proposition d’augmentation des impôts en 2012 semble assez peu probable, car peu opportune en période de campagne présidentielle. Par ailleurs, tous les rapports (Cour des comptes) tendent à prouver que le taux actuel a atteint la limite du supportable. En réponse, le financement par la dette pèse tous les jours davantage sur les épaules des générations futures, des classes moyennes et des PME.
Décideurs : La suppression de la taxe professionnelle n’a pas fini de faire débat et de laisser en suspens les questions du financement des collectivités territoriales. Comment vous situez-vous dans ce débat ?
J.-F. C. : Il n’y a pas de débat sur l’urgence de réformer la taxe professionnelle : tout le monde est d’accord pour dire qu’il fallait corriger cet impôt idiot. La taxe professionnelle, c’était une exception française qui pesait sur les investissements et nuisait à la compétitivité de notre tissu entrepreneurial, notamment dans le secteur industriel. Avec cette réforme, ce sont plus de 11 milliards d’euros qui vont revenir dans les caisses des entreprises. Ce n’est pas un chèque en blanc pour les entreprises : nous attendons d’elles en retour un arrêt des délocalisations et une reprise de l’investissement local.
Toutefois, beaucoup d’élus locaux, y compris ceux de la majorité, se sont inquiétés de cette réforme. C’est bien normal : avec 29,4 milliards d’euros en 2008, la taxe professionnelle représente environ 30 % des recettes des collectivités locales… N’importe quelle entreprise, n’importe quel ménage, émettrait des réserves sur une réforme portant sur une telle part de ses rentrées budgétaires !
C’est pourquoi les députés de la majorité ont été très vigilants pour que cette suppression de la taxe professionnelle ne se fasse au détriment d’aucune collectivité. Aujourd’hui il est clair que les collectivités ne seront pas perdantes : cette suppression sera compensée à l’euro près.
En plus, par souci de solidarité entre collectivités, les parlementaires ont insisté pour conserver une part de péréquation dans la répartition de la future contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui remplace la taxe professionnelle. Le quart de la CVAE perçue par les régions et départements sera prélevé au profit de fonds de péréquation et reversé aux collectivités selon plusieurs critères (population, bénéficiaire de minima sociaux,...). Enfin, à l’initiative de Gilles Carrez, nous avons réintroduit la territorialisation de la CVAE. Le département demeure la base de répartition de la valeur ajoutée produite, à l’exclusion d’autres critères. Cela signifie que les territoires vont garder un lien fort et direct avec les entreprises qu’elles accueillent !
F. B. : En supprimant la taxation des investissements et des outils de production, on a choisi de concentrer les impôts sur la valeur ajoutée, donc essentiellement sur l’emploi. Ce qui n’a pas beaucoup de sens dans une période de récession économique où le taux de chômage atteint des records. Il pourrait être intéressant de s’inspirer du système américain : la taxe locale a une assiette plus sophistiquée et correspond à une première tranche d’impôt sur les sociétés. Cela reviendrait en quelque sorte à instaurer un IS minimum local.
Décideurs : à l’heure où taxe carbone et fiscalité verte apparaissent, comment concilier selon vous pression fiscale supplémentaire et prise de conscience environnementale ?
J.-F. C. : C’est un équilibre vraiment difficile à trouver ! On a bien vu à Copenhague que la voie est étroite : tout le monde est conscient qu’il faut faire des efforts pour lutter contre le réchauffement climatique – et c’est déjà un progrès formidable et une source d’espoir –, mais personne – à part l’Europe aujourd’hui – ne semble vraiment prêt à en faire de peur de pénaliser son économie ! Cela va prendre du temps, mais Copenhague marque une avancée majeure dans l’évolution des mentalités. Un tel sommet était impensable il y a encore cinq ans.
En France, nous avons déjà mis en place une fiscalité verte intelligente car incitative. Et cela marche : il suffit de voir le succès du bonus-malus automobile. Nous devons trouver la même logique pour la taxe carbone qui favorisera le glissement d’une fiscalité pesant essentiellement sur le travail vers une fiscalité pesant sur les énergies polluantes. Ce qui est sûr, c’est que la décision du Conseil constitutionnel ne doit absolument pas remettre en cause l’instauration d’une fiscalité verte et de la taxe carbone. C’est un engagement que nous avons pris devant les Français, pour les générations futures.
Nous, députés, allons travailler avec le gouvernement pour trouver le juste équilibre entre la préservation de la compétitivité de nos entreprises et du pouvoir d’achat des Français d’un côté, et la protection de l’environnement de l’autre. Il n’est pas question d’opposer le respect de l’environnement à l’économie. Le développement durable doit pour nous être au contraire une source de croissance et de progrès, pour les entreprises, comme pour les Français.
Enfin, il faut aussi convaincre nos partenaires européens de la nécessité d’instaurer une taxe carbone à nos frontières sur les produits importés qui ne respectent aucune règle environnementale : il serait injuste que nos efforts écologiques se soldent par une perte de compétitivité au profit de produits étrangers moins verts !
F. B. : La fiscalité verte qui peut réveiller la conscience collective sur la fragilité de notre environnement ne doit pas permettre les abus. La taxe carbone constitue justement une nouvelle pression fiscale pour les entreprises. La suppression de la taxe professionnelle ne doit pas laisser le champ libre à de nouveaux impôts comme la taxe carbone. À taxer les mauvais, on oublie les bons. Pourquoi ne pas instaurer des bonus pour les entreprises vertueuses ?
Nous proposons au contraire un crédit d’impôt développement durable qui s’inspire du système bonus-malus. Les entreprises qui ne feront pas évoluer leur système de production subiront la taxe carbone et celles qui investiront pour réduire leur consommation d’énergie recevront un crédit d’impôt. Ces bonus CO2 pourront être octroyés aux PME qui parieront par exemple sur le télétravail.