Par Mirouna Verban, avocat associé. Arsene Taxand
Les opérations de croissance externe, de désinvestissement ou de restructuration sont susceptibles d’entraîner la perte des déficits reportables des sociétés qui les engagent ; seules les opérations portant sur les titres des sociétés déficitaires (y compris les changements de contrôle) demeurent a priori sans impact sur le report déficitaire.

Depuis fin 2011, plusieurs mesures visant à limiter la capacité des entreprises à imputer leurs déficits reportables se sont succédé. Il y a la mesure emblématique consistant à plafonner le montant du déficit imputable : pour un bénéfice supérieur à 1 M€, les déficits ne peuvent être imputés qu’à hauteur de 60% du bénéfice de l’exercice, et ce plafond devrait être abaissé à 50%, selon le projet de loi de finances pour 2013. Parallèlement, deux autres dispositifs, issus de la loi de finances rectificative pour 2012, sont venus durcir les conditions de la conservation des déficits dans le contexte d’opérations de croissance externe, de désinvestissement ou de restructuration.

Changement d’activité : le stock de déficits menacé
Le changement d’activité réelle entraîne en principe cessation d’entreprise, et par conséquent, la perte du droit au report des déficits. Jusqu’à présent, la notion de «changement d’activité réelle» n’était pas définie par la loi et la jurisprudence s’inscrivait dans un courant plutôt libéral et favorable à l’adaptation économique des entreprises. Désormais, le changement d’activité est défini par loi qui renvoie à des seuils objectifs a priori aisément vérifiables. Ainsi, un changement d’activité s’entend notamment de :

I. l’adjonction d’une activité entraînant, au titre de l’exercice de sa survenance ou de l’exercice suivant, une augmentation de plus de 50?% par rapport à l’exercice précédant celui de l’adjonction, soit du chiffre d’affaires de la société, soit de l’effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l’actif immobilisé de la société ;

II. l’abandon ou du transfert, même partiel, d’une ou plusieurs activités entraînant, au titre de l’exercice de sa survenance ou de l’exercice suivant, une diminution de plus de 50% par rapport à l’exercice précédant celui de l’abandon ou du transfert, soit du chiffre d’affaires de la société, soit de l’effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l’actif immobilisé de la société ;

III. la disparition de [l’ensemble des] moyens de production nécessaires à la poursuite de l’exploitation pendant une durée de plus de douze mois (sauf en cas de force majeure) ou lorsque cette disparition est suivie d’une cession de la majorité des droits sociaux.

Ces nouvelles règles élargissent largement les cas de perte des déficits et pourraient constituer un frein ou a minima un élément de complexité additionnel dans le cadre des opérations de restructuration ou de croissance externe. Elles s’appliquent pour la détermination des résultats clos à compter du 4 juillet 2012.
Ainsi, au regard de la législation actuelle, plus rigoureuse que le droit positif antérieur, des opérations de restructuration ou simplement des évolutions opérationnelles passées, n’emportant pourtant pas changement d’activité au moment de leur réalisation, seraient susceptibles de remettre en cause aujourd’hui le droit au report de tout ou partie des déficits. Afin de s’assurer de la validité de leur report déficitaire, et le cas échéant des impôts différés actifs constatés dans les comptes consolidés, les entreprises devront donc procéder à un audit de leurs déficits, après en avoir reconstitué le millésime, au regard de l’ensemble de leurs opérations passées.
Par ailleurs, la loi prévoit désormais la possibilité de déroger à la perte du report déficitaire, sous réserve de l’obtention d’un agrément préalable, lorsque les opérations d’adjonction, d’abandon ou de transfert constitutives d’un changement d’activité sont indispensables à la poursuite de l’activité à l’origine des déficits et à la pérennité des emplois. L’efficacité de cette procédure et, par conséquent, l’opportunité qu’elle peut présenter pour le contribuable devra être éprouvée et dépendra de l’approche du Bureau des agréments quant à l’appréciation des critères. Dans le principe, la procédure nous paraît néanmoins intéressante, car, si elle est mise en œuvre efficacement, elle devrait permettre de concilier les intérêts respectifs du contribuable (maintien des déficits, sécurité juridique) et de l’administration (contrôle des opérations).

Transfert de déficits sur agrément à l’occasion d’opérations de restructuration : conditions resserrées
Dans le cadre d’une fusion ou opération assimilée placée sous le régime de faveur, les déficits de la société apporteuse peuvent être transférés à la société bénéficiaire des apports sur agrément ; la loi de finances rectificative pour 2012 a réécrit les conditions requises pour l’octroi de l’agrément comme suit :

I. l’opération doit être justifiée du point de vue économique et obéir à des motivations principales autres que fiscales ;

II. l’activité à l’origine des déficits ne doit pas avoir subi de «changements significatifs notamment en termes de clientèle, d’emploi, de moyens d’exploitation, effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d’activité» pendant la période au titre de laquelle ces déficits ont été constatés ;

III. l’activité à l’origine des déficits doit être poursuivie pendant un délai minimum de trois ans et ne doit pas faire l’objet de «changements significatifs notamment en termes de clientèle, d’emploi, de moyens d’exploitation, effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d’activité» au cours de cette période.

Par ailleurs, le texte précise que l’agrément ne peut être accordé lorsque les déficits proviennent de la gestion d’un patrimoine mobilier par des sociétés dont l’actif est principalement composé de participations financières dans d’autres sociétés ou de la gestion d’un patrimoine immobilier.
Cette réforme reprend, assez largement, la position adoptée par l’administration dans sa doctrine ou dans le cadre de l’instruction des demandes d’agrément.
En particulier, la notion de changement significatif dans l’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandé est distincte de celle de «changement d’activité» au sens de l’article 221, 5 du code général des impôts et laisse un large pouvoir d’appréciation à l’administration fiscale.
La question de savoir si et comment le Bureau des agréments fera évoluer sa pratique dans la délivrance des agréments reste ouverte, mais on peut d’ores et déjà anticiper que le niveau de justifications requis s’en trouve accru et les engagements à souscrire renforcés. Les demandes d’agrément en vue du transfert des déficits devront sans doute toujours prospérer, mais au prix d’une procédure plus lourde et peut-être de compromis plus importants de la part
du contribuable.


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