Par Roland Poirier, avocat associé. Brandford Griffith
La question de l’introduction dans la loi d’un principe de confiance permettant de donner au contribuable une meilleure visibilité sur l’application des règles fiscales dans le temps se pose avec une acuité renouvelée dans le contexte actuel d’extrême instabilité fiscale.

Ce principe figure déjà dans la loi fondamentale et dans la loi de procédure administrative allemande (concept de vertrauensschutz). Il a été retenu par les cours suprêmes d’un certain nombre d’autres états européens. Surtout, le principe de confiance légitime fait partie des principes généraux du droit communautaire qui trouvent leur origine dans le traité fondateur de l’Union Européenne. Il vise notamment à protéger les personnes contre les changements avec effet immédiat et sans avertissement préalable des dispositions législatives ou réglementaires existantes, voire contre le non-respect des espérances légitimes suscitées par des positions administratives.
Devant les juges communautaires, les contribuables sont parfaitement admis à invoquer le principe de confiance légitime comme en témoignent plusieurs décisions (aff. 205/82 Deutsche Milchkontor e.a.). De même, devant les tribunaux français, un justiciable peut invoquer le principe de confiance légitime quand il s’agit d’appliquer le droit communautaire (par exemple CE 30?décembre 2009 SA PLGL Aventures, en matière de TVA). Toutefois les juges encadrent fortement l’application du principe, en jugeant par exemple que la loi qui se borne à modifier une situation existante pour l’avenir sans avoir de caractère rétroactif ne porte pas atteinte au principe communautaire de confiance légitime (CE 27?juin 2008, Sources Roxanes, à propos de l’instauration d’une quote-part de frais et charges sur les dividendes).
Devant les juges français, le principe de confiance légitime est écarté lorsque les dispositions légales en jeu n’ont pas pour finalité la mise en œuvre du droit communautaire (CE du 9?mai 2001, Transports Feymuth. CE 24?mars 2006, KPMG). Par voie de conséquence, bien qu’on puisse le déplorer, il n’est pas possible d’invoquer le principe de confiance légitime pour opposer à l’administration une instruction fiscale qui fait une application inexacte des règles de droit communautaire, alors même que le droit interne (article L 80 A du LPF) interdit à l’administration de faire une interprétation des lois contraire à sa doctrine publiée (CAA Douai 26?avril 2005, Sté Segafredi Zanetti France). La confiance qu’un contribuable peut accorder aux prises de position de l’administration a encore été mise à mal par l’avis rendu par le Conseil d’État le 1er?avril 2010 (SAS Marsadis) : rien n’interdit à l’administration, après qu’elle a adopté une position claire au cours d’un contentieux, de modifier ultérieurement cette position au détriment du contribuable, ce qui bannit le principe de l’estopel (avatar procédural du principe de confiance) du procès fiscal.
Le mauvais accueil fait au principe de confiance légitime en droit interne contraste avec les progrès que connaissent d’autres règles protectrices. Le Conseil d’État vient de rappeler que le principe communautaire de sécurité juridique (CJCE 21?juin 1988, aff. 257/86) s’impose aussi en droit interne (CE 30?mars 2011, Mezelle). Rappelons que ce principe exige que les règles de droit soient formulées d’une manière non équivoque en permettant à chacun de connaître ses droits et obligations de manière claire et précise. De même, un contribuable peut utilement invoquer, sur le fondement du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme, une espérance légitime de voir préservée une situation fiscale qui lui est favorable, faute de motifs d’intérêt général susceptibles de justifier la rétroactivité de la loi qui la remet en cause (CE, plénière, 9?mai 2012, EPI). Au cas particulier, le caractère rétroactif de la suppression d’un crédit d’impôt, pourtant institué pour une période donnée, a été jugé disproportionné par rapport aux buts à atteindre. Le législateur doit donc respecter un équilibre entre l’intérêt général qui exige l’instauration ou la modification d’un dispositif fiscal et la préservation des intérêts qu’un contribuable tire de la situation existante. En revanche, un contribuable ne peut fonder une espérance légitime sur le maintien à l’avenir de dispositions fiscales existantes (CE 2?juin 2010, Fondation de France, à propos de la suppression de l’avoir fiscal), ni échapper à la «?petite rétroactivité » d’une loi qu’un motif d’intérêt général justifie.
Ces avancées récentes laissent espérer que le juge cessera de se dérober devant l’indispensable actualisation des principes du droit, ou à défaut, que législateur finira par accorder au contribuable une meilleure protection contre les changements abrupts du cadre fiscal. On pense par exemple à la modification des règles de plafonnement de l’ISF quelques jours seulement avant le dépôt par les redevables de leur déclaration 2013. On pense aussi à la limitation de la déduction des moins-values décidée subitement le 16?juillet 2012 et aussitôt applicable aux cessions de titres reçus en contrepartie d’apports réalisés à compter du 19?juillet 2012. On pense encore à l’application rétroactive dès le 26?septembre 2013 «?afin d’éviter des comportements d’anticipation?» d’un taux unique de prélèvements sociaux de 15,5?% à l’ensemble des PEA et PEL ouverts, au lieu du calcul par «?tranche historique?» (commençant à 0,5?%…), etc. Ajoutons que la présentation improvisée puis le retrait instantané de mesures révolutionnaires (taxe sur l’EBE puis sur l’ENE) ne peuvent que nuire à la confiance dans le bien-fondé des lois.

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