Installé à Paris depuis onze ans, le cabinet international Charles Russell Speechlys donne un coup de fouet à son département contentieux. Simon Le Wita a rejoint Frédéric Jeannin, associé de la pratique, en 2023, puis ce fut au tour de Frédéric Dereux en 2024. Tour d’horizon du marché du risque en leur compagnie. 

Décideurs. L’agrandissement de l’équipe correspond-il à la recrudescence des contentieux liés aux risques ces derniers temps ?

Frédéric Jeannin. Dans tous les pays où il est implanté, le cabinet étend sa pratique contentieuse. D’un point de vue macro, il y a bien une augmentation du nombre des litiges en matière de responsabilité du fait des produits et de leurs enjeux. Les sujets de rappel sont monnaie courante chez les industriels. Le secteur pharmaceutique encore est un terrain de prédilection des succédanés d’actions de groupe de la part d’associations de « victimes » pilotées des confrères.

Frédéric Dereux. On vivait une période d’accalmie. Et, depuis quelques mois, crise oblige, les tensions économiques génèrent de l’anxiété et du stress, des actions et donc du contentieux. Le « quoi qu’il en coûte » touche à sa fin, l’argent ne tombe plus des caisses de l’État et les clients sont un peu plus prompts à aller se battre. Il y a un retour du contentieux et du précontentieux.

Quels types de risques font le cœur de vos conseils et des éventuelles batailles judiciaires de vos clients ?

F. J. Chacun de nous a son activité historique, qui couvre le conseil aux entreprises françaises ou étrangères – des assurés essentiellement – dans des litiges industriels concernant le secteur automobile souvent, pharmaceutiques, et la responsabilité des prestataires de services comme celle des commissaires aux comptes.

Simon Le Wita. Nous intervenons dans le fameux dossier ArcelorMittal, toujours pendant, en première instance alors que l’affaire a éclaté il y a plus de quinze ans.
Nous accompagnons des clients dans la tourmente des épidémies touchant nombre de grandes exploitations maraîchères, notamment dans le cadre d’une expertise d’envergure en cours dans les grandes serres, qui rassemble autour des assureurs toutes les parties de la chaîne d’approvisionnement de diverses nationalités. Dans un autre registre, nous conseillons un grand groupe international dans le cadre d’une expertise portant sur des sujets techniques d’automation industrielle.

F. D. Connaissant bien le secteur automobile que je pratique depuis vingt-cinq ans, je traite régulièrement des dossiers de rappel portant sur des véhicules. Je représente des équipementiers. Je suis ainsi intervenu dans l’affaire dite des « pneus tueurs ». Et dans d’autres sortes de crises : alimentaire, ou celle générée par la distribution de plateaux repas périmés à bord d’un avion. Certains de nos clients nous consultent en amont du lancement d’une activité afin de les accompagner sur l’évaluation des risques découlant de telle ou telle technologie. Entre les véhicules autonomes et les nouveaux modes de propulsion, il y a de quoi faire.

Quelles tendances de fond observez-vous sur le marché du contentieux des risques ?

F. J. On constate une multiplication des contentieux récurrents : les contentieux contractuels de fin de relation, ceux afférents à la sûreté des produits, ceux afférents aux préjudices réputationnels. Sur fond de croissance du contentieux et de crise énergétique, on observe un mouvement de sophistication de l’analyse du préjudice, qui conduit à une inflation des demandes. Ainsi, dans les dossiers de rappel de produits, les industriels tentent de transférer la totalité des coûts de rappel – des montants inouïs – sur leurs sous-traitants. Dans le secteur pharmaceutique, après les affaires du médiator ou de la depakine, ce sont des anticancéreux ou des médicaments hormonaux ayant des effets secondaires pouvant être très lourds qui donnent lieu à des actions multiples. Des actions de groupe qui n’en sont pas – puisque la class action à la française n’est pas efficace – fleurissent dans le secteur pharmaceutique et s’étendent maintenant à d’autres secteurs, comme dans le cas des moteurs Renault.

F. D. En effet, en matière de rappel de produits, les contentieux démarrent à 20 ou 25 millions d’euros. Si un modèle vendu à 1 million de pièces à 1 000 euros chacune est rappelé, le coût de l’opération s’élève à 1 milliard d’euros. C’est ainsi que le fabricant d’airbags japonais Tanaka a fait faillite, dossier qui est encore d’actualité. Autre exemple : un incendie au sein d’une usine peut mettre à l’arrêt l’industrie automobile européenne pendant plusieurs semaines. 

 

« Depuis quelques mois, crise oblige, les tensions économiques génèrent de l’anxiété et du stress, des actions et donc du contentieux »

 

Dans l’accompagnement de vos clients, favorisez-vous les procédures non contentieuses ?

F. J. Tous les modes alternatifs sont bons pour régler un litige, et la médiation en est un très efficace. Il ne s’agit plus seulement d’être diligents, proactifs et business minded. Confrontés au risque, à un litige, nous devons avoir une approche stratégique : comment le résoudre au moindre coût, rapidement en minimisant les conséquences réputationnelles et sur l’activité des clients. On conçoit ainsi aisément l’avantage que la médiation peut avoir sur une procédure contentieuse. C’est pourquoi nous sommes chacun de fervents partisans et d’actifs praticiens des Mard.

F. D. Dans la grande palette des Mard, on ignore trop souvent ce que les experts judiciaires peuvent apporter. Intervenant dans un cadre contractuel, leur appréciation technique fluidifie le débat, contrairement à ce qu’il se passe devant un juge non spécialisé. Les parties peuvent, avec la contribution d’un expert, débattre de manière éclairée, en évitant la publicité attachée à une procédure judiciaire. En risques industriels, on s’aperçoit que les compagnies d’assurance sont de moins en moins réticentes à la médiation. C’est moins cher et plus rapide que le procès classique après une expertise judiciaire. Le coût et la durée des expertises judiciaires se sont envolés en matière de risques industriels.

S. W. La prise de décision en matière contentieuse doit désormais prendre en compte les modes alternatifs de résolution du litige, ce qui nécessite donc une appréciation des risques beaucoup plus fine et en amont. Juges et législateurs poussent également à la recherche d’une solution amiable. Depuis 2003, les juges s’autorisent à opposer une fin de non-recevoir pour non-respect de certaines clauses dites d’escalade. La jurisprudence s’est assouplie dans des arrêts récents de la Cour de cassation, des cours d’appel de Paris et de Rennes. Avant eux, la clause d’escalade devait être très précise, explicite quant à l’intention des parties d’en faire une étape préalable obligatoire, et prévoir le modus operandi de résolution du litige. Les juges ont assoupli leur approche sur ces conditions, notamment sur la troisième. Ces clauses peuvent être par ailleurs cachées dans les conditions générales ou autres documents, ce qui renforce l’exigence d’une analyse précise du périmètre contractuel et, plus généralement, de l’approche d’un différend.

Un sujet à suivre ?

S. W. Les normes RSE et extra-financières et le devoir de vigilance sont un sujet récurrent qui génère une grande production
doctrinale et déjà une grande activité de conseil. Quant à leur judiciarisation, on attend encore les premières décisions signifi-
catives, notamment sur le thème de la responsabilité des « décideurs ». Toutefois, le sujet gagne déjà l’attention des juges : récemment, la charte éthique d’un industriel français que je défendais dans un contentieux de résiliation d’un contrat de distribution à l’étranger s’est retrouvée au cœur des débats.

 

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