La subrogation d’un assureur et son droit à exercer effectivement son recours sont souvent les deux ingrédients d’un beau cocktail procédural, pimenté et pétillant. Rajoutons-y un zeste d’extranéité et quelques règlements européens, et voilà qui sonne la fête ! La CJUE clarifie l’interprétation à retenir au visa de Rome II et permet d’intéressantes comparaisons avec la Convention de La Haye de 1971. 

Aux termes d’un arrêt du 17 mai 2023 (n° 264/22), la Cour de Justice l’Union européenne (CJUE) a apporté des précisions sur la loi applicable aux obligations non contractuelles prévue par le règlement n°864/2007 dit « Rome II », et plus particulièrement sur la loi qui régit la prescription de l’action du tiers subrogé dans les droits d’une personne lésée contre l’auteur d’un dommage.

Le contexte

En l’espèce, une victime de nationalité française a été percutée par l’hélice d’un bateau immatriculé au Portugal, en 2010, alors
qu’elle se baignait au large d’une plage portugaise. Dans le cadre de la demande d’indemnisation introduite devant le Fonds de ga- rantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FTGI) devant le tribunal de grande instance de Lyon, les parties sont convenues de fixer une indemnité au titre de la réparation du préjudice de la victime. L’accord a été homologué par le tribunal et le dernier paiement à la victime est intervenu le 7 avril 2014. En novembre 2016, le FGTI a assigné la compagnie d’assurance du responsable de l’accident en cause devant les juridictions portugaises afin d’obtenir le remboursement
des sommes versées à la victime. La juridiction de première instance portugaise a déclaré l’action prescrite eu égard à l’application d’un délai de trois ans prévu par le droit portugais. En cause d’appel, le FTGI faisait valoir qu’en application de l’article 19 du règlement Rome II le délai de prescription devait être déterminé en application du droit français qui prévoit qu’en matière de subrogation un délai décennal commence à courir à compter de la décision rendue par les juridictions françaises.

La décision des juridictions portugaises

C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Lisbonne a décidé de surseoir à statuer en vue de poser une question préjudicielle à
la CJUE. La question était de savoir si la loi qui régit l’action d’un tiers subrogé dans les droits d’une personne lésée contre l’auteur d’un dommage, et qui détermine plus spécifiquement les règles de prescription de cette action, est celle d’un pays où le dommage survient. 

La décision de la CJUE

Après une lecture combinée des articles 4 § 1, 15 h) et 19 du règlement Rome II, la CJUE, rappelle que le subrogé reprenant seuls les droits du tiers subrogeant, son action est soumise à la prescription applicable à la victime. Ainsi, c’est la loi du pays où le dommage survient, en l’espèce le Portugal, qui régit l’action exercée par la personne lésée contre l’auteur du dommage, et notamment de déterminer les règles applicables à la prescription applicable à cette action.

La Convention de La Haye de 1971

Parallèlement, la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière a permis d’unifier les règles de conflit de lois de 21 États, dont la France. L’article 3 de cette Convention prévoit notamment que la loi applicable à la responsabilité délictuelle découlant d’un accident de la circulation routière est la loi interne du territoire sur lequel est survenu l’accident. Or, l’on comprend bien à première lecture de l’article 2 de la Convention de La Haye que, ne sont pas couverts les recours des tiers (assureurs et/ou organismes sociaux) qui, par conséquent, relèvent d’une autre règle de conflit de lois.

La Cour de cassation (Cass. 1re Civ.13 avril 2023, n° 22-13449) a récemment précisé que n’est pas exclu du champ d’application de la dite Convention, la détermination de la loi applicable à l’obligation extra-contractuelle en vertu de laquelle la personne responsable du dommage est tenue d’indemniser la victime où l’assureur dans les droits de celle-ci. Si la Haute Cour confirme bien qu’est exclue du champ d’application de la Convention de La Haye, la mise en œuvre de l’action subrogatoire en elle-même de l’assureur contre le responsable de l’accident, celle-ci retient que l’action de l’assureur subrogé dans les droits de la victime indemnisée est soumise à la loi du pays où le dommage survient et aux règles de conflit de lois qu’elle édicte. En effet, la Cour de cassation précise bien qu’une fois le principe de la subrogation dans les droits de la victime acquis, l’assureur se retrouve dans la même situation que l’assuré victime, entraînant de facto une transmission à l’assureur de la créance de la victime contre
le responsable. On soulignera que la logique retenue par la Convention de La Haye de 1971 est similaire à celle du Règlement Rome II, la loi appliquée à la mise en œuvre de l’action de l’assureur est la loi régissant les rapports entre la victime et le responsable de l’accident. 

Action subrogatoire et prescription

Enfin, il convient de souligner que la question du point de départ de la prescription de l’action subrogatoire de l’assureur a récem-
ment été posée devant la première chambre civile Cour de cassation, qui s’est prononcée dans un arrêt du 2 février 2022 (Cass. 1re Civ.2 février 2022, n° 20-10.855). En effet, la jurisprudence française n’avait jusque-là, pas opéré de choix clair concernant l’intérêt à privilégier entre celui du débiteur et celui du créancier, rendant les points de départ de la prescription applicable au recours subrogatoire variable d’une espèce à l’autre. Sur ce point, un arrêt avait même retenu que la prescription du recours subrogatoire de l’assureur ne pouvait pas commencer à courir avant le dernier paiement (Cass. 1re Civ.11 décembre 2014, n° 13-26.416). Pour rendre son arrêt, la première chambre civile avait saisi la deuxième chambre civile d’une demande d’avis concernant le point de départ la prescription, le contentieux d’assurance lui étant dévolu prioritairement. Dans cet avis, la deuxième chambre civile a clairement rappelé que celui qui est subrogé dans les droits de la victime d’un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l’action directe de la victime. Par conséquent, le point de départ du délai de la prescription de l’assureur subrogé est identique à celui de l’action du subrogeant (Cass. 2e Civ. 3 juin 2021, Avis n° 9004). Ce raisonnement a été repris à l’identique par la première chambre civile qui a retenu que l’effet translatif de la subrogation a pour conséquence que le délai et le point de départ de la prescription applicable au subrogé sont identiques à ceux applicables au subrogeant.

L’objectif de sécurité juridique

Pour la CJUE, soumettre les règles de prescription régissant l’action exercée par le tiers subrogé dans les droits de la victime contre l’auteur d’un dommage, à la loi applicable à l’action de ce tiers, reviendrait à négliger l’économie générale du règlement européen et aux objectifs de prévisibilité à l’issue des litiges et à la sécurité quant au droit applicable. Au demeurant, les juges luxembourgeois font valoir que la subrogation qui ne vise par principe qu’à permettre au tiers subrogé d’exercer les droits du créancier, devrait être sans incidence sur la situation juridique du débiteur, lequel “devrait pouvoir invoquer contre le tiers subrogé tous les moyens de défense dont il aurait disposé contre la personne lésée, en particulier ceux relatifs aux règles de prescription”. Toutefois, l’assureur n’a donc pas davantage de droits que son assuré n’en dispose, et il ne saurait échapper à la prescription de l’action dont dispose son assuré. En définitive, la solution de la CJUE semble parfaitement s’articuler avec les solutions retenues par la Cour de cassation française. Elle a le mérite également de permettre d’éviter toutes difficultés quant à l’interprétation de la notion de subrogation de l’assureur en cas d’application du règlement Rome II. La sécurité juridique de l’auteur de l’accident, qu’il soit défendeur à une action dirigée contre lui, la victime ou son assureur ou tout tiers subrogé dans ses droits reste totalement garantie.

                                                                                         LES POINTS CLÉS

  • La Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière
    a permis d’unifier les règles de conflit de lois ;
  • L’article 2 de la Convention de la Haye ne couvre pas les recours des tiers (assureurs et/ou organismes sociaux)
    qui relèvent d’une autre règle de conflit de lois ;
  • Le subrogé reprenant seul les droits du tiers subrogeant, son action est soumise à la prescription applicable
    à la victime ;
  • La solution de la CJUE permet d’éviter toutes difficultés quant à l’interprétation de la notion de subrogation
    de l’assureur en cas d’application du règlement Rome II

                                                                                                 SUR L’AUTEUR

Vladimir Rostan d’Ancezune a commencé son activité chez Scor Business Solutions en 2003 en qualité de juriste dédié aux programmes internationaux d’assurance avant d’intégrer le barreau de Paris et le Colegio de Abogados de Buenos Aires en 2006. Il a été chargé d’enseignement et chargé de cours en assurances à l’université Paris 2-Assas pendant douze ans. Après plus de dix ans dans un précédent cabinet, il est avocat associé chez DAC Beachcroft depuis 2019 et à la tête du bureau français dont il est le fondateur. Il intervient principalement en assurance, risques industriels et RC produits, environnement, RC pro et contentieux international. Son activité est marquée à la fois en France et à l’étranger (principalement dans le monde anglo-saxon et en Amérique latine).

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