Le secteur de l’assurance poursuit sa mutation au regard de l’amplification des sinistres survenus et à venir. Polluants éternels, risques climatiques, captives… Philippe Baudin, directeur commercial de CDH, et Pierre Bonte, PDG de CET Cerutti, reviennent sur ces sujets au cœur de l’actualité.

DÉCIDEURS. Quels sont les sujets du moment ?

Philippe Baudin. Nous notons deux choses. Tout d’abord une succession de dossiers, dans les domaines pharmaceutiques et alimentaires, sur des défauts de fabrication qui entraînent un rappel des produits. Ensuite, nous voyons poindre de nouvelles problématiques, dont les PFAS. Aujourd’hui, nous n’avons pas de sinistres qui y sont liés. En revanche, nous recevons de nombreuses sollicitations pour discuter de ce sujet et des problématiques afférentes. Il y a une forte réflexion là-dessus et en tant que spécialistes, nous sommes fréquemment consultés. Le sujet est complexe d’autant que la famille est très vaste et ne revêt pas nécessairement les mêmes risques pour toutes les molécules. Il faut une réflexion posée et une évaluation pertinente des dangers.

En matière de dommages aux biens, est-ce que 2023 a été pourvoyeuse ?

Ph. B. Les sinistres de grande ampleur de l’année relèvent des dommages aux biens. Avec les événements climatiques récents, des cabinets comme le nôtre sont sollicités, et nous avons dû mobiliser de nombreux experts pour répondre aux demandes des assureurs et aux contraintes gouvernementales.

Comment faire lorsqu’il y a une pression gouvernementale ?

Pierre Bonte. Ces incursions gouvernementales sont assez perturbantes. Fort heureusement, un représentant de la fédération des sociétés d’expertise (FSE) était présent et a pu nuancer cette pression. Il y a un nombre limité d’experts en France. Lorsqu’il y a accumulation de sinistres en peu de temps (dans l’Ouest et dans le Nord à trois reprises), nos équipes ne peuvent plus faire face. Nous pouvons traiter nos dossiers à distance. Mais pour un assuré inondé, par exemple, si l’on ne va pas sur place, non seulement il n’en comprendra pas la raison, mais la qualité de l’expertise en pâtira. Nous faisons le maximum, cependant nous avons pu manquer d’experts et certaines zones ne nous ont pas été accessibles. En revanche, il y a une chose que je tiens à souligner. Une initiative innovante et originale a été prise par les pouvoirs publics : les dispositifs expérimentaux, baptisés Mirapi. « Mieux reconstruire après inondation ». Cela consiste à faire suivre l’expertise par un audit de vulnérabilité pour essayer d’améliorer la sécurité du bien sinistré lors d’un dégât récent. L’État alloue des moyens aux experts qui assurent l’audit et aux assurés qui doivent effectuer les travaux. Il y a un acte volontaire de la part des pouvoirs publics pour améliorer la durabilité des logements en zones délicates.

P. B. Dans le domaine de la construction, il y a des difficultés liées à l’expertise construction. Sans surprise, la cause principale de perturbations est la guerre en Ukraine qui touche notamment les coûts de livraison et les délais. Aux problèmes de disponibilité des matériaux s’ajoutent les problèmes de main-d’œuvre. À cela se greffe la déconfiture des grands promoteurs immobiliers. C’est un secteur qui a vécu quantité de marasmes. Ce qui engendre malfaçons et sinistres.

"Les assureurs nous demandent nos retours sur un certain nombre de dossiers sensibles"

Avez-vous constaté des sinistres inattendus ou une augmentation plus forte qu’anticipée ?

P. B. Évidemment, les risques cyber explosent et ne sont pas près de cesser. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, les cybercriminels risquent d’être encore plus efficaces et il y a nécessité à avoir des solutions nouvelles.

Ph. B. Nous constatons une évolution du métier d’expert et une augmentation du conseil (comme sur les PFAS), ce qui est lié à la croissance du groupe et à sa notoriété. Nous sommes en train de réfléchir à de nouvelles technologies qui permettront de faire du métrage plus précis, de la prévention et du repérage des risques. Nous intervenons également en matière solaire. Il est bien de développer cette énergie, mais elle crée de nouveaux risques. Les panneaux solaires peuvent prendre feu et être source d’incendie, sans compter les orages et la grêle qui les endommagent.

Les assureurs nous demandent nos retours sur un certain nombre de dossiers sensibles, quel que soit le domaine. Ils veulent ainsi acquérir de l’expérience et voir comment leurs ingénieurs prévention peuvent intégrer des garanties sur certains types d’activités. Nous sommes ceux qui apportent cette expérience. C’est ce sur quoi l’on essaie de capitaliser chez CET Cerutti et CDH. Nous sommes des techniciens qui comprenons et sommes capables d’apporter un conseil. Notion qui est importante en assurance.

P. B. Nous modélisons aussi des événements à venir. À titre d’exemple, nous étions sur les dossiers de la dune du Pilat. À l’occasion des sinistres, nous avons été amenés à scanner les quatre campings les plus touchés. L’objectif était de modéliser les fronts de flamme, la façon dont ils ont ravagé les zones et de mettre notamment en avant des défauts de débroussaillage pour déterminer les responsabilités. En faisant le bilan avec les dirigeants des campings et les courtiers, nous nous sommes rendu compte que l’analyse des lieux les intéressait pour reconcevoir les bâtiments. Ils nous ont demandé si, en plus de l’incendie, nous pouvions modéliser l’augmentation du niveau des eaux. Connaissant le relief que l’on avait scanné, nous pouvions déterminer les zones où il était possible, ou non, d’installer de nouveaux bungalows en simulant différents niveaux de montée des eaux à terme. Nous sommes aussi en partenariat avec un partenaire spécialisé dans les vues à partir de satellites pour observer en temps réel la propagation d’un incendie ou autre. Nous croyons à ces nouvelles technologies qui doivent aider les assureurs à mieux identifier les primes et surtout effectuer de la prévention auprès d’un dirigeant de camping par exemple. Pour qu’encore une fois nous les aidions à réduire le risque.

On devient expert ante- et post-sinistre ?

P. B. C’est exactement ça. Ante- pour pouvoir proposer des améliorations avant sinistres. C’est quelque chose que nous souhaitons développer dans le groupe.

"Pour certaines captives, nous sommes entièrement inclus dans l’entreprise et intervenons pour son compte"

Que voyez-vous poindre dans les mois à venir ?

P. B. Un nombre certain de sociétés mettent en place des captives. Dans ce cadre, elles ont besoin d’un expert unique. Celui-ci interviendra pour les défendre et dans certains cas gérera le sinistre sans le déclarer à l’assureur, jusqu’au seuil au-delà duquel il estimera qu’une déclaration est nécessaire. Il existe aussi des collectivités qui ne trouvent plus d’assureur et s’auto-assurent. Nous n’avons cependant pas été sollicités jusqu’alors sur ces cas-là.

Ph. B. Nous sommes déjà présents aux côtés de grands industriels alimentaires qui ont leur propre captive pour une intervention ponctuelle. Pour certaines captives, nous sommes entièrement inclus dans l’entreprise et intervenons pour son compte . D’autres font gérer la captive par l’assureur, situations dans lesquelles nous intervenons aussi. Nous devons garder nos réflexes d’experts et notre subjectivité pour bien protéger l’entreprise, mais ensuite nous prenons parti pour l’entreprise, car nous sommes mandatés par elle. Dès lors que nous intervenons dans une captive, nous avons un rôle de conseil. Dans la gestion de certaines crises, certains dommages, nous devons former les équipes de l’entreprise pour appréhender ce type de sinistres. La palette de services va au-delà de la simple gestion du sinistre, de la responsabilité civile ou du dommage. L’implication est plus grande. Des experts généralistes n’interviennent pas. Il faut être spécialiste, bien connaître son métier, avoir de l’expérience et bien conseiller l’industriel pour sa captive.

Prochains rendez-vous

02 octobre 2024
Sommet du Droit en Entreprise
La rencontre des juristes d'entreprise
DÉJEUNER ● CONFÉRENCES ● DÎNER ● REMISE DE PRIX

Voir le site »

02 octobre 2024
Rencontres du Droit Social
Le rendez-vous des acteurs du Droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER  

Voir le site »

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024