Face à la multiplication récente des crises et bouleversements mondiaux, la notion de force majeure est redevenue cruciale dans le monde des affaires pour tenter de se libérer de ses obligations contractuelles. Les juges conservent un pouvoir discrétionnaire d’appréciation en la matière, même en présence de clauses contractuelles permettant de limiter les cas et conditions de la force majeure.

La notion de force majeure, bien que codifiée depuis la réforme du droit des obligations de 20161, reste au cœur des débats juridiques. Malgré des critères définis2, la jurisprudence demeure ­casuistique, démontrant la complexité de son application.

De fait, la force majeure, définie comme un événement imprévisible et irrésistible, permettant au débiteur d’une obligation contractuelle de justifier de son inexécution sans mise en cause de sa responsabilité, reste soumise à l’appréciation du juge. Récemment, plusieurs arrêts ont confirmé cette approche, même en présence de clauses contractuelles spécifiques.

La crise sanitaire de Covid-19 et les mesures gouvernementales corrélatives de confinement général ont ainsi mis en lumière cette complexité. Bien que considérées comme imprévisibles, elles n’ont pas été catégorisées par la Cour de cassation comme irrésistibles pour les locataires commerciaux, au point de les empêcher de payer leurs loyers, l’irrésistibilité ne pouvant être caractérisée si l’exécution est seulement rendue difficile ou onéreuse3.

Les sanctions massives et sans précédent adoptées par l’Union européenne et ses alliés à la suite de l’invasion de l’Ukraine le 22 février 2022, interdisant la majorité des exportations et fournitures de services vers la Russie et comprenant également des mesures restrictives ciblées (sanctions individuelles), soulèvent des questions ­similaires pour les contractants concernés soumis au droit français.

La force majeure, une notion largement dépendante de situations particulières et du pouvoir d’appréciation du juge 

Si cette situation était imprévisible et irrésistible au début de l’invasion, on peut penser – au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation concernant une banque iranienne visée par des sanctions onusiennes4 – qu’un cocontractant russe nominativement visé par une mesure de sanction ne pourrait pas invoquer la force majeure, la condition jurisprudentielle d’extériorité lui faisant défaut.

Cette approche casuistique de la Haute Juridiction s’est également illustrée dans le cas d’un mouvement social de producteurs laitiers, survenu en France lors des négociations commerciales de 2016. Bien que prévisible car déclarée à l’avance, une grève ayant donné lieu à la mise en place de barrages routiers filtrants et permis aux manifestants de stopper un transporteur puis de distribuer ses produits aux véhicules circulant à proximité, a été qualifiée de force majeure par la Cour de cassation5. En effet, les détails spécifiques de la manifestation (localisation des barrages) étant inconnus, et le transporteur ne pouvant pas prévoir le fait que des manifestants allaient contraindre le chauffeur à descendre du véhicule pour dérober des marchandises et les distribuer, les ­critères de l’imprévisibilité et de ­l’irrésistibilité l’ont alors emporté.

Toutefois, la force majeure n’étant pas d’ordre public, les cocontractants peuvent l’aménager par le biais d’une clause, afin de déterminer les événements susceptibles de constituer un cas d’une telle nature, ainsi que les caractères qu’ils doivent revêtir et leurs effets.

La Cour d’appel de Paris a ainsi rappelé6 qu’une telle clause emporte application exclusive des critères contractuels de la force majeure et oblige le juge à se référer uniquement à la volonté des parties. En outre, une telle clause peut entraîner l’éviction des critères légaux ou jurisprudentiels de la force majeure, en empêchant tant les parties que le juge de s’en prévaloir.

Mais même dans ce cas, le juge conserve le pouvoir d’apprécier les circonstances de l’affaire à l’aune des termes de la clause de force majeure concernée. Une clause bien définie est donc cruciale pour limiter autant que possible des interprétations divergentes.

 La clause de force majeure, facteur d’éviction des critères légaux ou jurisprudentiels, empêchant juges et parties de se prévaloir de ces derniers

Ainsi, la force majeure reste une notion dépendant largement de situations ­particulières et de l’appréciation judiciaire, même en présence de clauses contractuelles détaillées.

1 Article 1218 du Code civil

2 Cass. Assemblée plénière, 14 avr. 2006, n°04-18902 et n° 02-11.168

3 Cass. Civ 3e., 15 juin 2023 n° 21-10.119

4 Cour de cassation, Ass. Plén., 10 juillet 2020 n° 18-18.542 et 18-21.814

5 Cass. Com. 5 juill. 2023, pourvoi n° 22-14.476

6 CA Paris, 10 janv. 2023, RG n° 21/09460

 

LES POINTS CLÉS

  • Crise sanitaire : la Cour de cassation a, malgré l’imprévisibilité de la pandémie de Covid-19, refusé le statut d’irrésistibilité, obligeant les locataires commerciaux au paiement de leurs loyers pendant les périodes de fermeture administrative.
  •  Sanctions internationales : la jurisprudence récente exclut la force majeure pour les entités nommément visées, en l’absence d’extériorité.
  •  Mouvement social : une grève, bien que prévisible, peut être qualifiée de cas de force majeure lorsqu’elle conduit à des événements qui sont, eux, imprévisibles et irrésistibles.
  •  Clauses contractuelles de force majeure : elles permettent d’exclure des critères légaux ou jurisprudentiels de la force majeure, et lient nécessairement les parties ainsi que le juge, sans pour autant priver ce dernier de son pouvoir d’appréciation des faits.

 

SUR L’AUTEUR

Arnaud Picard intervient en contentieux du droit des affaires, particulièrement en contentieux commercial et de haut de bilan, ainsi qu’en IT. il représente ses clients devant les juridictions françaises et instances ­arbitrales. Il a par ailleurs développé une expertise en droit immobilier, en matière de baux commerciaux. Il assiste une clientèle en grande partie étrangère et internationale.

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