On constate depuis quelques années d’importantes évolutions en matière de droit pénal de l’environnement. De nouveaux délits et de nouveaux outils ont vu le jour. Si leur utilité ne fait aucun doute, leur efficacité demeure contestée. Le temps favorisera la spécialisation des acteurs du secteur ainsi que la définition des contours flous de cette matière qui parfois en paralyse l’efficacité.

Bien que déjà reconnue par la jurisprudence, la notion de préjudice écologique a été officiellement consacrée pour la première fois par la loi du 8 août 2016 qui a créé l’article 1247 du Code civil disposant que le préjudice écologique consiste en "une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de ­l’environnement".

Cette reconnaissance a donné lieu à plusieurs difficultés théoriques et pratiques qui ont conduit à la formation d’un groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par M. François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation. L’objectif était ardu et ambitieux : faire le point sur l’état actuel du contentieux pénal de l’environnement et trouver des pistes d’amélioration. Le résultat a été l’objet d’un rapport en 2022 ayant formulé treize recommandations pragmatiques pour pallier les nombreuses problématiques dudit contentieux. Parmi ces recommandations figurent par exemple le renforcement de la formation de l’ensemble des acteurs du contentieux de l’environnement, instaurer une autorité administrative indépendante en charge du contrôle et du suivi de la sanction, créer un service national d’enquête, étendre la compétence du parquet européen à la matière,  repenser l’infraction de mise en danger en matière environnementale ou encore encourager le recours à la convention judiciaire d’intérêt public environnementale (CJIP). S’il est vrai que certaines de ces recommandations ont déjà été prises en compte, d’autres demeurent lettre morte (notamment, l’application du délit de mise en danger d’autrui aux préjudices environnementaux nécessite un effort titanesque et relève potentiellement de l’utopie).

Néanmoins, cela est indéniable : cela avance !

"Entre nouveaux délits et nouveaux outils, le droit pénal de l’environnement avance mais à petit pas"

L’écocide : une pénalisation nécessaire, mais utopique

Tout d’abord, de nouveaux textes ont vu le jour. Parmi ces derniers, la création du délit d’écocide – fruit de longues discussions internes et miroir de projets supranationaux et internationaux – constitue un jalon essentiel, un avancement très espéré, mais dont le succès est à ce stade encore à démontrer. En effet, la constatation de cette infraction présente aujourd’hui des difficultés pratiques non négligeables : l’identification de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou encore l’étude de la nocivité des substances et des effets "nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune" ou "des modifications graves du régime normal d’alimentation en eau".

Ainsi, la prise en compte du préjudice environnemental demeure une gageure dans la mesure où les experts peinent à établir scientifiquement les atteintes à la faune, à la flore et la définition des modalités de la remise en état ainsi que son suivi se révèlent souvent imprécis ou indécis faute d’acteurs capables et compétents. La restauration des sites endommagés pose – au-delà du droit – des questions pratiques de recours à des expertises techniques complexes et coûteuses pour lesquelles, les entreprises sont en manques d’interlocuteurs et de moyens.

La CJIP : un outil efficace, mais effrayant

Là aussi, depuis la loi n° 2020 du 24 décembre 2020, la convention judiciaire d’intérêt public a été étendue aussi aux infractions environnementales selon les modalités prévues par l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale. Cette convention permet d’imposer à la personne morale une ou plusieurs des obligations suivantes : verser une amende d’intérêt public au Trésor public dont le montant est fixé de manière proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements ; régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans ; assurer dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle de mêmes services, la réparation du préjudice écologique résultant des ­infractions commises.

De facto, il s’agit d’un dispositif dont les faiblesses sont nombreuses. En premier lieu, la CJIP exige la volonté de l’entreprise de se soumettre à ce mode de résolution pénal car les infractions poursuivies posent la nécessité d’une méconnaissance d’une règle ou norme le plus souvent très imprécise. En second lieu, les pénalités encourues demeurent très coûteuses. ­Enfin, l’exposition personnelle des dirigeants représente une menace très dissuasive pour les entreprises.

À titre d’illustration, le tribunal judiciaire de Puy-en-Velay a validé le 12 septembre 2022 la CJIP conclue entre le parquet et la société Établissements Borie SASU mise en cause des chefs de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et rejet en eau douce ou pisciculture de substances nuisibles au poisson ou à sa valeur alimentaire. Aux termes de cet accord, la société s’est engagée à verser au Trésor public, dans un délai de six mois, une amende d’intérêt public d’un montant de 10 000 euros, à s’astreindre à un programme de mise en conformité d’une durée de trente-six mois sous le contrôle des services compétents du ministère de l’Environnement et à assurer la réparation du préjudice environnemental, dont le coût total a été estimé à environ 300 000 euros.

Ainsi seules les entreprises ayant d’importants moyens sont susceptibles d’adhérer à cette voie pénale transactionnelle et que les PME et TPE sont le plus souvent dans la préoccupation d’atténuer ou d’éluder leur responsabilité ou à tous les moins de résister à leur mise en cause.

Ajoutons à cela que le choix de ces mesures paraît complexe à mettre en œuvre s’agissant des dommages écologiques constatés hors frontière.

Or, il se trouve que la capacité à polluer n’est pas proportionnelle à la taille de l’entreprise et il peut devenir que les petites et moyennes entreprises puissent commettre des dommages très considérables : les réparations sont souvent au-delà de leurs capacités.

À l’instar d’autres matières du droit pénal spécialisées, ne serait-il pas efficace de conceptualiser ou renforcer la notion de devoir de vigilance dans le champ de la répression pénale ce qui comporterait l’avantage de renouer avec le principe constitutionnel de précaution et d’anticiper la prévention des risques environnementaux ?

Le droit pénal de l’environnement reste un droit en formation, en mutation et en évolution. La spécialisation grandissante des acteurs judiciaires participera à en faire une matière à part entière. Beaucoup de chemin reste à parcourir, mais le droit pénal des affaires n’a-t-il pas connu les mêmes difficultés à ses débuts ? Nul doute que la nécessité de l’existence d’une ­répression face à des activités jugées délinquantes rendra indispensable que l’on forge de nouveaux concepts, que l’on forme des spécialistes et que l’on se préoccupe de l’efficacité des moyens mis en œuvre.

LES POINTS CLÉS

  • Le droit pénal de l’environnement est encore une matière en formation mais dont les lignes de forces se sont affirmées à la faveur des réformes récentes.
  •  Les besoins de défense des entreprises se trouvent renforcés par la perspective du renforcement des sanctions et de la multiplication des poursuites.
  •  Le délit d’écocide est en l’état une infraction mal définie, encore imprégné de considérations idéologiques qui le rend souvent inadapté à la réalité des entreprises.
  •  La CJIP, ou la justice pénale négociée, reste un redoutable outil répressif trop peu attractif pour les entreprises à raison de son coût.

 

SUR L’AUTEUR

Jean-Marc Fédida a rassemblé autour de lui une équipe d’associés et de collaborateurs dédiés à la pratique du droit répressif économique. Cette pratique comporte en outre de l’intervention devant les tribunaux et les cours de l’ordre judiciaire l’intervention régulière devant les autorités de poursuite spécialisées dans tous les champs du droit répressif. Parmi les domaines émergents, il intervient dans la défense des entreprises confrontées à des poursuites liées à des atteintes environnementales. 

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