L’organisation internationale de police criminelle (Interpol) a pour objectif de faciliter la coopération policière internationale afin de prévenir et combattre la criminalité. Or, le manque de garanties ­procédurales efficaces entraîne l’émission de notices rouges abusives par des régimes autoritaires, ­tandis que les justiciables se heurtent à l’opacité de l’institution et ses dysfonctionnements.

Les prémices d’Interpol remontent au 1er Congrès international de police judiciaire intervenu à Monaco en 1914, lors duquel magistrats, juristes et officiers de police de plusieurs pays décident de mettre en place un fichier central international des antécédents judiciaires et des procédures d’extradition. Suspendu en raison de la Première Guerre mondiale, le projet se concrétise en 1923, lors du 2e Congrès international de police avec la création de la Commission internationale de police criminelle, l’ancêtre d’Interpol. 

L’organisation réunissait alors une vingtaine de pays ; elle compte désormais 195 États membres, parmi lesquels la Russie, la Chine, l’Iran ou encore la Turquie, qui n’hésitent pas à instrumentaliser ce réseau policier mondial pour satisfaire leurs intérêts politiques en sollicitant de la part d’Interpol l’émission de notices rouges abusives. Ces détournements ne sont possibles qu’en raison de l’opacité des procédures menées par l’organisation internationale et du manque de garanties effectives pour les justiciables.

Une volonté de pérenniser la sécurité internationale

Lors de sa création, Interpol avait pour ambition d’offrir des garanties de neutralité et de restaurer la confiance d’un monde meurtri par la guerre. À cette fin, les pays membres de l’organisation approuvent un ensemble de sept objectifs visant notamment à lutter contre le terrorisme, le crime organisé ou encore la cybercriminalité, aspirant également à assurer la protection des droits humains des personnes vulnérables1.

Pour mener à bien sa mission, l’organisation bénéficie de contributions statutaires annuelles versées par chacun des pays membres et perçoit des financements volontaires d’organismes publics tels que la Commission européenne ou le US Department of State. En outre, le ­Secrétariat général d’Interpol emploie plus de mille fonctionnaires de police et de services d’appui.

Les notices Interpol : un système ­dévoyé ?  

Le fonctionnement d’Interpol repose sur l’utilisation de notices de couleurs différentes – lui permettant de distinguer la nature des signalements à traiter – telles que des notices jaunes pour les personnes disparues, oranges en cas de menace grave pour la sécurité publique et rouges s’agissant des personnes ­recherchées.

Ces dernières, aussi appelées « red notices », sont émises à la demande d’une autorité nationale ou internationale dotée de pouvoirs d’enquête et de poursuites en matière pénale, afin de faciliter la localisation et l’interpellation d’un individu visé par un mandat d’arrêt international. Celui-ci est alors susceptible d’être appréhendé dès qu’il franchit la frontière d’un État membre de l’organisation, tant que le pays émetteur de la notice ne procède pas à son annulation.

« Des "États voyous" dévoient les objectifs d’Interpol dans le but de nuire à leurs opposants politiques »

Toutefois, si Interpol examine sommairement la légalité des requêtes déposées par ses États membres, elle n’a pas vocation à vérifier le bien-fondé des mandats d’arrêt qui relèvent de la souveraineté nationale.

Il est donc particulièrement aisé pour certains régimes autoritaires de neutraliser journalistes, opposants politiques et autres défenseurs des droits de l’homme. Par exemple, Sergueï Saveliev – recherché par le Kremlin – ou encore Rasoul Mazrae – devenu la cible du ­régime ­iranien – en ont été les victimes.

Les justiciables face à l’opacité de l’institution

L’absence de contrôle lors de l’émission d’une notice rouge est d’autant plus problématique que la procédure en effacement, très difficilement accessible pour le justiciable, manque cruellement de transparence et de contradictoire. Cette dernière se matérialise sous la forme d’une requête écrite dans l’une des langues de travail de l’organisation (anglais, arabe, espagnol ou français) qui doit être adressée à la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF), accompagnée d’un courrier exposant les raisons qui devront déterminer la suppression de la notice rouge.

L’examen de la recevabilité de la requête en effacement ainsi que la décision finale s’effectuent de manière arbitraire et dans l’opacité la plus complète. Ainsi, le principe du contradictoire fait toujours largement défaut devant la CCF et n’est envisagé que de manière facultative2, les justifiables se trouvant de surcroît dans l’impossibilité de contacter la Commission au cours de la procédure. Par ailleurs, l’absence de voie de recours juridictionnelle contre les décisions rendues par la Commission est particulièrement critiquable, les justiciables ne disposant que d’une demande de « révision » en cas d’élément nouveau3.

La Cour européenne des droits de l’homme est pourtant très claire sur ce point : si le droit au recours effectif ­garanti par l’article 13 de la CESDH n’implique pas nécessairement la saisine d’une instance juridictionnelle indépendante, encore faut-il que les intéressés aient pu bénéficier d’une procédure contradictoire4

Enfin, en pratique, l’effacement d’une notice rouge n’est pas immédiatement effectif pour deux raisons : le délai entre la décision de la CCF et sa transmission aux bureaux centraux nationaux d’Interpol chargés de la communiquer aux États membres, ainsi que le retard fréquent de ces derniers pour mettre à jour leurs bases de données. Aussi, le justiciable demeure à risque, se trouvant à nouveau dépendant de la diligence des autorités nationales…

Conclusion

Afin d’éviter qu’Interpol ne demeure une « boîte noire inaccessible »5, il est impératif de renforcer l’ensemble des garanties procédurales et donc les droits des justiciables. Un meilleur filtrage dans l’émission des notices rouges ainsi qu’une refonte de la procédure en effacement – garantissant le principe du contradictoire et le droit à un recours effectif  – permettrait à cette organisation historique de remplir sa mission initiale.

 

Notes de bas de page

1 Objectifs approuvés lors de la 86e Assemblée Générale d’Interpol à Beijing (Chine), en septembre 2017.

2 Statut de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol, Article 36.

3 Statut de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol, Article 42.

4 Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme : Droit à un recours effectif, 31 août 2022.

5 Propos tenus par Bahar Kimyongür, militant belgo-turc ayant obtenu la levée de sa notice rouge en 2015 ; Lyon Capitale, Interpol : le scandale des notices rouges, Raphael Ruffier-Fossoul, 20 novembre 2018.

 

Sur les auteurs:

Le cabinet Chavanne & Witt avocats a été fondé en 2017 par Clémence Witt et Matthieu Chavanne.

Avocats au barreau de paris depuis plus de dix ans et anciens secrétaires de la conférence (promotion 2015), ils défendent les intérêts de leurs clients, personnes physiques ou morales, dans tous les domaines du droit pénal et notamment s’agissant d’affaires à dimension internationale. 

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