Le bureau parisien de Mayer Brown est toujours à la pointe de ce qui se fait de mieux. Trois de ses associés, Émilie Vasseur, Jean-Maxime Blutel et José Caicedo partagent, chacun dans sa matière, leur regard sur l’année 2022 et les tendances qu’ils ont vu émerger : une ­augmentation du contrôle des investissements à l’occasion des opérations de concentration, une justice en voie de transformation.

Antitrust

Décideurs. Quelles sont les grandes tendances actuelles dans votre secteur ?

Jean-Maxime Blutel. Aujourd’hui en parallèle du contrôle des concentrations, nous observons depuis quelques années une importance croissante du contrôle des investissements étrangers. De nombreux régimes se structurent et se développent au sein de l’Union européenne comme en dehors. Ces obligations complémentaires doivent être prises en compte très en amont dans les opérations, en particulier parce qu’elles peuvent également impacter les délais de mise en œuvre, notamment lorsqu’elles donnent lieu à des engagements. En France, il est très fréquent qu’une opération de concentration fasse l’objet d’une autorisation sous conditions : plus d’une décision d’autorisation sur deux est assortie de conditions, ce qui procéduralement, suppose l’ouverture d’une « phase 2 » et donc des délais supplémentaires. Nous observons par ailleurs un phénomène de rattrapage, avec de nombreuses inspections des autorités de concurrence, notamment dans les secteurs supply chain et énergie. Elles se déroulent aussi de plus en plus « à distance », avec notamment le développement des demandes d’informations des autorités qui imposent aux entreprises de conduire elles-mêmes les recherches sur leurs différents supports. Dans de telles circonstances, la défense du secret des correspondances avocat-client ainsi que de la confidentialité des données privées et personnelles est une question centrale.

Serait-il préférable, dans ces circonstances, de formaliser davantage les normes d’enquête ?

Une refonte des pouvoirs d’enquête est en cours au niveau européen pour mieux tenir compte des évolutions intervenues depuis l’adoption du régime actuel il y a vingt ans. Pour autant, il s’agit d’un cadre qui par définition ne peut être que général et, s’il peut en effet être amélioré, les difficultés surgissent avant tout dans son application dans les circonstances particulières de chaque dossier. La planification en amont de mesures d’organisation adaptées aux spécificités de chaque entreprise est clé pour limiter ce risque.

Contentieux commercial et Arbitrage

Avec la crise sanitaire, l’usage du numérique s’est invité dans les procédures. Quel bilan tirez-vous de vos expériences ?

Émilie Vasseur. En matière judiciaire, l’usage du digital permettrait de redynamiser les audiences de procédure et de faciliter l’audition de parties, témoins et experts lorsque toutes les parties en sont d’accord. Cet usage ne devrait toutefois pas s’étendre aux audiences de plaidoiries qui doivent demeurer des audiences d’échanges directs entre les juges, les parties et leurs conseils. La présence physique des parties à l’audience participe de l’humanité et de la crédibilité de cette institution.

José Caicedo. En matière d’arbitrage, nous sommes dans une position mixte avec certains éléments positifs comme une plus simple gestion des documents et la facilité de les montrer aux témoins lors des audiences. Certains des acquis tirés de l’usage de la visioconférence pendant la crise Covid ont donc vocation à être préservés. À l’inverse des audiences de procédures pour lesquelles je suis assez d’accord avec un usage généralisé de la visioconférence, il est clair, pour la plupart des participants, que l’audience physique est indispensable au moment des interrogatoires. Il en va de l’efficacité de la justice. Dans le cadre d’une médiation, la visioconférence peut être efficace. Il nous est arrivé d’organiser des médiations avec quarante personnes, dans quatre pièces différentes, c’était très complexe. De ce point de vue, la visioconférence facilite l’organisation des médiations d’ampleur. Elle permet aussi de mieux contenir la parole de chacun. La limite du procédé reste, cependant, la distance mais surtout le risque de désengagement des parties.

Et du point de vue de la confidentialité, la visioconférence pose-t-elle problème ?

José Caicedo. La crainte que les échanges soient enregistrés existe et il n’est pas toujours possible et de s’assurer de savoir quelle personne se trouve derrière l’écran. Cette appréhension est d’autant plus justifiée lorsque les discussions sont particulièrement sensibles, comme dans le cadre d’une négociation autour d’une garantie d’actif et de passif. Nous prévoyons des accords de confidentialité renforcée mais, en pratique, nous nous en remettons à la bonne foi des participants, ce qui a ses limites dans un contexte de conflit où la confiance a souvent été rompue.

Les États généraux de la justice se sont tenus courant 2022 avec pour objectif d’identifier les pistes de nature à résoudre les problèmes la justice française : lenteur des procédures, surcharge de travail pour les magistrats, etc. Quel regard portez-vous sur ces questions ? Les pistes de réforme avancées et notamment la restriction du champ de l’appel en discussion, vous semblent-elles pertinentes ? 

Émilie Vasseur. J’ai du mal à vous dire oui parce que je suis attachée au principe de double degré de juridiction. Mais, si cette évolution va de pair avec des moyens plus importants mis au service de la première instance pour permettre lors de celle-ci un débat complet et approfondi, tant à l’écrit qu’à l’oral, cela va sans doute dans le bon sens. La concentration du procès en première instance va également dans le sens des intérêts du justiciable en ce qu’elle lui permet d’obtenir une décision définitive dans un délai plus court.

José Caicedo. Sur le plan international, la tendance est inversée concernant l’appel. En matière d’arbitrage d’investissement, certains états plaident pour la création d’un second degré de juridiction, échaudés par les conséquences de certains arbitrages, en particulier, en matière d’énergie.

Le tribunal de commerce a inauguré, au mois de septembre 2022, sa nouvelle chambre internationale. Vous réjouissez-vous de cette nouveauté ?

Émilie Vasseur. Nous pouvons nous enorgueillir d’être l’un des premiers pays européens à disposer d’une justice extrêmement performante en matière de règlement des litiges internationaux avec une chambre spécialisée au tribunal de commerce de Paris, une chambre spécialisée devant la cour d’appel de Paris, des juges bilingues et disposant d’une solide expérience dans tous types de litiges. La salle d’audience qui vient d’être inaugurée au tribunal de commerce de Paris (avec, notamment, des cabines de traduction simultanée et un système de visioconférence) offre à ces chambres l’écrin nécessaire à leur crédibilité et à l’exigence technique que requiert le traitement de ces procès. 

“Il est clair, pour la plupart des participants, que l’audience physique est indispensable au moment des interrogatoires. Il en va de l’efficacité de la justice.”

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