La réforme de la loi de blocage permet de mieux accompagner les entreprises françaises qui se retrouvent souvent démunies lorsqu’elles sont confrontées à des demandes d’informations intrusives de la part d’autorités publiques étrangères.

Décideurs. Vous avez travaillé comme député sur la loi dite « de blocage » visant à protéger nos entreprises des lois et des mesures à portée extraterritoriale. Où en est la réforme aujourd’hui ?

Raphaël Gauvain. Dans mon rapport sur les enjeux de l’extraterritorialité de juin 2019, je faisais deux constats majeurs. D’une part, le droit interne de certains États en matière d’obtention de preuves, notamment le droit américain, permet, en contournant la coopération internationale, un transfert massif et incontrôlé des données des entreprises françaises. Nos entreprises sont généralement démunies en cas d’enquête initiée par les pouvoirs publics américains ou de procès engagé par un concurrent, où le recours à la procédure de discovery peut conduire à une communication importante d’éléments sensibles et à une déstabilisation de l’entreprise. Les exemples en la matière sont malheureusement légion.

D’autre part, la loi dite “de blocage” de 1968, qui est en réalité une loi d’aiguillage et d’orientation des requêtes étrangères vers les canaux normaux de la coopération internationale, n’a jamais été sérieusement et systématiquement mise en œuvre. Cette loi s’avère datée et insuffisante pour contraindre les autorités étrangères à respecter les traités d’entraide et les accords de coopération internationale sur l’obtention de preuves à l’étranger.

Au-delà de ce constat, j’avais proposé une réforme de la loi de blocage, qui était programmée à l’agenda du Parlement au printemps 2020. La crise sanitaire est malheureusement venue bousculer ce calendrier. Le gouvernement n’est toutefois pas resté passif, et a procédé par décret en avril dernier à une première mise en œuvre de mes recommandations.

L’enjeu de ce décret est de désigner un interlocuteur unique – le Service d’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) au ministère de l’Économie à Bercy – pour accompagner les entreprises confrontées à des demandes d’informations étrangères. Le Sisse est par ailleurs désormais en mesure de délivrer des avis personnalisés sur l’application de la loi de blocage en cas de demande d’information d’une juridiction étrangère. Ces avis peuvent ensuite être transmis à ces juridictions étrangères.

Quels sont les enjeux pour les entreprises confrontées à un procès outre-Atlantique et à une demande d’informations intrusive par l’intermédiaire d’une discovery ?

La réalité de la procédure de discovery est que les parties sont soumises à une véritable injonction des autorités américaines de transmettre les éléments de preuve sollicités et que toute opposition peut faire l’objet d’une sanction financière très forte. Les entreprises françaises font alors face à un conflit de normes, entre nécessité de répondre aux sollicitations étrangères et interdiction de communiquer en vertu de la loi française de blocage.

L’avocat de l’entreprise française devra expliquer au juge américain cette difficulté dans laquelle se trouve son client, et le convaincre d’utiliser les voies de la coopération internationale en ayant recours à une commission rogatoire ou à la désignation d’un tiers indépendant en France. L’un comme l’autre permet de communiquer des documents ou entendre des personnes, et ainsi satisfaire aux exigences de la discovery tout en respectant la loi de blocage.

L’intérêt stratégique pour l’entreprise française est majeur. C’est une garantie contre l’instrumentalisation du procès outre-Atlantique et des excès de la discovery. Le filtre de la coopération permet aux autorités françaises de contrôler ces demandes d’informations, qui doivent être limitativement énumérées avec un lien direct et précis avec l’objet du litige (en vertu de la Convention de La Haye de 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale).

Plus largement, les autorités françaises pourront refuser une “communication [qui] est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public”, sur le fondement de l’article 1 de la loi de blocage. Un avis pourra être sollicité auprès du Sisse pour aider à la classification des informations sensibles des entreprises.

La nouvelle loi de blocage permet-elle à l’entreprise française d’échapper à un procès outre-Atlantique ?

Évidemment pas. La loi de blocage – je préfère d’ailleurs le terme d’aiguillage – n’est pas là pour s’opposer à une demande légitime de communication d’informations. Les autorités publiques étrangères nous le reprocheraient. Elles refuseraient de recourir aux voies de la coopération internationale et elles auraient parfaitement raison.

Si on veut que le juge américain respecte la loi de blocage, il est essentiel de bien lui expliquer son fonctionnement et de lui donner de sérieuses garanties sur la bonne exécution par les autorités françaises de la commission rogatoire ou du travail du tiers indépendant.

C’est la même chose pour les enquêtes conduites par des autorités publiques étrangères. La loi de blocage n’a pas vocation à absoudre nos entreprises de leur responsabilité à l’étranger. L’objectif de la réforme d’avril dernier est uniquement de mieux protéger l’information classifiée “sensible souverain” qui n’est pas communicable et doit être protégée au titre de l’article 1 de la loi de blocage. Le Sisse procède actuellement à un important travail sur le sujet pour alerter les entreprises et les aider à classifier leurs informations sensibles.

Quelles mesures reste-t-il encore à adopter pour renforcer la protection des entreprises confrontées à des demandes d’informations intrusives de l’étranger ?

Du côté des entreprises, elles doivent anticiper davantage. La preuve devenant majoritairement numérique, les éléments demandés deviennent de plus en plus volumineux et, ce faisant, de moins en moins contrôlables. Il me paraît indispensable et urgent de mettre en place au sein de chaque entreprise française des outils pérennes de classification des informations selon leur sensibilité.

Pour les pouvoirs publics, la protection des consultations juridiques internes des entreprises doit être mise en œuvre rapidement. C’est un véritable trou dans la raquette. Les avis juridiques des juristes d’entreprises françaises ne sont pas protégés en cas d’enquêtes des autorités étrangères ou de demandes d’informations émanant de leurs concurrents étrangers, dont les avis sont à l’inverse protégés dans leur pays. Cette situation met les entreprises françaises dans une situation défavorable, et les rend vulnérables à des manœuvres d’entreprises étrangères concurrentes à la recherche d’informations confidentielles.

Enfin, le renforcement par le législateur de la peine encourue en cas de violation de la loi de blocage me paraît indispensable à terme pour donner plus de crédibilité à notre législation à l’étranger. Il convient également de porter le sujet au niveau européen pour réformer le Règlement de blocage de 1996 et mettre en place des instruments communs anti-coercition économique. Plus globalement, il conviendrait de s’interroger sur la protection des données des personnes morales, sur le modèle du RGPD pour la protection des données personnelles. C’est un enjeu de compétitivité pour nos entreprises et de souveraineté pour notre pays.

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