Devenue l’enjeu majeur de notre société, la philanthropie vient répondre aux besoins sociaux, économiques et climatiques, parfois mis de côté par les politiques. Que ce soit par le biais d’une fondation, d’une donation ou d’un mécénat de compétences, cette pratique est de plus en plus considérée comme une réelle stratégie patrimoniale par les familles fortunées, avec l’appui de leurs conseils.
Décideurs. Vous avez la spécificité de pratiquer la philanthropie au travers de la conservation de châteaux, comment cela vous est venu ?
Ninon Manaranche-Michel. Du fait de mon parcours, je suis régulièrement amenée à travailler avec les notaires. L’un d’eux m’a mandatée un jour dans le cadre d’un dossier pour une succession sans héritier d’une artiste, la créatrice des timbres français. La cliente souhaitait faire donation de ses oeuvres et de son château à la commune, laquelle n’a pas accepté la succession en raison des charges très importantes. La Fondation de France, elle, ne s’intéresse à ce type de biens que s’ils sont très patrimoniaux. Il fallait donc trouver une solution pour sauver et faire refleurir le patrimoine artistique de cette femme.
 
Quelle a été la solution retenue ?
Nous avons choisi de créer un fonds de dotation. Plus flexible, cette stratégie permettait à la cliente de transmettre le château en nue-propriété tout en gardant l’usufruit de ce bien jusqu’à la fin de ses jours. Cela étant, ce type de fonds doit être alimenté en termes de revenus. Pour ce faire, nous avons capitalisé sur les droits d’auteur de l’artiste, tant pour la création que pour les revenus futurs. Par ce biais, nous avons contribué à la défense d’une artiste peu connue, de ses oeuvres et pour la cause des femmes artistes.
 
Pourquoi entreprendre un projet philanthropique ?
La philanthropie est un vaste univers dans lequel, selon la stratégie définie, des projets naissent et sont portés vers le public. C’est un mouvement créé par les grandes familles américaines à une époque où il y avait un besoin de levées de fonds sur des thématiques pour lesquelles l’État se désengageait. Cela a été le cas pour Notre-Dame de Paris par exemple : une grande partie des fonds récoltés sont américains. Mais une question se pose : est-ce que la philanthropie reste sans intérêt ou doit-il y avoir une contrepartie ?
 
Quelles sont les limites de la philanthropie ?
À l’heure actuelle, nous nous demandons si nous contrôlons toujours la philanthropie ou si nous n’en devenons pas dépendants. Sans les grands mécènes, aurions-nous assez de ressources pour pouvoir financer les réparations du patrimoine architectural français ?

 

"À l’heure actuelle, nous nous demandons si nous contrôlons toujours la philanthropie ou si nous n’en devenons pas dépendants"

La chance que nous avons en Europe face aux États-Unis est que nous arrivons encore à porter un regard critique sur ces projets. Typiquement, il a été cas d’un musée dont je tairai le nom où une part des dons ont été remboursés car la société ayant réalisé cette donation avait des intérêts en Syrie. La bonne nouvelle est que nous ne faisons pas tout et n’importe quoi, ce qui n’est plus forcément le cas aux États-Unis. 

 
Avec quels professionnels travaillez-vous sur ces dossiers ?
Nous travaillons avec les familles, les pouvoirs publics, les experts-comptables et les notaires qui sont l’élément essentiel de cette philanthropie. La gestion de patrimoine est avant tout un métier de transversalité qui amène à un travail collectif.
 
Comment les propriétaires de châteaux peuvent-ils faire appel à la philanthropie pour financer la conservation de leur patrimoine ?
Nous sommes dans un système où il existe de nombreuses façons de faire de la philanthropie. Par exemple, le crowdfunding représente un biais du mécénat très intéressant où des artistes sont valorisés par une philanthropie de "masse" à partir de petits montants. De plus, cela permet de mettre en place de nombreuses actions pour soutenir et mettre en valeur le patrimoine architectural.
 
Est-il difficile aujourd’hui d’investir dans l’art ?
L’art est considéré par l’AMF comme un bien divers, avec une connotation très négative lorsque nous en parlons à nos organes de contrôle.

 

"Le crowdfunding représente un biais du mécénat très intéressant"

Ils ont tous l’impression que nous sommes dans des processus de blanchiment des suites de quelques grosses affaires qui ont fait mauvaise presse de ces sujets. Bien heureusement, ce n’est pas le cas de la majorité des oeuvres. Il n’y a pas assez de communication sur ces actifs pour que le public sache qu’il peut investir dans l’art.

 
Quel est l’avenir de la philanthropie ?
Je pense que nous sommes aux prémices de la philanthropie ; la France va devenir une terre d’investissement. Nous sommes obligés de réinventer nos modèles économiques pour survivre autrement car l’État se désengage, ce qui va faire émerger le côté citoyen sur ces sujets. 
Propos recueillis par Marine Fleury

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