La déformation du couple rendement-risque sur les classes d’actifs traditionnelles a favorisé la prise de risque mais aussi la diversification à travers des actifs non cotés et tangibles. La hausse des taux implique des arbitrages stratégiques au sein de l’allocation des clients.
Hausse des taux : trois classes d’actifs à (re)considérer
La baisse continue des taux entre 1980 et 2020 a favorisé l’investissement, l’innovation et va de pair avec la troisième révolution industrielle qui a permis l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ces nouveaux moyens ont permis un accès à l’information et aux marchés financiers par un plus grand nombre d’agents, favorisant les comportements de mimétisme et la création de bulles sur certaines classes d’actifs. En période de baisse continue de taux, la recherche de rendement pousse les investisseurs à prendre de plus en plus de risques afin d’atteindre la cible de rentabilité espérée. Cependant, nous avons assisté sur les dernières décennies à l’apparition d’excès de valorisation sur certaines classes d’actifs et l’absence totale de rendement. La hausse sensible et rapide des taux d’intérêt commence à impacter lourdement l’économie mondiale alors que les banques centrales, notamment en Europe, souhaitent maintenir une politique monétaire restrictive afin de lutter contre les hausses de prix. La baisse brutale des indices actions couplée à celle des obligations en 2022 a mis à rude épreuve les théories classiques de diversification du portefeuille. Or, la diversification du patrimoine doit être adaptée au fil du temps en fonction du couple rendement-risque des classes d’actifs mais cette dernière doit également répondre aux nouveaux enjeux ESG* tout en s’inscrivant dans les objectifs du client. Dans cet environnement complexe, quels sont les actifs à considérer pour la gestion de son patrimoine ?
Couple rendement risque – le cas des obligations Investment Grade
Les obligations souveraines et Investment Grade étaient parmi les principaux actifs dans la constitution d’un portefeuille financier. Ces obligations émises par des États ou entreprises, bien notées par les agences de notation ont vu leur rendement s’écraser ces dernières décennies jusqu’à passer en territoire négatif pour certains émetteurs (exemple de l’OAT** 10 ans). Cette anomalie de marché a permis à de nombreux acteurs de se financer à coût réduit et a très certainement déformé bon nombre de portefeuilles financiers, notamment ceux des investisseurs institutionnels qui ont réduit la proportion réservée à cette typologie d’actifs dans la limite de leurs obligations réglementaires. Actuellement, la récente hausse des taux permet de reconstruire une allocation résiliente, le taux 2 ans en France dépasse les 3% alors que son équivalent américain est proche de 5%***. Naturellement, l’inversion de la courbe des taux ainsi que le contexte économique difficile poussent à une sélectivité accrue par zone géographique, par secteur et par émetteur. Le risque de défaut reste le critère déterminant pour cette classe d’actifs si les actifs sont détenus jusqu’à leurs termes mais la duration reste un critère primordial afin de jauger la sensibilité à donner à ses actifs si des arbitrages sont effectués. Les obligations High Yield dont la notation est moins bonne que les obligations Investment Grade offrent un surplus de rendement qui peut être attractif mais cette différence doit être mise en perspective au regard du risque pris. Enfin, les nouveaux actifs tels que les "obligations vertes" qui seront indispensables pour le financement de la transition énergétique permettent aux émetteurs et aux investisseurs de répondre à un besoin croissant de financement tout en donnant un sens à son épargne. Une fois encore, l’absence de cadre harmonisé pour ce type d’obligations pousse à une sélectivité accrue afin de prévenir tout risque de "greenwashing" et réellement participer à une finance durable et éthique.
Fonds non cotés
Les fonds de Private Equity et de dette privée ont connu un engouement très marqué ces dernières années. La baisse des rendements a poussé les investisseurs à se tourner vers ce type d’actifs, mais le seul critère de la rentabilité serait réducteur envers ces classes d’actifs au regard des multiples avantages qu’elles procurent :
- Disposer d’actifs moins sensibles à la volatilité des marchés financiers avec des valorisations trimestrielles
- Participer à l’économie réelle ayant des conséquences directes sur l’emploi, les innovations, la croissance des sociétés sous-jacentes…
- Disposer d’une palette large de sociétés de gestion et de gérants réellement impliqués dans les sociétés détenues en portefeuilles
Ces classes d’actifs conservent du sens, les qualités intrinsèques des fonds restent indéniables mais la hausse des taux amène à repenser la classe d’actifs. Par exemple, les fonds de dette privée qui apportent des financements à taux variables (souvent indice monétaire type Euribor 3 mois + marge) seront très certainement pénalisés par certains sous-jacents qui auront des difficultés sur le remboursement d’intérêts et/ou capital, particulièrement en période de croissance affaiblie. Par ailleurs, certains investisseurs seront dans la nécessité de réduire leur position dans ce type d’actifs (contraintes réglementaires, besoin de liquidités…). Dans ce contexte, il paraît opportun de s’intéresser à des fonds secondaires, aussi bien en dettes qu’en actions, car des décotes pourraient apparaître.
Actifs réels – forêts, terres agricoles, vignobles et actifs de jouissance
L’acquisition d’actifs décorrélés des marchés financiers reste toujours pertinente dans la construction de son patrimoine. En période de stress accru sur les marchés financiers comme en 2022, ces actifs conservent l’avantage d’être résilients notamment en raison de la forte demande pour ce type d’actifs. Le nombre réduit de transactions sur les forêts de plus de 100 ha en est la parfaite illustration (autour de 100 transactions par an en moyenne). L’acquisition d’actifs tangibles est une stratégie de diversification et peut répondre à plusieurs critères notamment la recherche de rendement pérenne, détenir un actif durable répondant aux enjeux environnementaux ou être un actif plaisir. Cependant, la sélectivité reste encore une fois de mise, la forte hausse des prix sur certains actifs ces dernières décennies imposera de recourir à des experts dans l’analyse des projets d’investissement afin de mener une due diligence stricte pour des actifs qui sont de nature à être conservés sur plusieurs années voire transmis sur plusieurs générations. Dans ce contexte changeant, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’être diversifié, flexible et accompagné. Seul un acteur sans aucun parti pris, ni rémunération indirecte peut garantir une visibilité sur l’ensemble des classes d’actifs et un accompagnement réellement indépendant.
Sur l'auteur
Emrah Yucel accompagne les familles et institutions dans une optique de développement de leur patrimoine, de pérennisation de leur organisation et de protection de leurs membres. Grâce à un modèle de rémunération 100 % indépendant, EVEN Family Office conseille notamment ses clients dans la construction de leur allocation d’actifs sans aucun parti pris, en prenant en compte l’ensemble de leurs objectifs et de leurs contraintes. EVEN Family Office intervient également dans la mise en oeuvre concrète de la stratégie décidée par la sélection et le suivi des investissements qui en découlent.
*ESG – Critères environnementaux, sociaux et de gouvernance
**OAT – Obligation d'État français sur une durée de 10 ans
***Rédigé le 16/06/2023