Après l’euphorie des investisseurs pour les biotechs pendant et après la Covid-19, la prudence a dominé en 2022-2023, rendant plus difficile l’accès aux financements. En France, une seule IPO a eu lieu en 2022 et aucune en 2023. Aux États-Unis, les montants levés ont chuté. Dans ce contexte difficile, les biotechs françaises ont innové pour renforcer leur trésorerie.

Le parcours des biotechs est souvent fait de hauts et de bas et influencé par des évolutions imprévisibles des conditions de marché. Il est donc impératif pour les biotechs d’être agiles pour trouver l’outil de financement le plus adapté à chaque étape de leur parcours.

Émission de titres de capital

La principale source de financement des biotechs demeure la réalisation d’augmentations de capital ou d’émissions de titres donnant accès au capital. Ces opérations peuvent varier en complexité selon les contraintes des biotechs et les exigences des investisseurs. Au cours des derniers mois, les biotechs ont proposé des opérations structurées, mêlant plusieurs catégories de titres. Par exemple, des bons de souscription d’actions (BSA), qui maximisent la plus-value en cas de hausse des actions sans investissement supplémentaire, ont été émis en complément des actions ordinaires, offrant une optionnalité intéressante aux investisseurs.

Par exemple, Biophytis, TME Pharma et Nicox ont émis des ABSAR et ABSA en 2023 et 2022. D’autres ont émis des certificats de royalties, instrument méconnu en France avant 2022, en complément des actions ordinaires. Ce fut le cas d’Abivax en septembre 2022 puis d’Inventiva en août 2023, qui ont levé au total respectivement 49,2 millions d’euros et 35,1 millions d’euros. Ces certificats, des titres de créance, donnent droit à des redevances sur les futures ventes des candidats médicaments de la société. Elles offrent des plus-values potentielles si ces produits sont commercialisés, mais n’ont aucune valeur en cas d’échec.

 "Les biotechs doivent être agiles pour trouver l’outil de financement le plus adapté à chaque étape de leur parcours"

Enfin, certaines biotechs ont mis en place des financements relais, notamment sous forme d’obligations convertibles, comme Gensight en août 2023. Il ne faut pas confondre ces opérations avec les financements en capital au fil de l’eau (equity line, programmes d’OCABSA). Ces instruments peuvent générer une dilution massive et une chute du cours de Bourse en cas de mauvaise utilisation, comme l’a vécu Pharnext. Certaines innovations ont également été dictées par des contraintes réglementaires de plus en plus importantes. Depuis l’arrêté du 27 avril 2020, les biotechnologies sont soumises à la procédure de contrôle des investissements étrangers (IEF). Le seuil de détention déclenchant cette procédure a été abaissé à 10 % des droits de vote pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, contre 25 % pour les autres. Toute participation étrangère importante doit donc être examinée pour l’application de la procédure IEF. Malgré des délais raccourcis pour les sociétés cotées (10 jours ouvrés pour la première phase de la procédure), ces délais restent souvent incompatibles avec le calendrier des opérations de financement des biotechs. Pour y remédier, certaines d’entre elles, comme DBV Technologies (novembre 2022) ou Sensorion (août 2023), ont émis des BSA préfinancés. Contrairement aux BSA classiques, le prix d’exercice est versé à l’avance, permettant à l’émetteur de recevoir la quasi-totalité de l’investissement immédiatement. Le BSA ne devient ensuite exerçable qu’une fois l’autorisation de Bercy obtenue.

Endettements structurés

Face aux difficultés à se financer suffisamment par augmentations de capital, les biotechs se sont tournées de manière plus importante vers des instruments de dette. Ces prêts, souvent divisés en plusieurs tranches, offrent une flexibilité et une sécurité intéressante, et permettent de tirer des financements complémentaires rapidement, surtout en cas de conditions défavorables pour une augmentation de capital.

Cependant, ces financements restent coûteux en raison d’intérêts et de frais divers élevés. Leur aspect dilutif est également à prendre en compte puisque les prêteurs demandent souvent des obligations convertibles et/ou des BSA. Ces instruments permettent aux prêteurs de réaliser des retours majorés en cas d’augmentation de la valorisation de la société emprunteuse. Ainsi, ces endettements structurés se situent souvent entre la dette traditionnelle et les augmentations de capital. Ces derniers mois, plusieurs opérations de dette structurée ont été réalisées, notamment par Abivax (deux financements structurés pour un total maximum de 150 millions d’euros) ou Crossject (12 millions d’euros d’obligations convertibles en deux tranches). L’attractivité de ces instruments est illustrée par le rachat de Kreos Capital, l’un des principaux acteurs sur le marché européen, par BlackRock en août 2023. Les biotechs peuvent également se tourner vers des institutions gouvernementales, comme la Banque européenne d’investissement (BEI) et Bpifrance, ou des banques traditionnelles pour obtenir des endettements simples ou structurés.

"Face aux difficultés à se financer suffisamment par augmentations de capital, les biotechs se sont tournées de manière plus importante vers des instruments de dette"

Partenariats stratégiques et licences

Les partenariats avec des laboratoires pharmaceutiques sont également une source de financement importante pour les biotechs. Ces partenariats peuvent prendre des formes variées mais sont usuellement structurés autour d’un montant forfaitaire versé immédiatement (upfront) et des paiements successifs en fonction de l’atteinte d’objectifs opérationnels (milestones). Ils peuvent également s’accompagner d’un investissement au capital de la biotech. Des partenariats majeurs ont été annoncés récemment, tels que Cellectis/Astrazeneca, Nanobiotix/Janssen, OSE Immunotherapeutics/AbbVie et Medincell/AbbVie. Ces partenariats permettent aux biotechs de financer leurs programmes tout en permettant aux laboratoires de se positionner sur des actifs prometteurs en limitant leur prise de risque financière. Une variante consiste à donner une licence exclusive dans certaines géographies, souvent en Asie, comme l’accord entre Valneva et Jianshun Biosciences pour la Chine. Ces accords permettent aux biotechs de recevoir des financements tout en conservant les droits sur les marchés clés des États-Unis et de l’Europe. Pour finir sur une note optimiste, l’année 2024 marque un redressement net du marché qui devrait se confirmer avec la stabilisation de l’inflation et des taux d’intérêt qui entraînera mécaniquement un rebond de la valorisation des biotechs.

 

SUR LES AUTEURS

Alain Decombe, associé, et Vianney Toulouse, collaborateur chez Dechert, sont reconnus pour leur expertise en fusion-acquisition, private equity et droit boursier, notamment dans les sciences de la vie. Alain Decombe est réputé pour sa structuration pragmatique des transactions complexes. Vianney Toulouse excelle en négociation et en gouvernance des sociétés, y compris cotées.

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