Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a promis d’inciter les grands groupes à davantage lier la rémunération de leurs dirigeants à des critères environnementaux. Quelles sont les pratiques actuelles au sein de l’indice phare parisien ? Comment aller plus loin ?

La rémunération des patrons du CAC 40 est un sujet qui revient souvent sur le devant de la scène, en particulier en période électorale. La présidentielle 2022 n’a pas échappé à la règle. Dans son programme, le président-candidat Emmanuel Macron promettait de "faire dépendre obligatoirement la rémunération des dirigeants des grandes entreprises du respect des objectifs environnementaux et sociaux de l’entreprise". Le but ? Que chacun prenne sa part dans la transition écologique. Les groupes de taille substantielle ont déjà fait quelques progrès ces dernières années, mais où en sont-ils vraiment pour ce qui est de lier la rémunération de leurs directions à l’écologie ? Tous ont-ils la même approche ? Comment les aider à aller plus loin ? Une proposition de loi est-elle réaliste ?

Actuellement, les entreprises se fixent librement des objectifs écologiques, qu’ils soient qualitatifs ou quantitatifs, en matière de rémunération. Ces derniers peuvent être de plusieurs ordres. Selon une étude publiée en novembre 2021 par l’Institut français des administrateurs (IFA), Ethics & Boards et Chapter Zero France, 87 % des sociétés du CAC 40 intègrent un objectif climat dans la rémunération variable (court ou long terme) de leur directeur général. Critère le plus souvent utilisé par les groupes : la réduction des émissions de CO2 , avec 44 % des sociétés de l’indice phare parisien qui l’ont adoptée pour le calcul des variables long terme et 39 % pour celui du variable annuel. "Les avancées notables du CAC 40 en matière de rémunération confirment que la France prend une position de leadership avérée dans la prise en compte des enjeux climatiques, notait à l’occasion de la parution de l’étude Denis Terrien, président de l’IFA. Alors que la réponse à ces enjeux est acquise comme une urgence dans le débat public, nos analyses auprès des sociétés du CAC 40 montrent que les conseils d’administration se saisissent de ce sujet pour en faire un marqueur fort de leur gouvernance et de leur stratégie à long et court terme."

87 % des sociétés du CAC 40 intègrent un critère climat dans la rémunération variable de leur directeur général

Exemples à l’appui

Parmi les entreprises à plutôt bien développer le sujet dans leurs documents de référence : Kering. Le groupe dirigé par François-Henri Pinault a introduit depuis 2016 des critères de performance extrafinanciers qui jouent à hauteur de 30 % dans la rémunération variable annuelle du patron. Il s’agit de la gestion des talents, de la responsabilité sociale et du développement durable. Sur le volet écologie, les objectifs sont de réduire l’impact environnemental du groupe comme prévu dans sa stratégie pour 2025 qui a été décrite de manière précise, de créer une "culture active de développement durable", d’éliminer les plastiques à usage unique dans le BtoC ou encore de renforcer la liste des indicateurs ESG. Même bonne pratique du côté de L’Oréal. La rémunération de son directeur général est également conditionnée à des critères extrafinanciers, liés à ses engagements en matière de développement durable à l’horizon 2030. D’ici là, les produits du groupe devront être éco-conçus. Il devra faire en sorte de réduire de 50 % en moyenne par rapport à 2016, par produit fini, les émissions de gaz à effet de serre liées au transport. Il faudra que 100 % de ses emballages plastiques soient d’origine recyclée ou biosourcée, ou encore que 100 % de l’eau utilisée dans les procédés industriels soit recyclée et réutilisée en boucle. L’Oréal souhaite également atteindre d’ici à trois ans la neutralité carbone pour l’ensemble de ses sites et utiliser 100 % d’énergies renouvelables.

Chez Safran, l’heure est également à la transparence, avec des objectifs détaillés en matière environnementale. Le document de référence du groupe nous apprend qu’en 2021 le directeur général Olivier Andriès a dépassé les objectifs qualitatifs et quantitatifs qui lui avaient été fixés pour la partie "Recherche & Technologie – climat", lesquels pèsent sur sa rémunération variable annuelle. Avec GE Aviation, Safran a lancé le programme CFM RISE qui vise à réduire de plus de 20 % les émissions de moteur par rapport aux moteurs actuels. Safran a également investi dans la start-up Ineratec, spécialisée dans la production synthétique neutre en carbone, ou encore réalisé, dans le cadre de partenariats, plusieurs vols avec 100 % de carburant aérien durable au cours de l’année dernière.

Si les rémunérations des dirigeants du CAC 40 font régulièrement couler de l’encre, les préconisations et règles pour les encadrer se renforcent avec le temps

Qu’en est-il du côté de TotalEnergies, attendu au tournant sur le sujet de l’écologie ? Le groupe énergétique se montre extrêmement précis dans le détail des critères de rémunération de sa direction. Le PDG a rempli ses objectifs concernant la réduction des gaz à effet de serre. Patrick Pouyanné travaille également à une croissance profitable dans les renouvelables et l’électricité, précise la multinationale. Sur l’hydrogène par exemple, le géant a lancé avec d’autres industriels le plus grand fonds mondial dédié au développement des infrastructures d’hydrogène décarboné. Son objectif  ? 1,5 milliard d’euros.

Davantage de réglementations  

Si les rémunérations des dirigeants du CAC 40 font régulièrement couler de l’encre, les préconisations et règles pour les encadrer se renforcent avec le temps. Parmi les textes notables : la loi Sapin 2 prévoit un vote ex ante et ex post (avant et après le versement) sur la politique de rémunération des mandataires sociaux. Poussant les entreprises à bien expliquer les différentes lignes de salaires et autres bonus de leurs patrons pour ne pas voir leurs actionnaires rejeter les résolutions les concernant, surtout lorsque les montants s’avèrent importants ou en forte augmentation. La loi Pacte a également donné un tour de vis supplémentaire en obligeant les sociétés cotées à communiquer sur les écarts de rémunération entre dirigeants et salariés. Le tout sans oublier le code (non contraignant) de gouvernement d’entreprise AfepMedef régulièrement mis à jour afin d’inciter les groupes à améliorer leur gouvernance. Ce qui passe notamment par la rémunération de leurs dirigeants.

Vers une nouvelle loi ?

Quelle forme pourrait prendre la proposition d’Emmanuel Macron ? Selon l’Institut Montaigne, lier les rémunérations à des objectifs climatiques devrait passer par la loi, et plus précisément par une évolution du code de commerce. Néanmoins, "la fixation de la rémunération des dirigeants d’entreprise étant une prérogative des actionnaires, cette nouvelle disposition pourrait être contestée au regard de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle des entreprises, principes généraux du droit ayant une valeur constitutionnelle et impliquant de pouvoir exercer librement une activité économique comme on l’entend", soulève le think tank. Toujours selon lui, un encadrement  "raisonnable" serait admis par la Constitution, le Conseil constitutionnel ayant déjà validé ce genre d’avancées au nom de l’intérêt général. À voir si le gouvernement ira au bout de cette idée, si les critères seront homogènes d’un groupe à un autre et dans quelle mesure une telle approche serait pertinente. Quid également de la manière dont la bonne application des critères convenus sera évaluée ? Réponses d’ici à la fin du quinquennat.

Olivia Vignaud

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