D. Gruson (Jouve) : "Le prérequis essentiel est celui de la protection des données"
Décideurs. Historiquement, Jouve était une entreprise spécialisée dans l’imprimerie. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les principales réalisations de Jouve depuis le virage digital ?
David Gruson. Sur le volet santé, Jouve digitalise les flux de remboursement des professionnels et des patients pour le compte des mutuelles, ce qui leur permet d’externaliser un certain nombre de tâches et de fonctions support en back office et d’augmenter leur efficacité
Depuis mon arrivée, nous avons mis en place à destination des établissements de santé, une solution d'intelligence artificielle d'aide à l'admission des patients à l'hôpital. Baptisé "Know your patient", l'outil est un dérivé de ce que Jouve avait déjà développé dans le secteur bancaire avec une norme de reconnaissance documentaire dénommée "Know your customer" (KYP). Papiers d'identité, cartes Vitale et de mutuelle peuvent ainsi être pris en photo par le patient et directement récupérés et sécurisés par l'intelligence artificielle. Plus besoin de passer par le guichet d'admission. Cette solution est d'ores et déjà déployée dans une trentaine de groupes hospitaliers publics et privés.
Par ailleurs, après un an de phase de R&D, nous avons aussi créé une solution intégrée de numérisation massive de dossiers médicaux et de préparation à l'IA, avec un pilotage par les données de santé intitulée NumIA. Le CHU de Guadeloupe l'utilise déjà. Elle sera prochainement proposée dans de nouveaux établissements de l'Hexagone. Deux produits référencés par de grandes centrales d'achat qui ont reconnu leur caractère innovant.
"Ce contrat est très important pour nous car il a été signé pour dix ans "
Que pouvez-vous nous dire du récent contrat obtenu par Jouve pour le compte de l’Office fédéral américain ?
Concrètement, ce contrat va permettre d’appliquer des traitements algorithmiques à l’ensemble des brevets qui sont déposés auprès de l'United States Patent and Trademark Office (USPTO), l’Office fédéral américain de la propriété intellectuelle, ce qui représente près de 8 000 brevets par semaine. Jouve va ainsi capitaliser sur toute l’expérience d’intelligent process automation qui a déjà été développée auprès de l’Office européen des brevets depuis une quinzaine d’années. Ce contrat est très important pour nous car il a été signé pour dix ans. Il renvoie un signal très positif sur la capacité d’une entreprise française de taille intermédiaire comme Jouve de déployer ses savoir-faire aux États-Unis.
Et puis, bien évidemment cela va aussi nous donner l’opportunité d’accroître le rythme de développement du digital et de l’IA dans le domaine de la santé. Il y a en effet des composantes capitales sur tout le champ de la création intellectuelle et de la propriété industrielle dans le domaine de l’innovation médicale, lors d’essais cliniques ou dans la production de nouvelles solutions. Cela offre de nouvelles perspectives à Jouve de créer d’autres cas d’usages dans le domaine de l’IA de diagnostic sanitaire.
Jouve travaille depuis longtemps sur la faisabilité d’un carnet numérique de vaccination et a été missionné par Bruxelles pour lancer le pass sanitaire européen. Quel est le rôle de Jouve dans cette réalisation ?
Pour être exact, cette mission que nous exécutons pour le compte de l’Agence de sécurité sanitaire de la Commission européenne est bien antérieure au Covid-19. Le but de cet appel d’offre que nous avons remporté à la tête d’un consortium, regroupant également Cimbiose, Ipsos et Syadem, était de réaliser une étude pré-opérationnelle en vue de la création d’une carte de vaccination numérique. Nous avons largement avancé avec des productions technologiques et une méthodologie d’enquête d’opinion pour tester des modèles de e-carte. Tout ce matériel a été fourni progressivement à la Commission européenne. Leurs équipes se sont ensuite appuyées sur notre travail en l’appliquant au contexte sanitaire du Covid-19.
"Examiner les conditions de mise en oeuvre d'une carte de vaccination digitale à l'échelle européenne"
L’objectif de l’étude que nous conduisons est plus large : celle-ci vise à examiner les conditions de mise en œuvre d’une carte de vaccination digitale à l’échelle européenne, car la pandémie a démontré combien cela pouvait être nécessaire en termes de santé publique.
On dit souvent que les Français sont réticents à la digitalisation de la santé, notamment car les données de santé sont très sensibles. Qu’en pensez-vous et comment Jouve parvient-il à convaincre ?
Les choses changent. Bien avant la crise du Covid, il y avait déjà une vraie transformation digitale du système de santé, qui en l’espace de quatre ou cinq ans a fait évoluer les comportements et les mentalités des citoyens français. Nous l’avons observé avec le boom de la télémédecine et l’utilisation des outils de e-santé. Le prérequis essentiel est celui de la protection des données, ainsi que la création d’environnements digitaux de confiance. Ce sont des notions que nous portons depuis 2017 avec Ethik-IA, afin de construire un cadre de déploiement éthique des solutions numériques et d’IA en santé. C’est là un sujet primordial qui est repris dans la loi de bioéthique française et dans le projet de règlement de l’UE sur l’IA qui entrera en vigueur l’an prochain. Il suppose une traçabilité et une supervision des outils de e-santé par des professionnels du secteur et des représentants des patients, pendant leur conception mais aussi pendant leur utilisation. C’est le principe d’une Garantie humaine du numérique et de l’IA en santé.
Jouve et Ethik-IA ont donc un temps d’avance dans ce domaine, car nous sommes en train de créer une plateforme qui permettra aux concepteurs des solutions numériques et aussi aux utilisateurs des établissements de santé, de mettre en œuvre aisément une traçabilité en matière de Garantie humaine.
Quels sont les grands projets à venir pour le programme de santé Jouve ?
Notre objectif est de poursuivre le développement de NumIA de "Know your patient". La plateforme a été déployée au stade de prototype fin 2019 pour le groupement des hôpitaux catholiques de Lille. Puis, la crise sanitaire de 2020 a eu un effet d’accélérateur majeur de la transition numérique du système, ce qui explique qu’elle soit actuellement utilisée par environ trente hôpitaux. D’ici la fin 2021, une centaine d’établissements auront adopté ce système, ce qui fera de "Know you patient" la solution d’IA de référence dans l’admission des patients au niveau national. Plus largement, nous voulons poursuivre cet effort d’innovation pour mettre le numérique et l’IA en santé au service de l’amélioration de la qualité de la prise en charge des patients.
Propos recueillis par Laura Breut