Avocat aux barreaux de Paris, Barcelone, Madrid et New York, Emeric Lepoutre travaillait chez Gide lorsqu’il a été approché par l’un de ses clients pour rejoindre Heidrick & Struggles en 1999. Non sans hésitation, il rejoint le cabinet de chasse de têtes à Paris qu’il finira par diriger pendant sept ans avant d’être aux manettes de Spencer Stuart. En 2015, il "reprend sa liberté" et crée sa propre structure : Emeric Lepoutre & Partners.

Décideurs. Vous êtes passé par le magic circle des cabinets de chasses de têtes. Pourquoi avoir monté votre propre structure ?

Emeric Lepoutre. Issu d’une famille à l’ADN entrepreneur, je n’imaginais pas ne pas monter un jour ma propre entreprise. Dès que j’y ai goûté, j’ai tout de suite aimé le métier de détecteur de talents car c’est une profession tournée à 100 % vers l’humain qui est un puits sans fond passionnant. Avec mes cinq associés, j’ai développé un business modèle équilibré. Je consacre 20 % de mon temps à la partie droit/compliance/secrétaires généraux, 40 % au recrutement de dirigeants tous secteurs confondus et 40 % à la recherche d’administrateurs ainsi qu’au conseil en gouvernance.

Comment dénicher les bons dirigeants dans un vivier de personnalités très intelligentes, rodées aux discours convaincants ?

Il y a une part de rationnel et d’irrationnel. L’irrationnel c’est l’intuition et même si celle-ci se vérifie très souvent, je m’oblige toujours à la remettre en question. Même lorsque j’ai un pressentiment négatif lors d’un entretien avec un candidat, je reste au moins une heure avec lui et, quelquefois, je me dis que j’aurais pu passer à côté d’un talent. Il faut avoir cette humilité et je cherche toujours à trouver la petite pépite d’or au fond des gens. Pour le rationnel, j’établis un rapport de références pour lequel j’appelle six personnes (deux personnes qui étaient en dessous de lui, deux pairs et deux de ses anciens patrons) dont trois contacts donnés par le candidat. Dans la majorité des cas, s’il y a quelque chose à découvrir, je le découvre. 

Comment avez-vous gagné la confiance des dirigeants ?

Je dis toujours que je signe mes recrutements avec mon sang. Dans nos contrats, nous nous engageons à recommencer gracieusement nos missions si les candidats engagés par nos clients partent avant un an car ils ne donnent pas satisfaction. Les entreprises nous font confiance parce que nous ne recrutons pas seulement les meilleurs mais les meilleurs qui s’adapteront à leur ADN, dont nous avons une réelle connaissance.

Les conseils d’administration des grands groupes et leurs membres sont évalués de manière collective et, dorénavant, individuelle. Peu de cabinets ont su s’imposer sur le créneau. Comment avezvous fait pour y parvenir ?

C’est un exercice délicat. À la suite de l’évaluation, les administrateurs reçoivent mon rapport sur lequel je suis interrogé. Il faut se montrer convaincant face à, généralement, une douzaine de dirigeants d’entreprise de sociétés cotées. Tout le monde ressort enrichi par le débat. Sur les sujets qui concernent une personne en particulier, je ne mets pas de nom  dans le rapport mais remonte l’information oralement aux présidents qui ont ensuite le choix d’en discuter avec la personne ou de me laisser transmettre le message. Il est rare mais il peut arriver que, à l’échéance de son mandat, un administrateur ne soit pas renouvelé pour un sujet mis en lumière lors d’une évaluation.

"Dans mon métier, il y'a une part de rationnel et d'irrationnel"

Pouvez-vous dire toutes les vérités aux patrons ?

Oui. Je les préviens : travaillez avec moi si vous voulez toutes les vérités. C’est mon caractère et aussi mes réflexes d’ancien avocat. Mes clients, même les plus difficiles ou les plus stratèges, ne m’ont jamais reproché une vérité. Les autres préfèrent un type de consultants différent.

Les évaluations ont fait ressortir le besoin de mieux préparer les successions. Trouvez-vous le sujet mieux pris en compte ?

Tout à fait. Le besoin de se préparer est dorénavant accepté. Les groupes élaborent des méthodologies pour les plans de succession. Et les bons patrons n’ont pas peur de recruter des gens capables de leur succéder. Les personnes fortes et compétentes n’ont en effet aucun état d’âme à s’entourer de gens meilleurs qu’eux.

Des quotas de 40 % de femmes ont été imposés aux boards et des seuils sont également en préparation pour les comités exécutifs. Quelle est votre position sur le sujet ?

Lorsque j’ai été interrogé par des parlementaires en 2011 au moment de l’élaboration de la loi Copé-Zimmermann sur les boards, j’étais dubitatif. Je pensais naïvement, à l’époque, que le sujet de la diversité serait naturellement pris en compte par les entreprises. Une fois la loi promulguée, j’ai constaté qu’un certain nombre de patrons, qui étaient opposés au quota de 40 % de femmes, se sont vite rendu compte de son utilité. D’ici quelques mois, une loi devrait être votée pour la féminisation des comités exécutifs. Même si ses contours doivent encore être arrêtés et bien que je sois pour, je pense que le calendrier actuellement proposé pour atteindre les objectifs s’avère très ambitieux et ne laisse pas suffisamment le temps aux entreprises pour faire monter des femmes, le vivier de candidates potentielles étant encore à améliorer. Si le seuil de 40 % est maintenu, les entreprises risquent d’aller chercher des talents en externe plutôt que de les faire grandir en interne. Ce qui serait dommage.

Quand pensez-vous que l’on arrivera à la parité aux postes de CEO ?

J’espère que je serai encore vivant pour le voir ! Cela va encore prendre du temps mais je vois tellement de talents féminins qu’il n’y a pas de raisons pour que cela n’arrive pas. Le monde sera meilleur quand on recrutera naturellement des femmes, sans l’intervention du législateur.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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