La marque Nana du groupe Essity bouscule les lignes et suscite parfois des polémiques avec ses campagnes publicitaires. Arnaud Montcru et Jennifer Diaz, participent à cette stratégie de marque offensive, qui cherche à rompre avec la loi du silence et les stéréotypes vis-à-vis des femmes. Rencontre.

Décideurs. Nana a réinventé et modernisé son identité. Contrairement à d’autres enseignes d’hygiène féminine, elle montre dans ses campagnes ce que les autres préfèrent cacher. Quelles sont les valeurs et l’objectif de la marque ?  

Jennifer Diaz. L’objectif de Nana depuis sa création, est d’écouter les consommatrices et d’identifier les tabous, afin de les briser grâce à nos produits et à nos campagnes de communication. Nous voulons représenter toutes les femmes, de la façon la plus inclusive et la plus fidèle possible. En tant que marque, Nana se bat pour qu’elles perçoivent leurs corps de façon décomplexée et avec bienveillance. Dès les années 80, c’est la première marque à oser montrer les protections hygiéniques dans ses publicités. Cette représentation du quotidien intime est un parti pris marketing engagé.  

Arnaud Montcru. L’historique de la marque parle de lui-même. Aborder les vrais problèmes que rencontrent les femmes tout au long de leur vie est un engagement sérieux qui touche de près chaque individu. En 2019, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, nous a notamment rendu visite pour avoir davantage d’informations sur nos campagnes et sur notre action. Nous avons senti qu’il y avait des lignes à faire bouger pour montrer et faire accepter la féminité à la société. Il faut contibuer à la création d’un monde où les femmes peuvent vivre sans tabous. C’est dans cette mouvance que s’inscrit notre marque depuis déjà de nombreuses années.   

En tant que directeur marketing consumer goods en charge notamment de la marque Nana, quels regards portez-vous sur les polémiques autour de la campagne "Viva la vulva" ?  

Arnaud Montcru : Effectivement, cette campagne a fait l’objet d’une demande de censure de la part de certains réseaux sociaux qui, de par leurs algorithmes, ne nous ont pas permis d’en parler. Mais nous souhaitons rompre la culture du silence autour des menstruations. La tonalité directe, authentique et positive de "Viva la Vulva" était totalement voulue et c’est pourquoi nous continuons sur cette lancée. D’autant qu’il y a également eu de nombreux retours très positifs sur cette publicité, qui a été récompensée de plusieurs Lions d’or à Cannes. Elle a également reçu des trophées de l’Union des Marques pour son engagement contre les stéréotypes. Cela nous encourage, car libérer la parole est le rôle d’une marque forte. 

" Libérer la parole est le rôle d’une marque forte " 

Comment s’organise la création des publicités ?  

Arnaud Montcru. Nous avons un partenariat de longue date avec l’agence de publicité AMV BBDO. Essity étant une entreprise internationale qui regroupe plusieurs marques d’hygiène intime, les publicités sont diffusées dans plusieurs pays.  

Jennifer Diaz. La création des campagnes se fait avant tout par la compréhension des besoins de nos consommateurs. Pour maximiser cette connaissance, nous avons lancé dans sept pays un « baromètre des tabous de la zone V ». Il s’agit d’une enquête en ligne sur le long terme qui concerne 14 000 hommes et femmes. Leur rôle est d’identifier les principaux tabous qui demeurent autour de la zone intime féminine et de mesurer leur évolution dans notre société. Nos publicités s’appuient ensuite sur leurs expériences pour aller à l’encontre des stéréotypes.  

Au-delà de la stratégie marketing et de l’image de la marque, y a-t-il un enjeu et un rôle sociétal à jouer ?  

Jennifer Diaz.Tout à fait. Celle-ci permet de démocratiser auprès du grand public certains problèmes concrets rencontrés par les femmes dans leur quotidien. Par exemple, il y a encore quelque temps, on entendait très peu parler de l’endométriose, une maladie qui concerne pourtant une femme sur dix. La campagne "Histoire d’utérus", diffusée depuis 2020, contribue à sensibiliser la société autour de ce sujet important. Les retombées ont par ailleurs été positives. Même les hommes se sentent concernés et nombre d’entre eux ont convenu du retour positif de cette publicité.  

Nana est fortement engagée contre la précarité menstruelle. Pouvez-vous nous parler des actions menées ?  

Arnaud Montcru. Notre marque a toujours eu à cœur de donner accès aux soins et à l’hygiène. Cette année, Essity fête ses dix ans de partenariat avec la Croix-Rouge pour la fourniture de kits d’hygiène en particulier auprès des femmes en grande précarité. Ces kits comprennent notamment des serviettes Nana. Plus récemment, la marque est également devenue partenaire officiel de l’ADSF – Agir pour la santé des femmes – afin d’aider les femmes en difficulté. Cette solidarité est indispensable, encore plus en période de crise sanitaire. En démocratisant ces sujets, nous pourrons aider davantage de personnes. C’est pourquoi pour la toute première fois en 2020, un spot publicitaire diffusé sur MyTF1 a été lancé, qui encourage les consommateurs à soutenir l’association et sensibilise à la précarité menstruelle.  

"En démocratisant ces sujets, nous pourrons aider davantage de personnes"

Jennifer Diaz. Comme l’explique Arnaud, les actions peuvent prendre la forme de dons de produits, de soutien financier ou de collectes de fond. Nous donnons régulièrement, à la fois à l’ADSF et la Croix-Rouge mais également à Dons Solidaires, fortement mobilisée contre la précarité menstruelle.  

Le 23 février 2021, le ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation a annoncé la mise à disposition de protections hygiéniques aux étudiantes. Que pensez-vous de cette mesure gouvernementale ?   

Jennifer Diaz. Nous sommes contents que le gouvernement prenne en compte ce combat pour lequel Nana est déjà très actif. Toute initiative qui participe à réduire la précarité menstruelle est la bienvenue et intéressante. Tous les acteurs, quels qu’ils soient, doivent se mobiliser autour de cette cause.  

Quels sont les prochains objectifs marketing en 2021 ?  

Arnaud Montcru. Cette année 2021 est très chargée. De nouvelles innovations répondront aux besoins des consommatrices. Une gamme de sous-vêtements menstruels lavables et réutilisables vient tout juste d’être lancée. Plus responsables et durables, ces produits s’inscrivent dans la mission du groupe Essity qui souhaite produire de nouvelles solutions toujours plus durables sur toutes nos marques.  

Jennifer Diaz. En plus du lancement de ces nouveaux produits, la marque organise de nouvelles enquêtes. À l’occasion du mois de mars, le mois dédié à l’endométriose, une campagne intitulée  "raconte ta douleur" vient de démarrer. Si cette maladie touche une femme sur dix, le délai moyen de diagnostic est d’environ huit ans. Nous prenons l’initiative d’exposer les témoignages des personnes atteintes de cette maladie. Pour cela, deux outils sont mis à disposition. Tout d’abord avec  "Le dictionnaire de la douleur", qui permet de mettre des mots sur les maux, pour mieux reconnaître et mieux identifier la maladie. Enfin, un "musée virtuel de la douleur" a été créé, qui met en évidence le parcours de ces femmes et les différentes formes que peut prendre cette maladie. Cette action s’inscrit dans l’ADN de notre marque, car elle participera à faire connaître cette pathologie.  

Propos recueillis par Laura Breut 

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