Toute entreprise qui rencontre des difficultés bénéficie autour d’elle de divers acteurs pour lui venir en aide. Delphine Caramalli, associée de Clifford Chance, est l’un d’eux. Elle revient sur les effets de la crise sanitaire pour les sociétés, sur la mutation inévitable du secteur du retail et nous partage ses conseils.

Décideurs. Certains disent “retail is dead”, autrement dit que “le retail est mort”. Qu'en pensez-vous ? 

Delphine Caramalli. Je ne pense pas que le retail soit mort. En revanche, je pense que le modèle économique traditionnellement retenu dans l'industrie du retail doit être repensé pour s'adapter à de nouveaux schémas de consommation. D'ailleurs, les enseignes qui ont su faire évoluer leur modèle continuent de prospérer. Bien sûr, ces mutations requièrent des efforts financiers et ont souvent un coût social. Or, concernant le volet financier, il est apparu que ni les actionnaires ni les banquiers n'ont voulu assumer ces investissements du fait notamment des pertes déjà enregistrées lors de précédentes restructurations. Quant au volet social, les coûts et les procédures de licenciement sont trop souvent insoutenables pour des sociétés déjà en difficulté. C'est pourquoi, de nombreux groupes de retail sont partis ces derniers mois en plan de cession car, dans ce dispositif, les fonds injectés par le repreneur n'ont pas vocation à apurer une dette ou à financer un PSE mais à soutenir un projet de redéploiement d'une marque et d'un réseau.

De nombreuses reprises à la barre sont intervenues ces derniers mois et vous avez même remporté la plus emblématique d'entre elles cette année. Des préconisations pour gagner ?

Le tribunal statue sur les offres de reprise après avoir apprécié les trois critères légaux que sont la pérennité de l'entreprise, la sauvegarde de l'emploi et l'apurement du passif. Le premier critère est cardinal et passe notamment par la conviction que le tribunal se fera du projet industriel du candidat repreneur. La vision du chef d'entreprise et son positionnement sur le marché, les synergies et leviers identifiés, les axes de redéploiement envisagés et la capacité de financement sont autant d'éléments à l'appui d'un projet industriel bien construit.

Outre le projet industriel, vous semblez dire que le financement est clé. Anticipez-vous des évolutions sur ce sujet ?

Je constate que dans plusieurs opérations récentes, les groupes ont été redimensionnés en fonction non pas de critères de profitabilité mais de leur capacité à financer le besoin en fonds de roulement. D'ailleurs, pour l'industrie du retail, plus que des PGE [prêts garantis par l'État, Ndlr], ce sont des mécanismes favorisant l'octroi de financements garantis sur les stocks à venir qu'il aurait fallu élaborer.

Vous remettez en cause le PGE ?

Le PGE a plusieurs mérites et la mobilisation autour du dispositif est, en soi, un succès. Il ne s'agit pas de remettre en cause le bien-fondé du PGE mais plutôt de réfléchir à ses adaptations pour être en mesure de mieux répondre aux besoins des entreprises requérantes. D'ailleurs, si le PGE n'était pas perfectible, les professionnels de la défaillance ne s'accorderaient pas à en redouter les effets pervers qui ne manqueront pas d’apparaître dès que les premières échéances tomberont et que le mur de la dette s'abattra. Qui feint encore d'ignorer que de nombreuses entreprises françaises qui bénéficient d'un PGE sont sous perfusion ? Dans la mesure où, indépendamment du PGE, il existe plusieurs typologies de financement, pourquoi n'envisagerions-nous pas plusieurs catégories de PGE ? La nature et l'articulation de chaque crédit varient en fonction, d'une part, des besoins identifiés de l'emprunteur et, d'autre part, du risque supporté par le prêteur (lequel varie d'une industrie à l'autre). Dès lors, on pourrait transposer le raisonnement et créer des produits de financement de crise polymorphes. Il n'y aurait alors non pas un mais plusieurs PGE aux caractéristiques hybrides et flexibles car intrinsèquement conjoncturelles.

Face à la crise de Covid-19, de nombreuses entreprises se révèlent en très grandes difficultés. Quel message ou conseil souhaiteriez-vous faire passer ?

La crise économique est venue s'ajouter à la crise sanitaire, lesquelles s'accompagnent aussi de bouleversements d'ordre sociétal qui s'apparentent à une crise des comportements de consommation. Dès lors, notre responsabilité collective est précisément d'accompagner le commerce et l'industrie dans une mutation inévitable qui concerne tous les acteurs économiques. Cela passera en premier lieu par l'innovation et la formation. Mais pas seulement. Il est désormais impératif de mener à bien plusieurs chantiers pour faciliter le mouvement. Je pense évidemment à une refonte de notre droit du travail qui doit être simplifié et offrir plus de flexibilité. Mais, telle ou telle réforme prise isolément aura un effet limité si elle ne s'inscrit pas dans une globalité et si elle n'est pas le produit d'une réflexion transversale. Nous devons nous rendre à l’évidence : le monde d'avant est révolu et celui de demain dépendra de notre capacité à innover et rebâtir un ordre cohérent.

Propos recueillis par Agathe Giraud

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