Quinzième fortune d’Europe, Jorge Paulo Lemann, brésilien de naissance et suisse d’adoption, doit sa réussite à son goût des mégafusions et à son talent pour les restructurations menées tambour battant. Aujourd’hui âgé de 82 ans, l’homme aux 25 milliards de dollars et à l’appétit sans limite l’affirme: il recommencerait bien tout… dans la tech.

Avare d’interviews autant que d’apparitions publiques, l’homme est discret. Presque secret. En Suisse, où il vit depuis plus de vingt ans, on le connaît peu. Pourtant, au Brésil où il est né et où il a fait fortune, Jorge Paulo Lemann tient du personnage de légende. Ancienne gloire du tennis, il participera par deux fois à la Coupe Davis et jouera au tournoi de Wimbledon avant d’aller exercer ses talents sur le terrain des affaires et de s’y révéler plus performant encore que sur terre battue.

Il participe par deux fois à la Coupe Davis

Au point d’engranger une fortune aujourd’hui estimée à 25 milliards de dollars faisant de lui l’homme le plus riche du Brésil et le plaçant en 37e position du classement Forbes des plus grandes fortunes mondiales. De quoi lui valoir, selon l’agence Bloomberg, un statut à part dans son pays d’origine : celui de véritable "héros des affaires" tenant à la fois de "Warren Buffet, Sam Walton et Roger Federer".

De Rio de Janeiro à Harvard

Pourtant, lorsqu’à l’âge de 17 ans il doit renoncer aux plages de Rio de Janeiro pour rejoindre les bancs de Harvard, son goût pour le monde du business n’apparaît pas flagrant. Subissant, de son propre aveu, les cours autant que le climat, enchaînant les notes catastrophiques, il garde de cette première année un souvenir "horrible" et il s’en faut de peu qu’il ne jette l’éponge. Contre toute attente il s’y fait et, au printemps 1961, sort diplômé de la prestigieuse école. Après des premiers pas au Crédit Suisse de Genève, il cofonde avec plusieurs associés, au début des années 1970, Banco Garantia, une banque d’investissement décrite par Forbes comme "le Goldman Sachs brésilien" qui, en 1998, sera revendue 675 millions de dollars à Crédit Suisse. Mais c’est la décennie suivante qui va s’avérer décisive: elle voit Jorge Paulo Lemann prendre pied sur le marché de l’alimentaire sur lequel, désormais, il va multiplier les acquisitions massives jusqu’à se tailler une réputation de spécialiste en mégafusions.

Mégafusions

La fusion Kraft et Heinz ? C’est lui. Celle, il y a quatre ans, des brasseurs SABMiller et de AB InBev, encore lui. Ces deals historiques, Jorge Paulo Lemann s’y est préparé dès les années 1980 en se faisant les dents sur plus petit. D’abord en rachetant la brasserie Brahma, puis en s’invitant, via 3G Capital, le fonds qu’il dirige avec ses associés de toujours – Carlos Sicupira et Marcel Telles –, au capital d’InBev et, en 1982, en s’offrant les supermarchés Lojas Americanas.

La fusion Kraft et Heinz ? C’est lui. Celle, il y a quatre ans, des brasseurs SABMiller et de AB InBev, encore lui

De solides galops d’essai qui, succès après succès, vont préparer le terrain à son premier gros coup : le rachat, en 2008, du brasseur américain Anheuser-Busch par son concurrent belgo-brésilien InBev. Rachat qui, moyennant 50 milliards de dollars, donnera naissance au numéro un mondial de la bière.

Cost-killer

Le modus operandi, lui, est déjà bien en place: rachat, restructuration massive et redressement à marche forcée. De quoi valoir à l’homme d’affaires une réputation de costkiller sans état d’âme et quelques inimitiés, mais aussi de spectaculaires succès… Comme ce sera le cas avec Burger King, racheté 3,3milliards de dollars en 2010, restructuré, réintroduit en Bourse, puis, revendu pour 4,8milliards de dollars mais aussi et surtout avec la fusion à 45 milliards de dollars qu’il réalisera entre les groupes Heinz et Kraft Food… Entrepreneur insatiable, financier intraitable mais aussi visionnaire avisé, Jorge Paulo Lemann l’affirmait il y a peu : s’il devait tout recommencer, sa carrière, ses choix, sa fortune…, il le ferait sur le secteur de la tech. "Malheureusement je ne suis plus si jeune et j’ai déjà quelques affaires à gérer, sans cela, je me jetterais dans ce secteur à corps perdu", s’amusait le milliardaire qui, à 82 ans, pourrait bien en être capable.

Caroline Castets

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