Le président de la société d’investissement familiale FFP a passé une grande partie de sa carrière au sein des marques Peugeot et Citroën. Cet ingénieur de formation gère désormais les participations de la famille dans différentes entreprises dont PSA, qu’il accompagne dans son projet de rapprochement avec FCA.

Robert Peugeot est tombé dans la marmite de l’entreprise familiale dès l’enfance. À 70 ans, le président de la société d’investissement familiale FFP (qui détient plus de 10 % du capital de PSA), se remémore très bien les débats, liés au groupe, que son père faisait revivre à la maison. Ainsi se souvient-il des interrogations stratégiques sur l’ouverture de l’usine de Mulhouse par rapport au site de Sochaux qui construisait jusque-là toutes les Peugeot, ou celles sur le passage à la traction avant avec la 204, dotée d’un moteur aluminium qui coûta plus cher que prévu. "Cet échange en famille sur l’avenir de l’entreprise et notre responsabilité à cet égard, je l’ai reproduit avec mes enfants", explique celui dont le fils aîné, Charles Peugeot, est devenu patron de la marque DS en Belgique et administrateur de l’Établissement Peugeot Frères. Pendant que sa fille, Laure, siège au board de la société des moulins à poivre et que son cadet, Édouard, qui déroule sa carrière dans le private equity à Londres, a intégré le conseil de FFP.

La gouvernance comme boussole

Ses enfants ne sont pas les seuls héritiers, parmi les trois branches de descendants Peugeot, à être attachés à PSA. En tout, trois membres de la neuvième génération du groupe fondé en 1810 viennent d’intégrer les instances de gouvernance. Ils ont été sélectionnés par un cabinet de chasse de têtes à partir d’une dizaine de candidatures de neveux et nièces. "Nous ne sommes pas dans la logique : après moi le déluge, assure Robert Peugeot. Nous avons la conviction que l’avenir de nos sociétés passe par la qualité de leurs dirigeants et de leurs conseils d’administration."

"La gouvernance nous permet de ne pas partir dans le décor."

La gouvernance n’est pas un vain mot pour le dirigeant, qui est par ailleurs membre du Haut Comité de gouvernement d’entreprise – instance garante du respect du code Afep-Medef. Il rappelle, en effet, que FFP, qui a fait l’objet d’une introduction en Bourse en 1989, répond aux impératifs de transparence induits par son statut de société cotée et compte pour moitié des administrateurs indépendants à son conseil. Ce qui a pu être écrit dans la presse sur les divergences au sein de la famille pendant les coups durs ? "Nous prenons des décisions souvent à l’unanimité, parfois à la majorité. Certaines s’avèrent très difficiles", reconnaît Robert Peugeot qui cite notamment l’entrée au capital de PSA d’autres partenaires en 2014 (le chinois Dongfeng et l’État) afin de sauver l’entreprise. Et d’estimer que : "La gouvernance nous permet de ne pas partir dans le décor."

Diversifier les investissements

C’est d’ailleurs dans l’optique que PSA bénéficie d’amortisseurs en cas de tempête que FFP – la société d'investissement détenue à 80 % par les Établissements Peugeot Frères – décide de ne plus mettre tous ses œufs dans le même panier. Si cette stratégie de diversification du portefeuille a "connu un démarrage lent", elle est désormais pleinement opérationnelle. Lorsque Robert Peugeot prend les rênes de la firme, en 2003, seulement 225 millions d’euros sont alloués à d’autres titres que PSA. Fin 2019, les investissements hors Peugeot représentent les deux tiers des 5 milliards d’actifs gérés par la société. Il faut dire que, quand Robert Peugeot se fixe un cap, il le suit jusqu’au bout. "J’ai été directeur de la qualité et de l’organisation. Dans ce domaine, on dit ce que l’on va faire et on fait ce que l’on a dit", commente-t-il un brin d’amusement dans la voix.

Au 31 décembre 2019, les investissements hors Peugeot représentent les deux tiers des 5 milliards d’actifs gérés par FFP.

Cette nouvelle marge de manœuvre a permis aux Peugeot de remettre au pot en 2014 alors que PSA traversait une crise majeure. L’idée de jeter l’éponge ne lui a-t-elle jamais effleuré l’esprit dans ces moments difficiles ? "Non, c’est dans l’ADN familial : nous nous sentons responsables de cette entreprise." D’ailleurs, Robert Peugeot œuvre pour la création de Stellantis, groupe qui sera issu de la fusion entre PSA et FCA, une fois l’aval de la Commission européenne obtenu. "Notre projet à long terme consiste à créer un constructeur de taille mondiale, bien équilibré en Amérique et en Europe, ce qui est important pour pérenniser l’avenir de nos marques et financer la masse de transformations futures : véhicule électrique, autonome, etc.", souligne Robert Peugeot qui ajoute : "Avant, quand on aimait les voitures, on parlait d’avoir de l’essence dans les veines. Aujourd’hui, c’est aussi un peu d’électricité." Sur ce point, Robert Peugeot est fier de pouvoir affirmer que PSA est le groupe européen qui respecte le mieux les objectifs de CO2 imposés par Bruxelles. Quant au débat autour de la pollution provoquée par les voitures, qui se fait plus pressant avec la crise liée à la Covid-19, Robert Peugeot rappelle que la mobilité durable a un prix : "Les observateurs oublient trop souvent qu’elle n’est pas accessible à tous et que, baisser les coûts, notamment des batteries, va prendre du temps."

Visionnaire

Robert Peugeot n’est pas homme à se complaire dans le passé. Le projet du Centre de design Peugeot-Citroën, symbole d’innovation, c’était son idée. Implanté à Vélizy et baptisé ADN, ce bâtiment regroupe quelque 1 000 âmes. Pour construire le site, le groupe lance un concours d’architecture remporté par l’atelier Ripault et Duhart. "J’avais constitué un cahier des charges, raconte Robert Peugeot qui était alors membre du comité exécutif de la société. Pour réussir le design automobile, il fallait combiner les studios de design classiques avec des lumières zénithales, prendre en compte le développement de plus en plus important de création digitale et puis, surtout, associer les ingénieurs de l’innovation."

ADN est l’un des points culminants de sa carrière sur lequel le dirigeant aime à se confier, lui qui passe rapidement sur toutes les étapes de son CV, préférant mettre en avant PSA et FFP. Pourtant, son parcours mérite qu’on s’y penche. Après des études à Centrale et à l’Insead, ce "fils de l’école publique" connaît "deux vies". La première partagée entre les marques Peugeot et Citroën : il a d’abord fait ses gammes en tant qu’ouvrier à l’usine de Sochaux, avant une étape de deux ans dans une filiale à Johannesburg. Il travaille ensuite en tant qu’ingénieur sur la mise au point des climatisations embarquées ou encore sur le développement de la robotisation des ateliers de soudure. L’homme a également opéré en tant que directeur de l’usine mécanique d’Asnières, qui connut en 1982 une période de conflits sociaux. Avant d’occuper une succession de postes de direction chez Citroën, tels que responsable des plans et programmes ou directeur de l'organisation et des systèmes informatiques.

Entrepreneur dans l’âme

Sa deuxième vie ? Son "aventure entrepreneuriale" chez FFP, dont il fut président et CEO. Cette société d’investissement prospère est "le résultat de quelques très bons choix", comme la prise de participation dans SEB, entreprise "accompagnée dans une croissance magnifique". FFP est aussi entrée au capital de Zodiac. "Nous avons été très influents dans le rapprochement avec Safran, explique Robert Peugeot. Nous n’avons pas vocation à prendre des participations de plus de 5 % à 10 % dans les entreprises dans lesquelles nous investissons car nous avons suffisamment à faire avec PSA, mais notre expérience donne de la légitimité aux stratégies que nous soutenons dans les autres groupes."

"Nous n'avons pas vocation à prendre des participations de plus de 5 % à 10 % dans les entreprises dans lesquelles nous investissons"

Le dirigeant se montre sensible aux histoires entrepreneuriales, comme celle de Tikehau, société fondée par Antoine Flamarion et Mathieu Chabran et dans laquelle FFP détient des parts. Mais aussi aux réussites familiales telles que celle de FCA, contrôlé à 28 % (fin 2019) par les Agnelli et avec qui les Peugeot font affaire dans le cadre de la fusion entre les deux groupes automobiles. "Nous nous connaissons depuis longtemps et la vision que nous partageons pour Stellantis est très claire." Robert Peugeot deviendra vice-président du conseil du futur ensemble, tandis que John Elkann (petit-fils de Gianni Agnelli) occupera le siège de président.

À l’exécutif de PSA et bientôt de Stellantis : un homme, Carlos Tavares, qui a l’estime de Robert Peugeot. "Nous avons fait la même école d’ingénieur, j’ai participé à son recrutement. Le contact entre nous est très spontané", décrit-il. Il reconnaît avoir été surpris par la rapidité avec laquelle le patron de PSA a redressé Opel Vauxhall, société rachetée en 2017. Le groupe n’a pas non plus démérité durant la crise du Covid. Les Peugeot ont permis à la fondation Immunov d’acquérir du matériel pour travailler sur les phases graves de la maladie. "Nous avons voulu donner pour quelque chose de précis. Nous sommes fiers de soutenir la recherche pointue." Un sens de la précision qui va si bien à cet ingénieur devenu investisseur à l’esprit carré et au sens de l’organisation impeccable.

Olivia Vignaud

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