En plein coronavirus, les entreprises du domaine de la santé sont toutes sollicitées. Cécile Jouclas, directrice financière d’Inotrem, fait part des actions de cette start-up nancéenne de biotechnologies, qui s’est spécialisée dans le contrôle de la réponse immunitaire lors de maladies inflammatoires aigües et chroniques, pendant cette période de crise et de sa lutte contre la Covid-19.

Décideurs. Après être passée par Lundbeck, Thuasne et maintenant Inotrem, quels défis communs avez-vous rencontrés dans les directions financières de ces sociétés du secteur de la santé ? Pourquoi avoir choisi ce domaine ?

Cécile Jouclas. Au départ, je me suis retrouvée dans ce secteur par hasard. Cependant, les entreprises de la santé, ont toutes un même point commun, un projet fédérateur. Il est très gratifiant d’améliorer la vie des patients et de leurs proches. C’est la raison pour laquelle j’ai progressé dans cette industrie. Même si je reste dans le secteur médical, la direction financière d’une biotech n’est pas comparable à celle des autres établissements où j’ai pu exercer. Au sein d’une petite structure, telle qu’Inotrem, elle doit être à la fois très opérationnelle, impliquée dans la stratégie de la société et de sa croissance mais aussi flexible, capable de s’adapter aux changements et aux difficultés d’une entreprise innovante. De même, elle doit être diplomate auprès des chercheurs qui sont à l’origine de la création de valeur et des actionnaires dont elle est le garant de la bonne utilisation des ressources.

Comment Inotrem a vécu la crise du coronavirus ? Quelles ont été les difficultés, ou au contraire, les opportunités auxquelles votre start-up s’est trouvée confrontée ?

Nous avons dû faire face à une situation inédite. Toutefois, Inotrem, du fait de sa petite taille, est une structure agile. Le télétravail faisait déjà partie de la culture d’entreprise, alors, le mettre en place à 100 % n’a pas été difficile. En revanche, financièrement, nous avons subi un impact significatif parce que nos projets ont pris du retard. L’étude principale, sur laquelle se concentre Inotrem, concerne des patients traités en soins intensifs. Leur recrutement a donc été ralenti, les hôpitaux ayant d’autres priorités à gérer. De plus, en tant que directrice financière, j’ai eu d’autres préoccupations. À savoir repenser notre business plan et solliciter de nouvelles sources de financement, à cause du retard dans le planning, et les coûts qu’il entraîne.

Dans le cadre de l’épidémie, nous nous sommes vite rendu compte, que notre candidat médicament le plus avancé, le nangibotide, pouvait servir à lutter contre la Covid-19. Habituellement, cette molécule est développée pour des malades souffrant de choc septique mais nous avons découvert qu’elle a un potentiel sur le traitement des cas graves du coronavirus car les patients admis en réanimation présentent des symptômes assez proches. Ainsi, l’équipe de développement et l’équipe financière se sont mobilisées pour mettre en place cette étude et trouver son financement. En conséquence, lors du confinement, nous avons connu une hausse de l’activité, plutôt qu’un ralentissement.

Les biotech sont mises en avant avec l’épidémie mondiale. Pouvez-vous nous en dire plus concernant votre étude sur la Covid-19 sélectionnée par le gouvernement français ?

Notre étude pour lutter contre la Covid-19 démarre très prochainement en France et en Belgique. Soixante patients seront traités avec notre molécule nangibotide. Cinq CHU français et deux belges, ont été sélectionnés et formés à notre protocole. Lorsque ces hôpitaux recevront des cas graves de coronavirus, ils choisiront de leur administrer notre candidat médicament, ou non.

Pour ce projet, nous avons reçu le soutien de Bpifrance. Après leur avoir présenté les recherches, ils nous financeront en fonction de notre avancée. Nous avons reçu 5,4 millions d’euros d’aides, en subventions et en avance remboursable.

Si nous avons été sélectionnés par le gouvernement français, je pense que cela tient à nos recherches sur la molécule nangibotide, sur laquelle nous travaillons depuis des années. Son développement clinique est déjà bien avancé et sa sécurité comme sa tolérabilité sont tout à fait satisfaisants jusqu’à présent. Ce traitement est intéressant pour les formes sévères de Covid mais potentiellement aussi pour d’autres formes de virus, à l’avenir. Celui-ci, comme beaucoup d’autres, provoque une suractivité du système immunitaire. À partir du moment où une réaction inflammatoire est disproportionnée, quelle que soit l’infection sous-jacente, ce traitement pourrait être efficace.

Votre entreprise a été choisie pour rejoindre la French Tech 120, lancée en 2019 par le président de la République et l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe. Qu’attendez-vous de cette sélection et que pensez-vous qu’elle puisse vous apporter ?

Rejoindre la French Tech 120 est une reconnaissance pour nos équipes et nos investisseurs. Elle présente de nombreux avantages. Elle facilite l’investissement public, ce qui n’est pas négligeable pour une biotech comme la nôtre. Les institutions publiques disposent d’une attention particulière pour les heureux élus. De même, cette sélection peut aider au financement de notre trésorerie. Nous espérons que rallier la French Tech 120 nous facilitera nos démarches auprès de l’administration et du service public.

Un des points communs des start-up du programme est l’hypercroissance dont elles avaient fait preuve. Comment expliqueriez-vous la si forte croissance d’Inotrem?

Si nous observons les deux levées de fonds (la série A de 18 millions d’euros et la série B, de 63 millions), qui impliquent notre étude principale sur le nangibotide, nous pouvons admettre une hypercroissance. Toutes nos phases de recherches doivent être accompagnées par des investisseurs. Alors, après une première étude dans le choc septique sur 50 personnes terminée en 2018, le challenge a été de convaincre nos investisseurs historiques et des nouveaux de nous suivre dans la prochaine phase. Plusieurs raisons les ont convaincus. Tout d’abord, le traitement représente une réelle opportunité de sauver des vies. Le choc septique est, en effet, la première cause de mortalité en soins intensifs et aucun traitement spécifique n’existe. Aussi, notre candidat médicament cible TREM-1, un récepteur qui joue un rôle clé dans le dérèglement de l’inflammation, et enfin, notre stratégie est dite de "médecine personnalisée" ; c’est-à-dire, que nous n’utilisons notre traitement que sur les patients qui auraient tendance à y répondre positivement. Nos résultats et notre fort potentiel de développement n’ont pu aboutir qu’à l’hypercroissance d’Inotrem.

Depuis la création d’Inotrem en 2013, vos recherches se portent sur le choc septique. En luttant contre le coronavirus, vous changez d’axe de stratégie. Pensez-vous que désormais, les activités d’Inotrem vont se tourner vers d’autres secteurs de la santé ?

L’étude sur le coronavirus reste dans la continuité de celle sur le choc septique. Dans les deux cas, le dérèglement du système immunitaire entraîne une inflammation aigüe. Nous utilisons la même molécule pour les traiter. Ainsi, ce deuxième projet n’est pas un nouvel axe de stratégie mais une nouvelle application de notre technologie. Ce sont deux essais que nous menons en parallèle. En revanche, notre objectif est de soigner, par la suite, d’autres pathologies. Comme notre coeur de métier est centré sur la modulation de la cible biologique TREM-1, nous souhaitons aussi travailler sur d’autres indications, comme développer des anticorps pour les pathologies inflammatoires chroniques notamment. Mais avant tout, rien n’est gravé dans le marbre, nous nous adaptons à l’environnement.

Propos recueillis par Agathe Giraud

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