Depuis plusieurs mois, les directions financières travaillent d’arrache-pied afin de faire face à la crise et préparer leurs entreprises à la relance. Ce contexte de tensions agit comme un révélateur de talents mais aussi de failles au sein de la direction. Le cabinet de management de transition EIM accompagne la réflexion des patrons autour de leurs équipes. Thierry Fournier, associé, décrypte ces échanges.

Décideurs. Avec la crise, les directions financières sont-elles appelées à être réorganisées ?

Thierry Fournier. Pendant le confinement, les missions que nous avions en cours pour trouver des managers de transition n’ont pas été interrompues, nos clients ayant besoin de cette fonction largement mise à contribution avec la crise. Le démarrage de nouvelles missions a, en revanche, ralenti. Depuis le déconfinement, nous observons beaucoup de changement. L’action de certains directeurs financiers a été jugée insuffisante et leur patron nous demande de trouver dès maintenant leur remplaçant. Ce n’est pourtant pas évident pour un dirigeant de changer de directeur financier en pleine crise, qu’il soit bon ou non car il y a tout un tas d’impératifs auxquels faire face durant cette période.

De quoi les CFO peuvent-ils avoir manqué ?

Cette crise n’a pas révélé un problème de compétences chez les financiers car ils sont raisonnablement tous compétents pour sécuriser les lignes bancaires ou gérer la trésorerie. Elle a surtout révélé des personnalités. Si ce sont les patrons qui insufflent la trajectoire, tous les managers au sein de l’entreprise doivent être des leaders en temps de crise et se montrer au niveau.  

Y a-t-il des demandes pour venir renforcer les équipes existantes ?

Oui. Certaines entreprises ont besoin de quelqu’un de costaud pour préparer les restructurations à venir et s’adapter à la nouvelle donne économique. Mais c’est surtout sur l’autre fonction extrêmement sollicitée pendant la crise, la DRH, que nous recevons ce genre de demandes. Restructurer, c’est un métier. Il faut avoir l’habitude de concevoir de nouvelles organisations, de nouveaux process, identifier ceux qui vont pouvoir tenir les postes en question, etc. C’est un classique de le confier à quelqu’un d’extérieur. Pendant que les affaires reprennent, il faut une personne qui s’attèle à la tâche. Dans les mois à venir, le duo qui aura le dernier mot sera les finances et les ressources humaines.

Quels sont les profils recherchés ?

Ce sont souvent des gens qui viennent de secteurs structurellement difficiles, comme la distribution spécialisée ou les activités soumises à la concurrence d’acteurs numériques. Il s’agit de personnes qui ont l’habitude de restructurer pour tenir compte de la réalité du marché. Surentraînées, elles évoluent déjà dans des mondes où la pression sur les marges est forte.

Y a-t-il un vivier suffisant de managers de ce calibre ?

Ce sont des profils très demandés aujourd’hui. Il va y avoir une tension sur ce type d’experts. Les entreprises qui envisagent d’y avoir recours doivent s’équiper au plus vite car la demande fleurit. D’un côté, il y a les sociétés qui allaient bien mais qui doivent s’adapter aux effets de la crise, de l’autre celles qui allaient déjà moins bien et qui vont en « profiter » pour se restructurer. C’est pour cela que je suis convaincu que les chiffres du chômage vont être vertigineux.

"Dans les mois à venir, le duo qui aura le dernier mot sera les finances et les ressources humaines"

Les recherches au sein des directions financières intègrent-elles déjà les caractéristiques du monde dit "d’après" ?

Ce n’est pas encore un sujet. Pour l’heure, on sauve les meubles. Les patrons ont besoin de gens très efficaces, rompus à l’exercice afin d’adapter l’entreprise à sa nouvelle réalité de marché. Viendra ensuite le moment d’un projet plus équilibré, plus vert. Peut-être les grands groupes du CAC 40 ont-ils déjà les moyens de réfléchir au coup d’après mais les ETI doivent, elles, d’abord retrouver un poids de forme.

À quelles difficultés les CFO pourraient-ils être confrontés dans les mois à venir ?

Ce qui va être difficile sera de passer d’un monde où tout est fait pour serrer les boulons, étaler les paiements : bref préserver la trésorerie. À un monde où il faudra faire des acquisitions, aller chercher de la dette, rentrer dans des systèmes d’intégration. C’est-à-dire passer de la crise au développement. Combien vont-être capables de cette gymnastique ?

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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