Le secteur de l’événementiel et les sociétés spécialistes de l’accueil de visiteurs se trouvent particulièrement touchés par la crise. Guillaume Amar, directeur général d’Armonia, filiale du groupe Sofinord et spécialiste des services aux entreprises et collectivités, explique comment il s’adapte pour faire face à cette épreuve et évoque l’avenir de ces métiers.

Décideurs. Quand avez-vous pris conscience de l’impact de la crise sanitaire ?

Guillaume Amar. Le 27 février, bien avant le confinement, j’ai commencé à recevoir des signaux faibles. La partie intérim et événementiel nous a indiqué que des salons étaient annulés à cause du Covid-19. Dès lors, j’ai levé le pied en stoppant les dépenses et les recrutements.

Aviez-vous beaucoup de recrutements en cours ?

Chez nous, le sujet RH est très important puisque 85 % de nos coûts relèvent de la masse salariale. Notre métier consiste à détacher du personnel expérimenté chez nos clients. Cela va des agents de sécurité pour les aéroports, aux hôtesses d’accueil pour l’événementiel, en passant par des guides dans des musées. Nous comptons 12 000 collaborateurs en CDI et nous recrutons énormément. Le Figaro nous place au troisième rang de leur classement des entreprises qui recrutent. Cela s’explique par deux choses : nous avons de plus en plus de marchés – depuis qu’il existe, le groupe affiche une croissance à deux chiffres – et le turnover est important, notamment dans l’événementiel puisqu’il s’agit de métiers tremplin souvent occupés par des étudiants. Aujourd’hui, 80 % de l’activité est à l’arrêt. Pour faire face à la crise, nous recourons au chômage partiel.

Comment avez-vous personnellement vécu cette mesure ?

C’est une décision difficile que je n’ai pas prise de gaîté de cœur. Nous sommes un groupe familial, qui embauche depuis 45 ans et qui aime ses collaborateurs. Cela fait très mal d’annoncer ce genre de nouvelles. Nos partenaires sociaux et les salariés l’ont néanmoins parfaitement compris. Notre CSE nous a suivi à 100 % sur cette mesure, conscient qu’il fallait passer par là pour sauver l’entreprise, même si celle-ci est très saine. Le groupe devait d’ailleurs atteindre le milliard d’euros de chiffre d’affaires cette année.

Comment gérer une telle crise ?

Personne n’était préparé à un tel événement. Les plans de continuité des entreprises envisagent l’inondation de bâtiments, des arrêts temporaires de serveurs, des personnes malades mais pas un confinement. Nous nous sommes tous retrouvés confrontés au même problème. Il faut agir avec calme et sérénité. Nous avons mis en place un commandement quasi militaire, avec un expert par métier : finance, RH, communication, etc. Il faut énormément communiquer même si nous n’agissons pas de manière démocratique. Il faut laisser les experts trancher. La situation laisse peu de place au compromis.

Je plains les dirigeants qui viennent de prendre leur poste et n’ont pas encore de relais au sein de l’entreprise

Comment composer avec les incertitudes et la solitude ?

Je ne me sens pas seul car j’ai une belle équipe et je suis dans le groupe depuis seize ans. Nous nous faisons mutuellement confiance et je suis légitime. En revanche, je plains les dirigeants qui viennent de prendre leur poste et n’ont pas encore de relais au sein de l’entreprise. Quand j’ai un doute, je sais qui interroger et les personnes me répondent librement. À titre personnel, je suis confiné en famille. Le soir nous échangeons avec ma femme et mes enfants sur nos émotions et la manière dont ils perçoivent les événements.

Quant aux incertitudes, le droit à l’erreur est admis car nous sommes dans une période incertaine. Nous avons par exemple tapé un peu fort les premiers jours sur la partie facturation clients. Les réactions nous ont permis d’ajuster notre posture. Il faut passer le cap de l’émotion et éviter de tous mordre pour survivre, sinon l’écosystème flanchera.  

Avez-vous un exemple de décision qui n’aurait pas débouché sur un consensus mais nécessitait pourtant d’être tranché ?

Le plan de redémarrage est lié au retour des collaborateurs sur sites. Si j’ai décidé de leur faire livrer des masques, j’estime que le gel hydroalcoolique doit être fourni sur les lieux où ils travailleront, au même titre que le savon dans les toilettes. Mes patrons de filiales n’étaient pas d’accord avec cette décision. Pourtant, imaginez, si je devais envoyer cinq litres de gel à 20 euros la livraison dans mes 3 500 points clients. Le coût serait phénoménal. Les clients l’ont compris et aujourd’hui mes patrons de filiales approuvent ce choix.

Comment s’annonce la reprise ?

À peu près la moitié de mes clients vont rouvrir leurs sites totalement ou partiellement après le confinement. Dans les grandes entreprises où nous assurons l’accueil nous pouvons estimer que, de quatre à cinq hôtesses nous passerons à deux, d’abord pour respecter les gestes barrières et parce que nos clients recevront moins ou peu de personnes de l’extérieur et que leurs effectifs à mobiliser en présentiel se trouveront réduits. Avec un volume d’activité plus faible, la facturation sera également moindre. De ce que je perçois, la « vraie » reprise" sera plutôt pour septembre-octobre. Nous travaillons aussi pour de grands événements sportifs qui sont, pour le moment, annulés ou reportés.

La situation est atypique et ne peut être comparée au passé

Comment prendre des décisions dans un contexte aussi incertain ?

Je suis optimiste et j’évite de raisonner par analogie car la situation est atypique et ne peut être comparée au passé. Je ne regarde que les faits – les éléments factuels et basiques. Il y a quelques semaines, on nous disait que le virus n’était qu’une grippette, que les masques n’étaient pas utiles. Je dis stop. Je dois me faire ma propre opinion pour protéger mon business et mes collaborateurs, car les deux sont étroitement liés.

Quelles sont vos initiatives pour la période post-confinement ?

Nos clients ont reçu un livre blanc de solutions matérielles et IT pour leur permettre de limiter la propagation du virus. Dans cette publication, nous leur suggérons notamment un fournisseur de plexiglas, une société qui vend des bornes de prises de température sans contact, des partenaires capables de réorganiser les open spaces et nous annonçons le lancement d’un nouveau logiciel avec un système de QR code pour éviter les échanges de badges dans le cadre des missions d’accueil.

Dans un monde où les contacts sont réduits, comment allez-vous vous adapter ?

Nous avions déjà un plan de transformation du groupe en vue d’être prêts pour les Jeux olympiques de 2024. Nous allons accélérer. Notre parcours de recrutement était déjà digitalisé – entre autres avec la numérisation des documents et des entretiens en visioconférence. Une nouvelle offre de service d’accueil augmenté a été lancée. Celle-ci a pour vocation de faire en sorte que l’hôtesse ne soit plus uniquement tournée vers les visiteurs mais aussi vers le collaborateur, qui prime de plus en plus. Comme notre approche reprend les codes de l’hôtellerie, nous devons les former différemment.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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