Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie et des Finances, va publier un article dans le prochain numéro de la revue Politique internationale. Intitulé "L’être, l’avoir et le pouvoir dans la crise" cette publication est déjà disponible sur le blog du Club des juristes.

Ancien directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn dresse un état des lieux sanitaire, économique et politique de la crise que nous traversons et détaille ses propositions.

Un défaut de prévoyance des États ?

L'ancien ministre de l'Économie commence son étude par la crise sanitaire qui frappe l'ensemble des pays du monde. Une période qu'il appelle aussi crise de l’être et pour laquelle il souligne un « défaut de prévoyance et une confiance – infondée – dans la capacité des systèmes sanitaires à protéger massivement leur population ». Il met en perspective le cas de Taïwan, un pays qui a su tirer les conséquences de ses expériences passées pour être prêt à affronter la pandémie.

À cette crise s’ajoute celle de l’avoir. « Le choc sur l’offre et un choc sur la demande vont conduire des entreprises à réduire leurs effectifs et, pour certaines, à fermer. » Malheureusement, ces emplois-là sont perdus, « sans doute pour assez longtemps. ». Afin d'enrayer la spirale négative, des nationalisations temporaires pourraient être concrétisées. Mais cette solution ne permettra pas de sauver toutes les entreprises, estime-t-il. 

Ses propositions pour relancer l'économie

Alors que de nombreux responsables politiques parlent d'une guerre menée contre le Covid-19, ce terme ne lui semble pas approprié. « Plus qu’une destruction de capital, c’est une évaporation des savoirs, notamment ceux nichés dans les entreprises qui feront nécessairement faillite, qui est à redouter. Plus qu’une redirection de la production vers une économie de guerre, on assiste à un coma organisé et à un délitement subi mais sans doute durable des chaînes d’approvisionnement. »

Pour l'ancien directeur général du Fonds monétaire international, ce revers économique risque de replonger des millions de personnes de la « classe moyenne émergente vers l’extrême pauvreté. Or, plus de pauvreté, c’est aussi plus de morts.»

Il pointe également les limites de l’action monétaire. « Contrairement à la crise de 2008, les banques centrales se sont montrées particulièrement rapides et coordonnées », reconnaît toutefois Dominique Strauss-Kahn. « Mais ceci n’atteindra que par ricochet les économies émergentes qui ne disposent pas d’une banque centrale susceptible de remplir ce rôle. En revanche, il est possible d’utiliser un mécanisme qui a déjà fait preuve de son efficacité dans la crise financière mondiale : les droits de tirage spéciaux du FMI» Il constate à ce titre que les États-Unis continuent de bloquer cette mesure, que la tiédeur des Européens n’aide pas à contrebalancer. Au-delà de la situation des pays développés, la situation des pays à bas revenus doit donc être scrutée de près. « Un allègement des dettes des pays à bas revenus et une émission massive de DTS sont aujourd’hui un passage obligé pour contribuer à éviter une catastrophe économique dont les conséquences rejailliront au-delà des rives de la Méditerranée.»

Les États doivent aussi se mobiliser. Les mécanismes de soutien comme l’extension du chômage partiel en France vont dans le bon sens. Mais ils sont, selon lui, insuffisants face à l’ampleur du choc. « On ne peut soutenir l’offre en ne finançant que l’offre et c’est sans doute la plus grande faiblesse du plan de soutien initial proposé par Trump. »

Il est fort probable que la crise conduise à des formes de relocalisation de la production. « La relocalisation d’une partie de la production aura un coût mais la crise que nous vivons peut suffire à en faire la pédagogie », développe Dominique Strauss-Kahn.

L’Union européenne n’échappe pas à la critique. L’ancien directeur du FMI regrette la mollesse du Conseil européen du 26 mars dernier et la pantomime de l’Eurogroupe. « Les options aujourd’hui à l’étude passent à côté du sujet central qui est celui d’une réponse budgétaire mutualisée afin de ne pas mettre en péril la soutenabilité de la dette des pays les plus fragiles. Évidemment, tout ceci renvoie au débat sur la création des coronabonds.»

Il propose dès maintenant :

  • des plans de soutien de la demande de l’ordre de grandeur de la perte de production (plusieurs points de PIB pour 2020 seulement) ;
  • une coordination de ces politiques avec les actions menées par les banques centrales en matière monétaire ;
  • un instrument de mobilisation de ressources budgétaires et d’endettement commun en Europe ;
  • une action concertée au niveau international incluant l’extension de cette liquidité au-delà des pays développés.

 

L'Europe, une opportunité historique à saisir ?

Enfin, dans une dernière partie, Dominique Strauss-Kahn évoque la crise du pouvoir, peut-être celle qui est la plus inquiétante selon lui. Cette crise de la souveraineté tenant « à l’autonomie des États dans un monde où les institutions multilatérales peinent à organiser les prises de décisions nécessaires à l’échelle globale ». Avant d’ajouter : « la crise de la représentation touche aussi à l’exercice du pouvoir, à la garantie des libertés publiques et à la légitimité des autorités, en particulier dans les démocraties. Mais ce n’est pas la crise sanitaire et l’épidémie du Covid-19 qui créent ces crises. Elles ne font que révéler des faiblesses déjà largement existantes. »

Dominique Strauss-Kahn utilise également des mots très durs lorsqu'il évoque l'Europe : « L’impossible comptabilité des avantages tirés de la construction européenne a failli à convaincre des citoyens de plus en plus dubitatifs sur son intérêt. Si bien que, dans cette crise, l’inefficacité de l’action européenne vient conforter tous ses détracteurs. »

Une renaissance serait pour lui cependant possible sous deux conditions : « Que la solidarité européenne s’affirme dans le règlement de la crise sanitaire, que des hommes et des femmes portent et incarnent un renouveau de l’Europe politique. »

Enfin, Dominique Strauss-Kahn évoque le monde d'après, dans lequel la Chine n’est pas en situation d’exercer un leadership mondial. « Il n’est pas certain que les États-Unis en soient encore capables. C’est donc bien une fragmentation de la mondialisation qu’il est raisonnable d’attendre et ce peut être la chance de l’Europe si elle sait se ressaisir. »

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