Le 7 avril, le Crédit Agricole comptabilisait 41 600 demandes de prêts garantis par l’État (PGE) pour un montant de 6,7 milliards d’euros. Par ailleurs, les pauses d’échéances de crédits pendant six mois représentaient 2,8 milliards d’euros. Concrètement comment la banque adapte-t-elle son offre à cette crise ? Réponses de Richard Rayon, directeur du marché Entreprises au Crédit Agricole d’Ile-de-France.

Décideurs. Comment s’est déroulée la mise en place du PGE ?

Richard Rayon. Nous avons été informés comme tout le monde du fait que le ministère de l’Économie travaillait sur une solution d’accès au financement bancaire pour les entreprises. Bercy est revenu très rapidement avec un dispositif dont les contours ont été décrits lors d’une conférence de presse animée par Bruno Le Maire, aux côtés de Frédéric Oudéa, président de la Fédération bancaire française, et Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. Les clients ont commencé à nous appeler mais il a fallu attendre que le site de Bpifrance soit opérationnel. Pendant ce temps, nos informaticiens et nos juristes se sont mobilisés pour que les prêts puissent être mis en place. Il a fallu adapter dans un temps record l’organisation de nos équipe supports afin que celles-ci prennent en compte les spécificités de ce dispositif exceptionnel.

Quel est le chemin à parcourir pour les entreprises qui souhaitent obtenir un Prêt garanti par l’État (PGE) ?

Elles doivent disposer d’un numéro Siren, ne pas être en cessation de paiement, présenter leur chiffre d’affaires 2019 certifié par un commissaire aux comptes (ou leur chiffre d’affaires 2018), etc. Les entreprises ne doivent pas non plus se servir de cet argent pour rembourser des dettes. Leurs banques ont la charge de vérifier ces informations. Si elles obtiennent un accord, les sociétés vont sur le site de Bpifrance pour notifier cette validation et renseigner tous les éléments nécessaires. Elles obtiennent un numéro d’attestation qu’elles transmettent à leur banque, qui poursuivra ensuite la procédure.

Les banques prennent-elles des risques ?

Oui. Ceux-ci sont de deux ordres et permettent de comprendre pourquoi les crédits ne sont pas accordés automatiquement. Certes, les  banques ne prennent que 10 %, 20 % ou 30 % du risque, ce qui facilite l’octroi du prêt. Toutefois, il leur incombe de vérifier l’exactitude des éléments fournis par les entreprises et nécessaires pour être éligibles à un prêt garanti par l’État à 90 %, 80 % ou 70 %. Nous avons en effet un délai de carence de deux mois. C’est-à-dire que si, pendant cette période, l’entreprise se retrouve en cessation de paiement, la banque est engagée à 100 %. C’est pourquoi nous devons vérifier que la trésorerie de l’emprunteur est suffisamment solide. Par ailleurs, passé ce délai, si un jour l’entreprise fait face à une cessation de paiement, la banque doit prouver que son client respectait l’ensemble des conditions d’éligibilité à ce dispositif. Si cela n’est pas le cas, la garantie de l’État ne s’appliquera pas et la banque prendra à sa charge 100 % du risque.

Bercy travaille à une évolution du dispositif pour qu’une société holding puisse emprunter pour l’ensemble des sociétés du groupe

Des ajustements sont-ils encore en cours ?

Bercy travaille à une évolution du dispositif pour qu’une société holding puisse emprunter pour l’ensemble des sociétés du groupe. En effet, au départ, les entreprises devaient déposer une demande pour chaque numéro de Siren. Finalement, le gouvernement va accepter des requêtes généralisées. En attendant, ce sont essentiellement les petites sociétés qui obtiennent des accords. Les plus grandes échangent avec nous pour préparer leur demande de crédit en attendant le changement. Nous estimons à environ 10 % les contacts avec nos clients qui ont, pour le moment, débouché sur des demandes.

De votre côté, y a-t-il encore des réglages à effectuer ?

Le PGE est un dispositif nouveau qui a généré beaucoup de questions. Certains chefs d’entreprise nous demandent par exemple s’ils peuvent lancer une demande en s’appuyant sur leur chiffre d’affaires 2018 en attendant la certification 2019 de leurs comptes et s’ils bénéficient ensuite d’un prêt plus important si les chiffres de l’an passé étaient meilleurs. Nous fonctionnons via une foire aux questions qui remontent du terrain. Centralisées au niveau du Crédit Agricole, elles sont transmises au Trésor.

Vos équipes sont-elles au complet ?

Au sein du Crédit Agricole d’Ile-de-France, tous nos chargés d’affaires et nos managers sont en télétravail avec les outils nécessaires pour répondre aux demandes de crédit. Les difficultés rencontrées concernent surtout certains clients qui travaillent à distance. Ils doivent réunir et nous envoyer tous les documents nécessaires à l’octroi du prêt, notamment auprès de leurs experts-comptables qui, eux aussi, font face à des contraintes organisationnelles. Ils peuvent cumuler les petites difficultés du quotidien.

Les mesures prises jusqu’ici vous semblent-elles efficaces ?

Les dispositions prises dès le départ ont été le décalage des échéances de crédit, qui a pu être accordé dans un délai de cinq jours et proposé par les banques elles-mêmes. Il y a eu ensuite la mise en place du chômage partiel et le report des cotisations sociales et fiscales par le gouvernement. Il a fallu de la pédagogie afin d’expliquer aux clients qu’il ne fallait pas qu’ils rejettent les prélèvements mais qu’ils devaient lancer une procédure de suspension de ceux-ci ou laisser l’opération se faire et déclencher une procédure de remboursement. Pour le moment, les mesures d’urgence ont fonctionné. Nous n’avons pas eu d’incident de paiement sur la fin du mois de mars. Pour obtenir le même résultat fin avril, il faudra avoir réussi la mise en place du PGE.

L’activité de crédit classique est-elle à l’arrêt ?

D’un côté, il y a les prêts discutés en début d’année et dont le déblocage était prévu après le début de la crise. En tant que banquier, nous avons un engagement envers chaque client. Pour les quelques clients positionnés sur des secteurs plus résilients à la crise du Covid-19, nous instruisons les demandes même si celles-ci restent très marginales.

Les banques ne dégagent pas de marge pour les PGE. Cela va-t-il peser sur vos revenus ?

Avant tout, nous avons un engagement citoyen envers l’économie. Nous avons engagé des dépenses informatiques pour mettre en place cette nouvelle chaîne de crédit. Nous travaillons sans prélever de frais et nous avançons les intérêts que verseront les entreprises à l’État. Ce qui ne va pas mettre pour autant les banques en difficulté car nous sommes particulièrement solides. Étant donné que nos activités traditionnelles tournent au ralenti, nos équipes sont pleinement engagées vis-à-vis de nos clients et l’économie de notre territoire.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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