Ancien directeur général des entreprises (DGE) à Bercy, Pascal Faure a participé activement à la rédaction de la deuxième partie de la loi Pacte qui s’attelle à renforcer le droit de la propriété industrielle. À la tête de l’INPI depuis le 13 septembre 2018, il revient sur les cinq mesures phares de cette loi.

Décideurs. Quelle est votre feuille de route depuis que vous avez rejoint l’INPI en septembre 2018 ?

Pascal Faure. Du fait de mon expérience au sein de la DGE à Bercy, je suis sensibilisé aux enjeux de la propriété industrielle, et je souhaitais impulser une nouvelle dynamique au sein de l’INPI pour permettre aux PME d’être plus compétitives en les aidant à mieux protéger et valoriser leurs innovations, et ce, à l’échelle internationale. Nous avons défini trois priorités.

La première de faire en sorte que les titres français délivrés par l’INPI (marques et brevets) soient plus robustes et faciles d’accès, point de départ de la loi Pacte.

La deuxième consistait à améliorer l’appropriation de la propriété industrielle par les entreprises en les accompagnant au niveau national et régional.

Enfin, réaffirmer la présence de la France à l’international. Rappelons que l’Hexagone est l’un des pays fondateurs de la propriété industrielle avec la Convention de ­Paris signée en 1883, qui fut l’un des tout ­premiers traités sur les brevets et le droit des marques. La France est aussi à l’origine de la création de ­l’Office ­Européen des Brevets (OEB). Si cet héritage est inscrit dans notre ADN, le monde s’est complexifié et nous devons aujourd’hui renforcer notre présence dans les grandes instances qui traitent les marques et ­brevets. Je suis donc très heureux d’avoir été récemment élu au bureau du conseil d’administration de l’OEB, un signal fort car la France n’était plus présente depuis dix ans.

Quid de la présence de l’INPI à l’étranger ?

L’INPI dispose d’un réseau international conséquent composé d’une dizaine de correspondants régionaux positionnés dans des ambassades à travers le monde. Le dernier poste que nous avons ouvert couvre toute l’Afrique de l’Ouest, soit dix-sept pays.

Entretenir des relations institutionnelles avec nos homologues partout dans le monde − ce qui est capital lorsque nous devons prendre des positions à l’Organisation Mondiale de la Propriété industrielle (OMPI) − fait partie des missions de ces correspondants. Leur deuxième mission consiste à accompagner les entreprises dans leurs problématiques IP au quotidien. Ces correspondants sont capables de décoder le paysage et de créer les contacts utiles pour dénouer les nœuds qui entravent la compétitivité de ces structures à l’étranger. Nous sommes un facilitateur.

La loi Pacte, promulguée le 23 mai 2019, a pour but de faciliter la vie des PME afin qu’elles puissent mieux protéger et valoriser leur PI. Un cap a-t-il été franchi ?

C’est indéniable ! Il y a eu une véritable prise de conscience au niveau politique de l’importance de la propriété industrielle comme facteur clé de compétitivité. Les changements relatifs aux brevets et aux marques qui figurent dans la loi Pacte sont sans précédent. Nous avons franchi un cap.

"Il y a eu une prise de conscience au niveau politique de l’importance de la propriété industrielle comme facteur clé de compétitivité"

En quoi le brevet français est-il attractif ?

Le brevet français est très intéressant pour la stratégie des entreprises car rares sont celles qui vont directement au PCT [Patent Cooperation Treaty, Ndlr] pour déposer des demandes de brevet en Chine ou aux États-Unis. Avant d’étendre un brevet à l’étranger, une entreprise a d’abord besoin de comprendre la portée et la solidité de son brevet en France. Une fois celui-ci déposé pour un coût de l’ordre de 650 euros du dépôt à la délivrance − ce qui est peu cher comparé à d’autres pays européens − l'entreprise a ensuite douze mois pour l’étendre dans d’autres pays tout en gardant la date du premier dépôt en France. Celle-ci dispose ainsi d’un rapport de recherche dès la ­demande de brevet français.

Déposer un brevet en France est donc la garantie pour elle d’avoir, à la fois un brevet peu cher et le temps nécessaire (douze mois) pour apprécier la force de son invention et ensuite l’étendre en connaissance de cause à l’étranger.

Parmi les mesures phares de la loi Pacte figurent la revalorisation du certificat d’utilité (CU) et la création d’une ­demande provisoire de brevet. Des ­mesures spécifiquement adaptées aux petites structures ?

Légères et peu coûteuses, ces mesures doivent en effet favoriser l’accès à la PI pour les PME. En France, le certificat d’utilité, qui donne à son propriétaire un monopole sur son invention, n’est pas suffisamment utilisé car le brevet jouit d’une image beaucoup plus prestigieuse. Pour le rendre plus attractif, la loi Pacte prévoit un allongement de sa durée de vie de six ans à dix ans, à l’instar du certificat d’utilité ­allemand, ce qui le rapproche de la temporalité du brevet, qui est de vingt ans.

Autre possibilité, ajoutée par la loi, celle de procurer davantage de souplesse car ce titre peut être transformé en demande de brevet.

Concernant la demande provisoire de brevet, cette procédure permet de prendre date en termes d’antériorité avec un contenu simplifié (une simple description, sans revendication, étant en effet suffisante). Le déposant dispose ensuite d’un délai d’un an pour formaliser sa demande et la mettre en conformité par rapport à une demande de brevet classique ou bien opter pour un certificat d’utilité.

Autre mesure phare : la procédure d’opposition qui vise à renforcer la valeur et la sécurité juridique des brevets ­français. Un nouveau rôle pour l’INPI ?

Cette procédure post délivrance du titre (brevet et marque) est une première pour l’INPI car notre rôle s’arrêtait, jusque-là, à la délivrance du titre. Cette nouvelle procédure administrative permet à un opposant, dans un délai maximum de neuf mois après la remise du titre par notre organisme, de contester la portée ou la nature du brevet ou de la marque. Cette mesure vise à rétablir un équilibre entre grandes, petites et moyennes entreprises car auparavant, la seule possibilité offerte aux PME pour faire annuler un brevet français était de procéder à une requête en annulation devant la justice. Une procédure longue et coûteuse.

"Cette procédure post délivrance du titre (brevet et marque) est une première pour l’INPI car notre rôle s’arrêtait, jusque-là, à la délivrance du titre"

Le troisième volet de cette loi concerne le renforcement de la procédure d’examen du brevet. Essentiel, selon vous, pour améliorer la confiance dans le système français des brevets ?

En effet, car pour délivrer un brevet, nous prenons en compte trois critères : la nouveauté, l’application industrielle de l’invention et, désormais avec la loi Pacte, l’activité inventive. Ce qui signifie que la France peut désormais rejeter une demande de brevet pour défaut d’activité inventive, ce qu’elle ne faisait pas alors que tous les offices des grands pays le font depuis plusieurs années. La France devait donc se mettre au diapason et offrir des titres de propriété industrielle du même niveau de qualité et de confiance que ceux des autres grands pays. Dans une économie mondialisée, c’est essentiel !

Dernière mesure phare : la modification de deux délais de prescription (contrefaçon et nullité). Quel en est l’objectif ?

Cette modification va permettre aux acteurs économiques d’être mieux protégés. Aujourd’hui, le délai de prescription de l’action en contrefaçon de brevet est de cinq ans. Si ce délai reste inchangé, la loi Pacte vient en revanche mettre fin aux différences jurisprudentielles indues par le flou législatif. Désormais, un point de départ flottant est adopté : le délai court « à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer ».

Concernant l’action en nullité, elle sera dorénavant imprescriptible, la loi Pacte se détache donc du délai de droit commun pour adopter un allongement de la prescription. Encore une fois, l’idée de cette mesure vise à rendre la compétition plus juste.

Comment pourra-t-on mesurer l’impact de ces mesures ? Quels seront les indicateurs ?

Le principal objectif de ces mesures est d’améliorer la qualité des titres, il sera donc difficile d’avoir des indicateurs pour le mesurer. Ce qui est certain c’est que le jour où les entreprises seront challengées devant les tribunaux, leurs titres seront beaucoup plus solides. Il devrait y avoir aussi un impact quantitatif car l’objectif de cette loi est d’amener plus d’acteurs à ­utiliser les titres ; le nombre de dépôts et de demandes de ­certificats d’utilité émanant de PME et de start-up devrait donc augmenter naturellement.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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