Le 5 juin 2019, Novares, groupe industriel français spécialisé dans l’injection plastique pour l’industrie automobile, a remporté le trophée de la meilleure stratégie d’open innovation lors du G20 « Strategy & Management Summit » organisé par le groupe Décideurs.

Décideurs. Quelle est votre définition de l’open innovation chez ­Novares ?

Christophe Cazès. À la différence de l’innovation classique, qui reste secrète, voire confidentielle, et réalisée à l’abri des regards, sur des durées de développement très longues (5 à 10 ans) dans les labs des entreprises, l’« open innovation » est ­collaborative. Les équipes dédiées de l’entreprise joignent leurs forces avec plusieurs partenaires pour développer des solutions disruptives, des produits radicalement nouveaux et de nouveaux marchés.

Chez Novares, nous avons décidé de la matérialiser dans un projet fédérateur avec les équipes de Novares et nos partenaires. Ainsi, la Nova Car est devenue notre laboratoire d’open innovation – d’ailleurs hébergée chez un de nos partenaires. Nous achetons un véhicule en production que nous modifions radicalement pour intégrer des briques d’innovation. Il ne s’agit pas, comme cela se pratique généralement, d’additionner une collection de POC [Proof Of Concept, Ndlr] mais de co-innover tous ensemble sur de nouveaux produits innovants.

Vous pilotez la stratégie d’innovation de Novares. Quelle est votre feuille de route?

Mon rôle est d’anticiper les grandes évolutions du secteur automobile. Dans un contexte où la concurrence sur les prix est extrêmement forte, le seul moyen pour aller chercher de la rentabilité, et créer son propre avenir, consiste à trouver de nouveaux produits qui répondent aux nouvelles attentes des utilisateurs. En tant que fournisseur de rang un pour l’industrie automobile, nous devons être en veille active et permanente aussi bien en matière de véhicules électriques, autonomes que connectés. La voiture autonome, par exemple, se présente aujourd’hui comme une véritable bulle technologique en ­offrant une expérience différente. Nous devons aussi être en alerte quant aux différents usages de l’automobile. Ils ont énormément évolué ces dernières années notamment avec des acteurs comme ­Blablacar ou Uber.

Beaucoup d’observateurs comparent cette révolution dans l’industrie automobile à celle qui a bouleversé la téléphonie mobile avec l’avènement du smartphone. Vous confirmez?

Oui, c’est exact. Cette révolution est à la fois technologique et liée aux habitudes. Afin d’avoir la vision la plus exhaustive possible, une approche, qui va bien au-delà de l’industrie du plastique, a été développée pour être à même de détecter les nouvelles pratiques et élaborer les solutions qui en découlent. C’est ainsi que notre programme open innovation Lab a donné naissance à la « NovaCar », un véhicule de démonstration qui concentre de nombreuses innovations codéveloppées avec des start-up, des laboratoires et des partenaires, dans une logique d’open innovation. La force de ce programme est de réaliser de véritables inventions implémentées dans un véhicule « test » avant d’être présentées au client.

"La force de ce programme est de réaliser de véritables inventions implémentées dans un véhicule « test »"

Comment avez-vous construit cette stratégie d’open innovation?

Celle-ci s’est construite autour de trois grands thèmes. Le premier concerne la mobilité verte à coût maîtrisé pour imaginer l’avenir du véhicule électrique – ainsi que les améliorations drastiques du moteur thermique – afin de le rendre financièrement accessible à tous.

Le second thème a consisté à travailler sur la conception d’interfaces homme/machine intuitives et sécurisées pour l’usager. On observe en effet que l’industrie automobile a voulu jouer avec la nature comme on a joué avec le ­téléphone, c’est-à-dire sans prendre en compte, par exemple, que le fait ­d’utiliser un écran en conduisant pouvait être extrêmement dangereux. Qu’il s’agisse d’une surface 3D ou plane, de réduire le nombre de boutons, nous imaginons le futur de ces interfaces.

Le troisième et dernier volet de notre programme concerne les nouvelles expériences utilisateurs pour concevoir des véhicules plus silencieux, qui prennent en compte le bien-être des occupants, notamment la qualité de l’air dans l’habitacle, et ce en imaginant les différents usages.

Où en êtes-vous de votre programme «NovaCar» et de votre collaboration avec des start-up?

Notre premier véhicule de démonstration, la « NovaCar#1 », regroupait seize innovations, fruits de la collaboration avec quatre start-up spécialisées dans la technologie automobile. Pour la « NovaCar#2, présentée en juin 2019, dix partenaires nous accompagnaient et, actuellement, la « NovaCar#3 », prévue pour ­novembre 2020, est conçue avec une vingtaine de partenaires.

De plus en plus de start-up viennent à nous car beaucoup y voient un moyen d’aller au-delà de ce qu’elles font habituellement. Je suis également très actif sur LinkedIn pour montrer ce que fait Novares en matière d’innovation. Cette vitrine est manifestement très attractive et nous nous en réjouissons.

Notre curiosité est poussée à l’extrême, à la fois auprès de nos clients pour comprendre leurs besoins actuels et à venir mais aussi au niveau du marché pour anticiper les grandes tendances, dans le but de sélectionner les bons partenaires. Ceux qui nous aideront à bâtir la voiture de demain.

Nos cycles d’innovation sont très courts, quinze mois entre chaque « NovaCar », un laps de temps pendant lequel nous nous rendons chez le client avec notre prototype pour recueillir leurs avis, entendre leurs critiques et nous nourrir de leurs conseils ; ces « feedbacks » nous sont indispensables. C’est une démarche très concrète que les clients apprécient car ils participent activement et directement à la prochaine génération de « NovaCar ».

Vous avez également créé un fonds de venture capital. Quel est son rôle?

Ce fonds a été constitué au moment de la finalisation de la « NovaCar#1 » car nous pressentions que les quatre start-up partenaires auraient besoin de fonds pour se développer. Le groupe a donc créé ­Novares Venture Capital, un fonds de 50 millions d’euros dédié aux investissements dans des partenariats stratégiques avec des start-up avec lesquelles le groupe entendait bâtir des relations à long terme. Douze millions d’euros ont déjà été investis. Ces financements leur permettent également d’accroître leur légitimité face aux constructeurs ­automobiles car il demeure très difficile pour ces start-up d’intégrer leurs panels ­fournisseurs.

"Nous avons créé un fonds de 50 millions d’euros dédié aux investissements dans des partenariats stratégiques avec des start-up"

Comment est structuré votre département R&D en interne dans la mesure où vous travaillez de plus en plus avec des start-up qui vous apportent de l’innovation?

Nos effectifs internes en charge de la R&D n’ont pas été réduits, bien au contraire. Nous avons sept lignes de produits qui couvrent tout l’ensemble du véhicule. Chacune intègre son équipe innovation. Lorsque nous nouons un partenariat avec une start-up, celle-ci est adossée à l’une de ces lignes de produits en fonction de sa spécialité. Il n’y a pas de compétition entre l’interne et l’externe mais de la co-construction, et cela fonctionne. Nous sommes convaincus que c’est le sens de l’histoire.

En matière de protection de la propriété industrielle, quel est votre mode de collaboration avec les start-up?

Nous essayons, au maximum, de réaliser des accords de développement conjoint avec les start-up [JDA pour « Joint Development Agreement », Ndlr], pour bien poser les bases de notre partenariat et éviter tout malentendu. Cette transparence nous permet de nous prémunir contre les risques d’attaque de notre propriété industrielle, donc de notre valeur ajoutée. Nos forces étant disproportionnées par rapport à celles des start-up, nous nous chargeons dans un premier temps de rédiger les brevets mais nous leur proposons d’en être co-propriétaires.

Notre engagement auprès du client final, à savoir les constructeurs automobiles, est de leur apporter un produit innovant en toute sécurité. Nos relations avec nos partenaires et notamment avec les start-up doivent donc être très claires, saines et sûres. Pour cela, notre département brevets travaille étroitement avec des cabinets d’avocats afin de sécuriser la rédaction des cahiers techniques.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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