Spécialisé dans l'accompagnement des entrepreneurs et managers dans le cadre de leur négociation avec les investisseurs en capital pour la mise en place de management packages, Scotto Partners est présent sur les opérations les plus emblématiques de la place. Jérôme Commerçon, avocat associé au sein du cabinet, en charge des équipes fiscales est donc en première ligne pour nous présenter les outils et pratiques les plus utilisés afin d’intéresser les managers aux résultats d’une société.

Décideurs. Quelles sont les typologies d’entreprises qui mettent en place des outils de management package ?

Jérôme Commerçon. Si ce type d’outil est particulièrement fréquent dans les entreprises ayant des fonds d’investissement à leur capital, toutes les entreprises sont susceptibles d’ouvrir leur capital à des managers. De la typologie d’entreprise dépendront les instruments choisis. Les package seront, en effet, différents pour une start-up, pour une entreprise traditionnelle sous LBO ayant déjà atteint son seuil de rentabilité, ou pour une entreprise familiale. Les groupes cotés s’inspirent également de plus en plus des pratiques des sociétés sous LBO pour fidéliser des managers.

Quels sont les outils à disposition des managers et des entreprises les plus utilisés par les start-up, les plus performants ?

Les start-up apprécient les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE). Options qui, sous certaines conditions, donnent le droit de souscrire des actions de la start-up à un prix fixé à l'avance. Ce sont des instruments relativement simples à mettre en œuvre et dont le régime est attractif. Si le manager reste trois ans au sein de l’entreprise, les gains sont imposés à la flat tax. Principale contrainte de ces outils, ils ne concernent que les entreprises de moins de 15 ans et dont le capital est, de façon simplificatrice, détenu par des personnes physiques à hauteur de 25 % au minimum.

Qu’en est-il des stock-options dont le régime social et fiscal semble peu attractif ?

Ils sont désormais beaucoup plus rares dans les sociétés non cotées. Les entreprises et les fonds leur préfèrent le plus souvent les BSPCE ou les actions gratuites. Les sociétés cotées et certaines sociétés les utilisent en les combinant avec le plan épargne entreprise (PEE). Le recours aux stock-options peut également avoir du sens dans un cadre de plan international.

"Les groupes cotés s’inspirent de plus en plus des pratiques des sociétés sous LBO pour fidéliser des managers" 

Le régime fiscal et social des attributions d'actions gratuites (AGA) a été largement simplifié en 2015 sous l’impulsion d’Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie. Le succès est-il au rendez-vous ?

La réforme de 2015 a totalement redynamisé ce type d’outil. Le principal intérêt des AGA est que leur bénéficiaire n'a aucune mise à apporter. Deux périodes sont à distinguer. Une période d’acquisition des titres, d’une durée minimale d’un an, à l’issue de laquelle on remet au manager les actions. Puis une période de conservation des titres, d’une durée d’un an minimum, . Une alternative permet de supprimer la période d’acquisition et de fixer la période de conservation à deux ans au moins. Leur régime fiscal est par ailleurs favorable. Depuis le 1er janvier 2018, la fraction annuelle du gain d'acquisition n'excédant pas 300 000 euros est imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu avec application d'un abattement de 50 % sans condition de durée de détention. Ainsi, même les très hauts revenus peuvent bénéficier d’un taux d’imposition compris entre 38 % et 42% environ.

Qu’en est-il pour la fraction excédant 300 000 euros ?

Elle reste imposable dans la catégorie des traitements et salaires en plus d’être soumise aux prélèvements sociaux sur les revenus d'activité (CSG, CRDS) et à une contribution spécifique de 10 %. Au total, le manager supporte donc une imposition globale pouvant être proche de 65% en pratique. Quoi qu’il en soit ce régime fiscal reste attrayant. Il en est de même pour l’employeur dont les cotisations patronales sont limitées à 20 %.

Les actions de préférence sont également très appréciées dans le cadre des opérations de LBO.

Les actions de préférence donnent, en effet, la possibilité d’aménager totalement les droits à dividendes. Les droits financiers seront ainsi conditionnés à l’atteinte de seuils de rentabilité et de performance de l’entreprise. Leur valeur est donc par nature plus incertaine qu’une action ordinaire.

En dehors des dispositifs que l’on vient de citer, rien n’empêche les salariés d’une société cotée de souscrire directement à son capital. Dans le cadre d’un LBO, le fonds d’investissement ferme l’accès au capital de l’entreprise aux personnes n’ayant pas de lien avec celle-ci. Il permet cependant au management de souscrire au capital en ayant recours à des instruments prévus à cet effet.

"La réforme de 2015 a totalement redynamisé les attributions d'actions gratuites (AGA)"

La notion de prise de risque des managers est alors bien réelle ?

Ce n’est effectivement pas un cadeau de la part du fonds. Le LBO peut très bien connaître des difficultés comme ce fut le cas pour sur certains dossiers emblématiques tels que Vivarte, Frans bonhomme, Winoa, Camaïeu... Le management se met donc en risque en investissant une part souvent significative de son patrimoine. Cette démarche représente une sécurité pour le fonds qui aligne ainsi ses intérêts sur ceux de l’entreprise et du management. Il s’assure aussi que ces derniers croient au projet et au business plan qu’ils sont chargés de mener. Le rapport de force peut toutefois être déséquilibré. Le fonds d’investissement n’étant pas un philanthrope. Il sera alors important que les managers négocient bien les conditions de leur package. 

Quels sont vos conseils pour éviter de s’attirer les foudres de l’administration fiscale ?

Le débat avec l’administration s’est principalement concentré autour des questions de valorisation. Il est vivement recommandé de faire appel à des experts reconnus en matière d'évaluation de management packages, rompus aux échanges avec l’administration fiscale.  

Il faut également garder à l’esprit qu’un LBO à succès aura plus de chance d’attirer le regard de l’administration fiscale. Il faut répondre intelligemment à toute demande d’information et ne pas hésiter à coordonner les managers entre eux au besoin. Pour cela, recueillir l’assistance d’un professionnel habitué à traiter avec l’administration me semble essentiel, ne serait-ce que pour répondre de façon adaptée aux demandes formulées par l’administration.

Quel est le bon réflexe à avoir en cas de contentieux ?

Le dossier doit être préparé avec minutie. C’est pourquoi il est primordial de faire appel à un expert connaissant parfaitement les pratiques relatives au management package, en capacité de prévoir les bonnes clauses dans les contrats et ayant une parfaite connaissance de la jurisprudence applicable, et cela dès la mise en place des dispositifs de participation au capital. Dès lors que les outils proposés aux cadres et dirigeants de la société sont mis en place, il est plus difficile de changer la donne.

"La fiscalité applicable aux plus-values a toujours été, sur le principe, plus favorable que celle sur les salaires"

La fiscalité des stock-options ou des actions gratuites a fortement évolué ces dernières années. Comment mettre en place un management package efficace dans un univers réglementaire mouvant ?

C’est une question très complexe. De cette instabilité naît toutefois un point positif : le législateur ne change les régimes réglementés que pour l’avenir. Autrement dit, les modifications apportées ne concernent pas les anciens plans en principe. Toute la complexité réside dans les changements de taux d’imposition des plus-values. Ces taux évoluent avec le temps et il est difficile d’anticiper ces changements.

Quelques bonnes pratiques peuvent cependant être soulignées ?

La première stratégie est de sortir et matérialiser le gain le plus vite possible, quitte à payer l’impôt tout de suite, pour sécuriser le taux d’imposition lorsque celui-ci est intéressant. C’est aujourd’hui le cas avec le régime de la flat tax. La deuxième stratégie est de garder à l’esprit que la fiscalité applicable aux plus-values a toujours été, sur le principe, plus favorable que celle sur les salaires. Les praticiens privilégient donc les instruments qui vont permettre d’être imposés sur le régime des plus-values. Enfin, le plan d’épargne en actions est un outil très pertinent. Son régime s’inscrit dans la durée et sera sûrement préservé. Le corollaire est que cet instrument est étudié avec attention par l’administration fiscale qui peut remettre en cause son utilisation sur le terrain de l’abus de droit pour certains montages.

La loi de finances pour 2019 a modifié la définition de l’abus de droit passant d'un but exclusivement fiscal à un but principalement fiscal. Un changement qui a créé selon de nombreux praticiens une situation très dangereuse et anxiogène pour les contribuables. Quels seront les incidences sur les schémas de management package ?

L’administration ne semble pas encline à apporter beaucoup de commentaires à ce sujet. Cela rend la situation particulièrement complexe. Elle ne semble d’ailleurs pas totalement à l’aise avec l’introduction de cet élargissement de la notion d’abus de droit qu’elle n’avait pas réclamée. Pour les praticiens et les clients, cette nouvelle définition est aussi dangereuse et difficile à manier. Les contours ne sont pas clairs. Si l’administration fiscale pourrait tenter de faire régner un peu de peur sur le sujet, un caractère principalement fiscal sera à mon sens souvent difficile à démontrer pour les outils utilisés dans le cadre de management package.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurelien)

 

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