Homme de terrain et de vision, Carlos Tavares ne craint ni les coups à encaisser ni les paris à risquer. L’actuel patron de PSA l’a prouvé en passant, en l’espace de six ans, du statut de numéro deux de Renault à celui de sauveur de PSA avant de devenir, le mois dernier, artisan du mariage avec Fiat-Chrysler et, de là, patron désigné du futur quatrième constructeur mondial. Qui dit mieux ?

Le redressement miracle de PSA, c’est lui. Le rachat d’Opel et son intégration réussie, aussi. Le mariage du siècle avec Fiat-Chrysler, c’est encore lui... Difficile de le nier, les états de service de Carlos Tavares ont de quoi faire rêver plus d’un constructeur automobile. Surtout lorsque l’on sait que, il y a six ans seulement, celui-ci quittait Renault dans une odeur de poudre, « démissionné » après plus de trente années passées au sein du groupe où, entre autres titres de gloire, il avait été l’homme du renouveau pour Alpine et celui du succès de Nissan États-Unis. Motif de sa disgrâce ? Avoir fait état d’ambitions qui, incompatibles avec la figure tutélaire de Carlos Ghosn dont il se savait condamné à rester l’éternel bras droit, l’amenaient à chercher du côté de GM la reconnaissance que Renault lui refusait. Un crime de lèse-majesté qui, sans surprise, avait conduit à la chute du numéro deux du groupe. C’est en tous cas ce qu’on pu craindre si, dans la foulée, celui-ci n’avait été appelé chez la concurrence où quelques mois allaient lui suffire pour faire la démonstration de ses talents. Car le moins qu’on puisse dire du dauphin déchu de Carlos Ghosn devenu flamboyant patron de PSA, c’est qu’il sait encaisser les coups et forcer le destin.

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« Psychopathe de la performance »

Ce qu’il fait depuis cette fameuse année 2013 au cours de laquelle il rejoint le groupe. Celui-ci traverse alors une période de turbulences telle qu’on le dit au bord de la faillite, mais Carlos Tavares a été à bonne école et il ne manque pas d’atouts, à commencer par celui, décisif, de venir de l’extérieur. Comme cela avait été le cas pour Carlos Ghosn avec Nissan, cela va lui permettre de mettre fin aux querelles de clochers qui, plus de quarante ans après la fusion de Peugeot et Citroën, perdurent entre les deux marques. « En réalité l’intégration n’avait jamais totalement abouti, explique Tommaso Pardi, chargé de recherche au CNRS et directeur du Gerpisa (groupe d’études et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile) ; les logiques claniques persistaient, empêchant les synergies de donner tout leur potentiel. Le fait que Carlos Tavares n’appartienne à aucun des deux bords lui permettra de dépasser les résistances internes pour trancher sur des questions de gouvernance laissées en suspens. La famille Peugeot lui avait donné carte blanche, il va faire le nécessaire. » À savoir : couper dans les dépenses, réduire le nombre de plateformes, rationaliser les gammes et assigner aux équipes des objectifs clairs et ambitieux. Pour l’entreprise qui, jusqu’à maintenant, souffrait d’une absence de cap et d’autorité, l’arrivée de celui qui se qualifie lui-même de « psychopathe de la performance » est salutaire. D’autant plus efficace que, contre toute attente, celle-ci va mettre l’entreprise sous tension sans susciter de réelle levée de boucliers. Sans doute parce que, si Carlos Tavares partage avec son ancien patron la capacité de voir loin et de trancher dans le vif, la ressemblance s’arrête là.

Pur produit automobile

« Contrairement à un Carlos Ghosn ou un Sergio Marchionne, qui sont des hommes de la finance, lui est un homme de l’industrie qui maîtrise les attentes de la finance », résume Tommaso Pardi pour qui cette double compétence constitue le premier atout de Carlos Tavares. Cela, et un profil de pur produit de l’automobile qui, en termes de gouvernance et de rapport aux équipes, va faire toute la différence. « Il a piloté des projets d’industrialisation, il connaît les rouages de la conception, il a une connaissance profonde de la mécanique… explique-t-il. Cela permet un management plus intrusif, très opérationnel et, surtout, cela lui donne une légitimité qui, chez PSA, aura pour effet de limiter la contestation. »  

"Le fait qu'il ait déjà réussi à intégrer Opel a prouvé qu'il avait un modèle managérial qui fonctionne"

Ingénieur sorti de Centrale, mordu de mécanique et de circuits, il s’impose rapidement par sa puissance de travail comme par sa capacité à ne rien laisser passer, pas plus une virgule sur un bilan comptable qu’un déséquilibre sur le châssis d’une voiture, dit-on. Déterminé à redresser l’entreprise qui, à son arrivée, perd 2,3 milliards d’euros, il opte pour une stratégie sans concession destinée à réduire les coûts et à rentabiliser les investissements. Pour cela, il n’hésite pas à rogner sur les dépenses en R&D lesquelles avoisinent aujourd’hui 3,5 % du chiffre d’affaires quand celles de Renault se situent autour de 5 % et celles de VW et de Toyota frôlent les 6 %. Un pari risqué qui, souligne Tommaso Pardi, « expose le groupe au danger d’un possible retournement technologique auquel il ne serait pas préparé » – mais, pour l’heure, indubitablement gagnant puisqu’en 2017 il lui donnait les moyens de s’offrir Opel. Un autre coup de poker qui s’avérera payant.

Coup de maître

« En rachetant Opel, Carlos Tavares savait qu’il accentuait la dépendance de PSA au marché européen ; ce qui présentait un risque élevé en cas de ralentissement des ventes, explique Tommaso Pardi. Mais il savait également qu’avec ce rachat il augmentait sa voilure et rendait cette dépendance plus profitable. » Tellement profitable que cette première fusion réussie lui aura ouvert la voie au coup de maître qui, le mois dernier, allait faire de lui le nouvel homme fort du secteur : l’artisan d’un mariage avec Fiat qui, un temps envisagé avec Renault-Nissan, vient d’être conclu avec PSA. Sauf imprévu, celui-ci le portera bientôt à la tête du quatrième constructeur mondial, coté à Paris, Milan et New York, produisant 8,7 millions de véhicules, employant 400 000 salariés et totalisant 170 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Respect.

Pour Tommaso Pardi, rien d’étonnant à ce que Carlos Tavares soit amené à prendre la tête de ce nouvel ensemble. « Le cours de Bourse très élevé de PSA le place en position de force, et le fait qu’il ait déjà réussi à intégrer Opel montre sa capacité à rendre cette nouvelle fusion opérationnelle. La précédente a prouvé qu’il avait un modèle managérial et organisationnel qui fonctionne. » Quant à ce rapprochement dit « entre égaux », loin d’être le coup de théâtre imaginé, il se préparait en coulisses depuis des années.

Complémentarité

Depuis que, poursuit l’expert, les choix stratégiques de Sergio Marchionne, le charismatique patron de Fiat décédé l’an dernier, avait rendu inéxorable la recherche d’un partenaire pour la firme italienne. « Le groupe n’avait pas renouvelé sa gamme, il n’avait pas investi dans l’électrique… Marchionne savait que, sans alliance, il allait dans le mur », explique le directeur du Gerpisa pour qui, aucun doute, le choix de PSA se justifie pleinement. Et par la complémentarité affichée par les deux constructeurs sur le plan des marchés – Fiat étant très présent aux États-Unis et PSA en Europe – comme sur celui des gammes, et par les économies d’échelle attendues lesquelles, d’après les estimations, devraient représenter, à terme, 3,5 milliards d’euros par an.

Reste l’impératif, pour le nouveau poids lourd du secteur, de parvenir à une baisse significative de ses taux d’émission de CO2, autrement dit, de donner un sérieux coup d’accélérateur au développement de sa gamme électrique et cela d’ici deux ans… Faute de quoi, les amendes records auxquelles il s’exposera risquent fort de ternir la success story et, avec elle, le bilan sans faute de son flambant neuf dirigeant.

Caroline Castets

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