Première étape de la digitalisation du droit : les outils collaboratifs
Améliorer le travail en équipe. Faciliter la communication, échanger les informations, rentabiliser le temps, automatiser la facturation, rendre possible la mobilité sécurisée… Tout juriste en rêve, quels que soient son statut et sa structure d’exercice. Alors, de la même manière que dans les années 1980, l’exercice professionnel s’est transformé par l’introduction d’outils informatiques, nécessitant un investissement financier et humain important de la part des organisations, aujourd’hui les méthodes de travail se digitalisent et par là même se transforment grâce à l’utilisation de technologies numériques. Les prestataires offrant des solutions de partage de la data aux directions et aux professions de conseil juridiques entament la mutation de leurs solutions, leurs logiciels passant de la gestion des organisations à l’analyse des données en vue d’optimiser la prestation juridique. De quoi s’agit-il ?
Centralisation de la data
Les éditeurs de logiciels proposent des outils adaptés aux cabinets d’avocats ou aux directions juridiques. Kleos, édité par Wolters Kluwer, ou Secib du groupe Septeo sont dédiés aux avocats lorsque Legal Suite, par exemple, est adapté au droit en entreprise. Leurs fonctionnalités premières ? Assurer la centralisation de la data afin de fluidifier le travail en équipe, soit au sein de l’organisation soit avec les clients et partenaires internes ou externes. Suivi des dossiers, des procédures, établissement du temps de travail, boîte de dialogue, secrétariat digital ou encore simplification de la facturation permettent aux juristes d’optimiser leurs interventions et de gagner du temps en automatisant les tâches à faible valeur ajoutée, et aux organisations d’assurer une flexibilité des conditions de travail grâce à un partage sécurisé et sur n’importe quel type de support des dossiers en cours. Le travail à distance et l’interchangeabilité des interlocuteurs sont ainsi facilités. Le bureau suit le juriste où qu’il se trouve.
Les directions juridiques sont particulièrement demandeuses de ce type de technologies qui vont au-delà du suivi de leur organisation et de l’échange d’informations. En effet, le droit est encore parfois perçu comme un frein au business et les équipes de juristes comme un centre de coûts. Grâce à la rationalisation de leur temps de travail, à la standardisation des tâches à faible valeur ajoutée, à la duplication automatique des documents créés, à la rationalisation des recours aux conseils externes, etc., ils peuvent se consacrer pleinement à la technicité juridique et suivre leurs réalisations. Selon une étude réalisée par le Cercle Montesquieu et l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) en collaboration avec le cabinet de conseil Lexqi, 75 % des directions juridiques ont entamé leur digitalisation. La cartographie montre que le département juridique est même moteur dans des processus comme la gestion électronique des documents ou la signature électronique. L’association qui réunit les directeurs juridiques d’entreprises de toute taille a bien compris que l’utilisation de technologies était l’avenir de leur profession. C’est la raison pour laquelle, sous l’égide de Laure Lavorel, devenue présidente du Cercle, un lab a été créé. La Factory réunit les acteurs de l’entreprise ouverts au concept de legaltech et tente d’établir une étude comparative des différents services proposés sur le marché. Quelques directeurs juridiques se transforment en testeurs, même en bêta-testeurs avant même que les solutions ne soient commercialisées, afin de s’assurer qu’elles répondent bien à leurs besoins. Les start-up du droit sont bien sûr demandeuses de telles démarches afin d’améliorer leurs prestations.
Des supports de business intelligents
Avec l’introduction de l’intelligence artificielle et de la blockchain, ces outils se transforment peu à peu en indicateurs de performance et en vecteurs de développement. Par exemple, l’éditeur de logiciel Jarvis vient de sortir Jarvis Analytics, qui permet d’extraire des données intégrées dans l’outil (date d’ouverture d’un dossier, nom du client, délais de procédure…), les indicateurs clés de performance et de les croiser. « Grâce à un tableau de bord, il est possible de visualiser quels sont les plus importants clients selon le chiffre d’affaires qu’ils génèrent, le temps passé sur leurs dossiers, le niveau de facturation… », explique Alexandre Yeremian, le fondateur de Jarvis Legal. De quoi fournir aux associés dirigeants de cabinets d’avocats l’essence des informations sur leur organisation et leur donner les clés pour élaborer une réflexion sur leur stratégie de positionnement et de développement. Les typologies de clientèles, le nombre de rendez-vous qualifiés, la quantité de dossiers ouverts sur une période donnée, la proportion de dossiers clôturés pour chaque client, les performances individuelles au sein de l’équipe… Depuis n’importe quel outil digital (téléphone, tablette, ordinateur) et de manière sécurisée, le dirigeant constate et suit les données relatives à sa structure. « Il fallait un outil très simple d’utilisation pour pouvoir visualiser rapidement les informations essentielles et les mettre en adéquation les unes avec les autres », souligne le CEO de Jarvis Legal, qui a levé un million d’euros en juillet 2016. Lancé en septembre 2019, Jarvis Analytics se veut être un support intelligent de business.
Certaines structures créent en interne leurs propres outils de collaboration. C’est le cas de l’avocate Élise Fabing, experte du secteur du tourisme, qui a créé en partenariat avec Seraphin Legal un chatbot pour répondre aux questions juridiques formulées par les offices du tourisme et aux fédérations nationales du secteur. Le modèle est similaire à celui proposé par Legal Suite : opérationnel 24/24h et 7/7j, le robot répond aux interrogations usuelles apprises grâce au machine learning et lorsque la question n’est pas compréhensible ou la réponse incomplète, son utilisateur est renvoyé vers un membre de la direction juridique (pour Legal Suite) ou du cabinet d’avocats (Alkemist, la boutique créée par Élise Fabing, Alice Goutner et Arthur Bouchat). Autre exemple de développement interne d’un outil technologique : eXo par De Gaulle Fleurance & Associés. Cette plateforme est aujourd’hui utilisée par les avocats du cabinet pour le travail en équipe, demain certainement avec les clients.
Depuis l’introduction des outils technologiques dans le monde du droit des affaires, les utilisateurs font valoir bien entendu le gain de temps et l’efficacité du travail réalisés. Mais aussi la consolidation de l’esprit d’équipe entre les juristes connectés, parfois malgré la distance. Puisque le niveau d’information est égal pour chacun d’eux et que la communication est simplifiée, celui ou ceux qui se trouvent éloignés du centre de décision se sentent moins isolés.