Fondée en 2014, EasyMile est une société spécialisée dans la technologie des véhicules autonomes. Elle revendique une stratégie multiniche grâce à laquelle elle connaît une forte croissance et des levées de fonds pour plus de 20 millions d’euros. Son directeur général, Benoît Perrin, nous raconte son développement et nous livre sa vision du marché du véhicule autonome.

 

Pouvez-vous nous présenter les activités d’Easymile ?

Benoit Perrin. Nos spécialités sont les logiciels et les systèmes destinés à rendre les véhicules autonomes. Nous travaillons avec les industriels de l'automobile. Notre objectif est de pouvoir se passer du conducteur à bord.  Nous sommes vraiment spécialisés sur ce qu'on appelle le niveau quatre [autonomie complète dans certaines situations] ou cinq de l'autonomie [sans conducteur dans toute situation]. D'ailleurs, la plupart de nos véhicules n’ont ni volant ni pédale. Notre spécificité réside dans le fait que nous sommes partis de choses relativement simples pour un débouché commercial rapide.

 Depuis février 2018, la RATP expérimente votre navette EZ10 dans l'Essonne. Où en êtes-vous de ce partenariat ?

Le EZ10 est une navette qui peut transporter jusqu’à quinze personnes. Ce véhicule est totalement autonome. Nous sommes en phase de finalisation de la commercialisation. Depuis trois ans, nous avons multiplié les tests et expérimentations, notamment avec la RATP, à Saclay. Nous avons un autre essai en cours à Vincennes. Nous relions le bout de la ligne 1 du métro château de Vincennes au bois de Vincennes le vendredi, le samedi et le dimanche, en partenariat avec Île-de-France mobilités et la RATP. L’idée est de desservir le dernier kilomètre non pris en charge depuis le terminus et les centres d'intérêt qui freinent les usagers qui n'ont pas forcément envie de marcher ce dernier parcours. Nous desservons ainsi, à des horaires un peu décalés, un certain nombre de points dans le bois de Vincennes.  Il ne serait ni économique ni écologique de déployer un gros bus avec chauffeur. Par exemple, une desserte est prévue le soir à la sortie du théâtre de la Cartoucherie lorsque les spectateurs cherchent à regagner le métro. De même le weekend, avec les usagers qui viennent se promener dans le bois de Vincennes.

 Votre navette est également déployée à Versailles sur le plateau de Satory ?

C'est exactement le même principe. À l’initiative de Vedecom, l’institut dédié à la mobilité individuelle et dont le centre de recherches sur le véhicule autonome est basé à Satory, deux navettes font une desserte sur deux kilomètres entre le terminus de bus, à l'entrée du centre d'affaires, pour les salariés qui rejoignent leur lieu de travail. Cela correspond à un vrai besoin pour Vedecom, l'entreprise la plus éloignée de l'entrée du centre d'affaires.

Quel est l’accueil de la part des utilisateurs ? Montent--ils dans ce véhicule sans appréhension ?

Comme lors de nos précédents tests, nous avons des retours essentiellement positifs. Il y a dix secondes d'inquiétude au départ puisque, bien sûr, il faut s'y habituer, puis trois ou quatre minutes où l’on se dit se dit “waouh, c'est super ça marche” avant de ne plus y prêter attention. Nous avons fait des études auprès des utilisateurs qui se sont montrés à plus de 95 % satisfaits. N'oublions pas également que nous sommes sur des vitesses raisonnables puisque notre navette circule au maximum à 25 km/h. Nous considérons que la sécurité est un prérequis et nous lui donnons la priorité avant tout. Notre objectif n'est pas de faire des choses compliquées mais des choses utiles et sécurisées puis, dans un second temps, de l’étendre peu à peu à notre domaine d'usage.

"Notre objectif n'est pas de faire des choses compliquées mais des choses utiles et sécurisées"

À quoi destinez-vous la levée de fonds de 6,5 millions d'euros que vous avez réalisée en septembre 2018 ?

Cela correspond à la fin de notre levée de Série A puisque Alstom et Continental étaient déjà entrés dans le capital d’EasyMile entre juillet 2017 et juillet 2018. Ces fonds qui proviennent de Bpifrance sont essentiellement destinés au développement technique puisque nous sommes encore en phase d’investissement, mais également, dans une moindre mesure, à une expansion commerciale. Aujourd'hui, nous faisons essentiellement du développement technique. Les deux tiers de nos effectifs s'y consacrent, spécialisés sur ces technologies très avancées de robotique, de vision par ordinateur, et d’intelligence artificielle. Nous sommes vraiment en phase d'investissement. Nous avons recruté 60 personnes l'année dernière et avons le même objectif cette année. Le produit est en phase de maturation. Cette année, nous allons vraiment avoir des déploiements de service. Nous avons également ouvert l'année dernière un bureau à Berlin, un à Adélaïde et un autre à Denver. Plus de 90 % de notre chiffre d'affaires est réalisé hors de France.

Quels marchés du transport autonome visez-vous ?

Nous visons plusieurs types de marchés. Le premier, celui du transport du premier et du dernier kilomètre avec notre navette autonome. C’est un petit marché mais non négligeable pour une start-up comme la nôtre. Le deuxième marché sur lequel nous sommes en train d'investir est celui de la logistique. Qu’elle soit industrielle, sur site, ou qu’elle concerne la livraison de paquets pour un opérateur comme la Poste. Depuis 6 mois, nous commercialisons le TractEasy utilisé dans les aéroports pour tracter les bagages, pour assurer le lien entre le terminal et celui de rendu des bagages. Il s'agit d’automatiser cette partie-là. Il peut également être employé dans les grandes industries pour acheminer de grosses pièces sur les chaînes de montage. Les perspectives sur ce marché sont importantes. Nous misons sur ce produit assez unique pour robotiser cette chaîne logistique. Jusqu'à présent, ce n'était pas possible puisque la robotisation ne s’effectuait qu’en intérieur, protégée des intempéries. Avec le TractEasy, qui s'inspire de la même technologie que notre navette, nous pouvons y faire face.

Vous ne vous positionnez pas sur le marché du véhicule individuel ?

Notre position est claire. Nous visons des cas d’usage à court terme, la commercialisation rapide dans des conditions satisfaisantes de coût, d'emploi et de maturité technologique. Cela signifie que nous travaillons sur des produits à vitesse faible, jusqu'à 30 km/h et nous concentrons sur ces applications-là. Les voitures individuelles ne sont donc pas concernées.

Avez-vous l'intention de réaliser des partenariats pour passer à une production industrielle ?

C'est un peu la force de notre modèle. Nous nous appuyons uniquement sur des partenariats pour la production des véhicules. Nous ne souhaitons pas construire de chaînes industrielles. Notre cœur de métier est vraiment le logiciel et l’algorithmie autonome.
Nous travaillons par exemple avec TLD, le leader mondial des véhicules d’aéroport, pour TractEasy et avec Ligier pour EZ10, notre navette autonome.

Quels sont vos atouts en matière d'innovation pour vous démarquer ?

Nous avons développé un certain nombre de technologies propriétaires et brevetées. Notre stratégie n'est pas de nous mettre en concurrence avec les fabricants automobiles. Nous choisissons des marchés qui, dans certains cas, vont avoir besoin de véhicules bien spécifiques. Notre stratégie est donc multiniche.

 Quels sont vos objectifs de croissance pour 2019 ?

Notre chiffre d'affaires a doublé entre 2017 et 2018. Nous visons un taux de croissance à peu près similaire.

Quels sont les atouts de la France sur le marché du véhicule autonome ?

La France a une base intéressante, dont ne disposent pas forcément les autres pays, avec des constructeurs automobiles, des fabricants de composants et une importante culture d'ingénierie dans le monde de la robotique et de l'IA avec des pointures mondiales qui travaillent dans l’Hexagone. Il existe également en France, et en particulier, ici, à Toulouse une culture du spatial et du ferroviaire sur laquelle nous nous appuyons. Le véhicule autonome reprend un certain nombre de principes mis en place pour le spatial ou le ferroviaire. On retrouve parfois dans le véhicule autonome et dans le métro automatique des éléments de sécurité identiques. Enfin, nous avons en France des opérateurs de transport publics de niveau mondial (Tansdev, RATP, SNCF...). L’écosystème français est tout de même très intéressant. Nous nous appuyons et coopérons avec nombre de ces compétences.  

Propos recueillis par Philippe Labrunie (@PhilippeLabrun1)

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